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Le rose et le noir

par Belkacem Ahcene-Djaballah

Livres

La quatrième épouse. Roman de Kaddour M'hamsadji. Casbah Editions, Alger 2016, 380 pages, 950 dinars.

Un roman, paraît-il, commencé il y a plusieurs années, abandonné, puis repris. De nouveau abandonné, de nouveau repris, écrit puis réécrit. Puis oublié. Enfin publié. Complétant ainsi, pour l'auteur, un thème général favori, celui des aspects de la vie quotidienne de la société algérienne durant (et juste après) la guerre de libération nationale. Avec, pour fond de scène, la femme algérienne, dépossédée, luttant, s'émancipant... comme l'Algérie. En compagnie d'un homme, lui aussi, cherchant sa «libération».

L'histoire est simple et compliquée à la fois. C'est l'intinéraire amoureux (amoureux de savoir, de liberté du pays... et de quatre femmes qu'il épousera l'une après l'autre au fil des étapes de sa vie) d'un jeune homme de «bonne famille», Bakir, promis au bel avenir d'instituteur, après sa sortie de l'Ens de Bouzaréah... un endroit bien connu de l'auteur.

Il y a d'abord Christine, la jeune et belle pied-noir, petite-fille de gros colon de Birkhadem (mais fille d'un andalou progressiste très compréhensif qui assiste même au mariage religieux célébré par un imam). Mariage clandestin. Découverte du pot aux roses. Fuite au maquis. Adieu Christine !

Il y a, ensuite, la rencontre, au maquis, sous le feu des combats, de la belle et courageuse Thafsouth, médecin. Coup de foudre. Mariage. Hélas, elle périt, en combattant l'arme à la main.

Puis, l'Indépendance et le retour au foyer paternel. L'âge de raison et les épousailles avec une amie d'enfance Dhrifa, une «petite femme au visage angélique, à la taille fine et à la tendresse infinie»...qui ne lui donnera que des filles. Quatre au total. Catastrophe ! Pas de garçons. Que des filles ! S'il venait à décéder avant son frère aîné Slimane (avec lequel il ne s'entend pas... depuis toujours car il avait une «férocité fraternelle»... et qui traîne on ne sait quelle «casserolle» du temps de la guerre de libération nationale ce qui avait énormément chagriné le père ), c'est celui-ci (ou ses fils) qui deviendrait «héritier réservataire». «Source perfide de la lancinante préoccupation de Hadj Bakir».

Il faut donc avoir au moins un garçon. Solution ? Se marier... une quatrième fois... Malgré son âge avancé, avec une jeune et jolie fille, Safia... «immariable» certes, mais garantie génitrice.

Une histoire à la fin inattendue. Achetez et lisez.

L'auteur : natif de Sour El Ghozlane (août 1933), il est passé par l'Ecole normale supérieure de Bouzaréah. Membre fondateur et secrétaire général de la toute première Union des écrivains algériens (28 octobre 1963) aux côtés d'autres grands noms de la littérature nationale (Mammeri... président de l'Uea, Jean Sénac, Mourad Bournoune, Ahmed Sefta...). Auteur de plusieurs ouvrages dans tous les genres (romans, essais, théâtre, nouvelles, contes, poésie..), il a aussi écrit des scenarios et des dialogues de films...et, journaliste (El Moudjahid et L'Expression en particulier), il reste encore un des plus grands critiques littéraires.

Avis : belle(s) histoire(s) de vie, de combat, d' espoir et d'amour. Peut-être trop d'explications (ou de digressions) socio-historiques alourdissant le texte.

