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Du dogme de la libre concurrence

par Akram Belkaïd, Paris

Le lien concret entre la théorie économique et la réalité ordinaire n’est pas toujours simple à établir, ce qui est d’ailleurs l’un des cauchemars récurrents des étudiants et de leurs enseignants. Ainsi, comment passer d’une série d’équations à des éléments tangibles qui permettraient une meilleure compréhension des mécanismes relatifs à l’activité marchande et à la manière dont l’Etat peut la réguler ou la stimuler ? Mais il y a des exceptions et parmi elles l’idée simple que le législateur doit absolument préserver la libre concurrence entre les agents économiques (ces derniers étant toujours enclins à chercher à réduire la dite concurrence et à s’entendre entre eux sur le dos du consommateur).
 
Le précédent originel de la Standard Oil
 
En effet, la majorité des postulats énoncés par la science économique, surtout celle d’inspiration libérale, repose sur un pilier fondamental : sans concurrence, il n’y a pas d’économie de marché. La règle du jeu est donc de défendre cette concurrence en empêchant l’émergence de monopoles ou de trusts. Au début du vingtième siècle, c’est cette exigence qui a conduit au démantèlement de la Standard Oil de John D. Rockefeller. Durant plusieurs années, ce dernier avait procédé à une absorption continue de ses concurrents dans le domaine de l’exploitation pétrolière et du raffinage pour finir par contrôler une grande partie du marché. Depuis lors, la législation américaine condamne la manipulation des prix, les ententes entre producteurs ou les acquisitions de concurrents dans le but de restreindre la concurrence.
 
Cette nécessité de défendre la concurrence a été reprise par la Commission européenne qui en fait un dogme absolu. C’est pour cela que n’importe quelle fusion entre compagnies du même secteur doit recevoir l’aval de Bruxelles. Au passage, on relèvera que l’état réel de la concurrence est un excellent indicateur du degré d’ouverture d’un pays. Il ne s’agit pas simplement de savoir si les opérateurs étrangers ont le droit d’y travailler mais surtout de vérifier que les acteurs locaux ont les mêmes chances et les mêmes opportunités de se développer. En Algérie, le secteur de « l’import-import », réservé à une poignée d’importateurs, démontre que la concurrence n’y est que théorique.
 
C’est donc au nom de la préservation de la concurrence que la Commission européenne enquête depuis plus de six ans sur les pratiques du géant Google. Selon The Telegraph, les investigations seraient bientôt terminées et la multinationale américaine devrait se voir infliger une amende de près de 3 milliards d’euros au mois de juin et cela pour pratiques commerciales déloyales et abus de position dominante. Cette amende concerne la recherche en ligne et la publicité. Il convient de signaler que Bruxelles mène une autre enquête concernant le système d’exploitation Android.
 
Jeu gagnant
 
Depuis des années, de nombreuses organisations de défense des droits des consommateurs se sont inquiétées de l’importance prise par des sociétés comme Apple, Microsoft ou Google. De manière récurrente, on peut entendre à leur sujet des discours exigeant leur démantèlement pour assurer une meilleure concurrence. De leur côté, ces entreprises dépensent des milliards de dollars en lobbying pour empêcher que les législations anti-trust ne deviennent trop contraignantes pour elles. Et, jusqu’à présent, c’est à un jeu du chat et de la souris auquel se sont livrées ces compagnies avec le législateur. Un jeu gagnant malgré les amendes et les enquêtes…