Citations : «L'homme méditerranéen, parce que méditerranéen, a toujours connu une naissance heureuse et une destinée tragique comme si la Méditerranée était à la fois son lieu de vie et son lieu de mort (p 73), «La pédagogie, comme tous les arts, est passion créatrice et magie. C'est bien pour cela qu'elle exige de l'instituteur, avant tout, la connaissance maîtrisée, sinon - à coup sûr- il sera ridicule et, vaine sera son action éducative» (p 106), «Ce n'est pas l'âge qui use, mais la vie» (p 118), «La honte naît dans la raison et meurt dans le cœur, tandis que la sagesse est dans le silence qui dit bien ce que l'on veut dire» (p 349), «La société, passionnée d'elle-seule, avait peur de souffrir. Elle s'acharnait, coûte que coûte, à consommer l'indépendance comme un produit non renouvelable, que l'on risquerait plutôt de perdre que de vite épuiser ! Il fallait profiter au maximum de cette ère de joie et d'insouciance, avant de la voir disparaître, peut-être» (p 342)

La cartographie syndicale algérienne... Après un quart de siècle de pluralisme. Actes du colloque en hommage à Abdelhamid Benzine, Alger, 7 et 8 mars 2015. Editions Association «Les Amis de Abdelhamid Benzine», Alger 2016, 181 pages (88 en français et 93 en arabe), 550 dinars.

Au total, il y a dix-huit communications, en français et en arabe... par des Algériens, un Tunisien,... une Suédoise... Des universitaires, des syndicalistes, des journalistes... Interventions toutes aussi intéressantes les unes que les autres. Soit décrivant une situation précise dans un pays (Tunisie) ou une région (Europe post-nationale et Europe post-industrielle : espace et rôle pour les syndicats ), soit sous forme d'études de cas par des chercheurs universitaires ( Bouira, Alger 3, Ouargla, Msila, Tizi-Ouzou, Khenchela, Djelfa, Ens de Journalisme d'Alger, Cread...) et de témoignages (ex : la presse algérienne à travers le syndicat au sein de l'Agence de presse et le Mja au début des années 90, Snapest...)

Le directeur scientifique du colloque, Nacer Djabi, a, pour sa part, présenté les contours généraux de la problématique abordée. Ainsi, pour lui, la cartographie syndicale algérienne doit être dressée à travers trois vitesses :

- La première vitesse représente les syndicats autonomes avec une certaine domination du corporatisme et une présence surtout dans les secteurs des services...et adoptant la stratégie des longues grèves.

-La seconde vitesse est constituée par l'ancienne expérience syndicale...qui perdure, malgré sa faiblesse, au sein de ce qui reste de l'Ugta. Avec une approche directive au détriment des structures de base.

-Enfin, la troisième vitesse représente le secteur privé national et international dans le secteur des services et le secteur industriel, souffrant d'un vide syndical sidéral.

L'auteure: Association Les Amis de Abdelhamid Benzine créée en 2004. Abdelhamid Benzine (avril 1926-mars 2003) a été un grand militant du mouvement national (Ppa-Mtld, Pca...) et combattant durant la guerre de libération nationale (Aln). Militant du Pca, de l'Orp puis du Pags, toujours journaliste à Alger-Républicain, devenu son rédacteur en chef en juillet 1962, écrivain... Direction scientifique du colloque assuré par le Pr Djabi Nacer, sociologue. L'Association décerne, aussi, tous les deux ans, en alternance avec un colloque (6ème du genre en 2015) dont elle édite régulièrement les Actes, un prix de journalisme (7ème en 2016)...

Avis : à lire, bien sûr ! Par les syndicalistes anciens et, aussi, par les syndicalistes en herbe. Pas toutes les réponses mais beaucoup de questionnements utiles. Superbe couverture de couleur... toute rouge ornée magnifiquement d'un détail d'une affiche de Mohammed Khadda. Signée Ammar Bouras. Svp, pas d'interprétation tordue !

Citations : «Les élites politiques qui contrôlent la politique et l'économie sont généralement hostiles au syndicalisme revendicatif ou, au mieux, l'ignorent et ne sont en empathie ni avec sa logique ni avec ses modes opératoires vu leur origine socio-politique qui est loin du monde du travail et ses préoccupations dont elles ignorent tout» ( Nacer Djabi, p 16), «Le cadre syndical qui a bâti toute son expérience dans le secteur public, ne sait entreprendre une action syndicale qu'avec son principal employeur, et a appris, sous sa domination, la négociation, le militantisme et la représentation ouvrière : L'Etat-nation et ses représentants, parmi les cadres et les technocrates. Il ignore presque tout sur l'entreprise capitaliste privée nationale et moderne, ses lois, son cadre organisationnel et sa culture» (Nacer Djabi, p 19)

Le Café maure. Roman de Mazouz Ould Abderrahmane. Editions Sedia, Alger 2014 (Editions Tryptique, 2013), 207 pages, 650 dinars.

Le Café, c'est, durant les années 50 (comme le hammam pour les femmes), le lieu de rencontres incontournable des hommes du quartier ou de la cité.

A Tijditt, petit port balayé par le sirocco, dans le quartier de la Souika, il y en avait quatre. Mais celui qui était toujours bondé de monde, tous les jours, c'était celui qui avait pour «enseigne» le Café maure. Des chômeurs qui ne voulaient pas travailler pour les «roumis», des chômeurs qui voulaient travailler mais qui ne trouvaient pas de travail, des talebs survivant de lectures du Coran et se chamaillant sur un détail pendant des jours, des «rebelles» (syndicalistes et politiques), dont certains revenus du bagne, des indics, des jeunes intellos discutant des «révolutions» (française, américaine, russe, chinoise...), des nationalistes partagés sur le «zaïm» à la longue barbe, des fumeurs de kif, le pêcheur magique, le derouiche silencieux... Et, au milieu de tout ça, un jeune orphelin, Fekir, ne comprenant encore rien aux discussions et aux querelles qui n'en finissaient pas. Et, avec ça, les continuelles descentes de police...juste après une chaude discussion dite (par l'indic de service !) politique.

Une société vivant à part... et, avec la population européenne, les seuls contacts (en dehors de la police) étaient les matches de football interquartiers, toujours assez rudes sinon se terminant dans les coups et le sang... les jeunes Européens ne voulant jamais admettre la défaite.

Une ambiance lourde, insupportable dans une société partagée, parfois déchirée. Heureusement, pour notre jeune héros, il y a encore beaucoup d'interrogations... il y a aussi la découverte de l'amour (impossible) pour une jeune fille en fleurs (européenne... mais non pied-noir) et de l'amour raisonné pour celle qui va devenir, très tôt, sa femme. Il y a enfin la guerre...et la mort du poète s'écriant «Liberté»... Comme dans un conte. Comme dans un songe.

L'auteur : il est né à Mostaganem en janvier 1941 et il est décédé à Montréal en décembre 2012. Et, hélas, c'est là son unique roman (écrit dans les années 90 et édité, pour la première fois, en janvier 2013 à titre posthume)

Il a été acteur dans une troupe (Les Garagouzes) de son frère aîné, Ould Abderrahmane Kaki, et membre fondateur, en 1962, du Tna. Il a interprété plusieurs rôles dans des films algériens (La nuit a peur du soleil, l'Aube des damnés, La Voie, Les hors-la-loi, la Bataille d'Alger...). Installé au Canada à partir de 1977, il a écrit les scénarios de plusieurs courts et longs métrages et a conçu de nombreuses mises en scène et des films de recherche en numérique.

Avis : A lire ne serait-ce que pour se pénétrer de l'ambiance politique et sociale du pays dans les années 50, juste avant le déclenchement de la guerre de libération nationale. Ecriture fluide... comme un conte !

Citations : «C'est quoi le bisenesse... Tout dans l'emballage, peu de marchandise»( p 87), «Derrière chaque légende se cache une vérité pas bonne à révéler» (p 102), «Tous les malheurs font de belles légendes. C'est comme ça que naissent les traditions» (p 103), «Quand on est en politique, c'est des vivants qu'on s'occupe, pas des morts « (p 182), «Malgré tout leur bagage de savoir, les intellectuels étaient condamnés à enculer les mouches comme tout le monde. Si, par malheur, ils osaient sortir du rang pour dénoncer ou prouver quoi que ce fût, ils étaient condamnés à l'exil ou disparaissaient «accidentellement» (p 182)