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Pour lutter contre la violence à l'école

par Chaïb Hammou*

Au moment où règne au sein de notre ministère de l'éducation une effervescence foisonnante et où des commissions déploient des efforts incommensurables dans le but d'apporter une amélioration à notre système éducatif, et de lutter contre la violence qui ne cesse de s'étendre dans nos établissements scolaires, j'aimerais apporter une modeste contribution à cet élan qui augure d'un changement profond de la politique éducative dans notre pays.

Un changement en rapport avec les exigences du monde moderne et de l'évolution de notre société. On peut être pour ou contre l'audacieuse politique menée actuellement par madame la ministre pour sortir l'école de son marasme actuel, conséquence d'une politique éducative désastreuse dirigée pendant près d'une vingtaine d'années durant. Mais il faut laisser le temps aux gens qui travaillent de mettre en place les procédures, les actions, les outils et les moyens qui permettront la réalisation de cet indispensable changement. Il est tellement facile de critiquer, de jeter l'opprobre sur ceux qui tentent quelque chose, qui travaillent qui font des efforts quand on est tranquillement assis dans son bureau, dans son fauteuil ou sur la terrasse d'un café. C'est lamentable. Au lieu d'essayer d'aider ceux qui veulent construire un projet performant pour la jeunesse de notre pays, certains éprouvent le malin plaisir de dénigrer sans proposer quoi que ce soit pour le bien de tous, c'est vraiment dommage. Ne serait-il pas plus profitable que nous nous mettions tous ensemble, la main dans la main, pour relever le défit et participer ensemble à la construction d'une école performante ?

Nous le savons tous, la violence à l'école ne cesse de gagner du terrain et déborde parents et enseignants. Quelles causes, quelles stratégies, quels remèdes pour la juguler?

Tout d'abord, c'est quoi la violence? Parmi les nombreuses définitions nous pouvons avancer la suivante :

« C'est la réaction qui se traduit par un ou plusieurs actes diversifiés. Elle peut se manifester par des mouvements brutaux, agressifs mais aussi par un emportement, une exaltation, une intimidation. »

Quand nait-elle ? ? elle nait du rejet, du refus, du manque de dialogue, de l'exclusion. Elle est toujours la négation de l'autre.

La violence de notre temps donne lieu à une littérature fournie et à des écrits d'une grande diversité. Chacun s'évertue à l'étudier pour tenter d'en comprendre les ressorts, les causes, les origines, les conséquences et les moyens de l'endiguer. Comme chacun sait, la violence, malheureusement, s'est insidieusement et sournoisement glissée dans l'espace scolaire. Cette noble institution qu'est l'école n'échappe pas à ce fléau destructeur de l'harmonie et des relations humaines.

On ne peut espérer bâtir une stratégie de lutte contre la violence sans se référer aux besoins fondamentaux de l'enfant, basés sur une philosophie de vie dans laquelle on retrouve des attitudes positives comme : l'amour, le respect, la tolérance, la bienveillance...

Ce qui parait important et utile dans la lutte contre la violence c'est de donner à l'enfant des moyens pratiques et efficaces pour qu'il puisse mieux gérer son monde intérieur, ses émotions, ses pensées mais aussi ses aptitudes physiques. Des moyens qui viseraient entre autres à développer ses capacités d'attention, de concentration et de maîtrise de soi qui lui permettraient de dominer et de contrôler ses réactions et ses émotions. c'est un travail de prévention qu'il s'agit d'initier dès l'entrée à l'école du jeune enfant.

L'enfant est lui-même agressé par les sentiments de violence qui peuvent naitre en lui. Il en est victime également et nous devons réfléchir aux différents moyens qui l'aideraient à se maitriser dans ces moments fatidiques.

Développer la joie et l'optimisme, augmenter la confiance en soi et le bien-être de l'enfant par des activités spécifiques qui devraient trouver leur place dans l'emploi du temps journalier de la classe. Voilà ce que devrait être le souci de l'école.

Prévenir la violence c'est avant tout accompagner un enfant dans la construction de trois champs de repères selon le psychosociologue Jean Epstein :

? Des repères individuels, en valorisant ses compétences, en stimulant son estime de soi, sa confiance en ses capacités.

? Des repères sociaux, en l'amenant à accepter les limites, les interdits, le règlement.

? Des repères familiaux, en lui fournissant le plus tôt possible des éléments lisibles et constructibles relatifs à son histoire.

Il est important que l'enfant prenne conscience que ses désirs ont des limites, qu'il rencontre des interdits pour réguler ses rapports avec le monde. Ces interdits, limites et repères permettent à l'enfant de dompter ses pulsions sans les nier toutefois. Il appartient à l'adulte de l'accompagner efficacement et surtout avec toute la bienveillance requise dans cet effort de maitrise de ses désirs, de ses pulsions.

La véritable personnalité de l'humain gît au plus profond de sa vie spirituelle et ne se développe que dans la mesure où nous aidons l'âme à prendre l'empire sur les sens et sur les passions qui l'étouffent et qui la poussent à la violence.

Dans le cadre de la lutte contre la violence à l'école, il y a lieu bien sur de prévoir des objectifs clairs et réalisables, des objectifs :

? A dimension sociale : où il s'agit de créer un lien social avec les différents partenaires parents, amis de l'école, classes entre elles, liens entre classes de différentes écoles, dans le cadre d'un programme de correspondances scolaires.

? A dimension éducative : et en premier lieu l'éducation à la citoyenneté, au sens de l'engagement de l'effort, de l'entraide, de la solidarité dans des réalisations comme le respect de la propreté de la classe, de la cour, de l'environnement de l'école mettant en œuvre des méthodes coopératives qui font malheureusement défaut dans nos écoles. Il est également urgent d'enseigner les humanités qu'il serait opportun de prévoir dans les divers programmes scolaires

? A dimension artistique : conception et réalisation de projets artistiques, développement de l'imaginaire et prise de conscience des possibilités et des divers modes d'expression, -peinture, mosaïques, sculpture qu'il serait judicieux d'intégrer dans les programmes de manière plus prononcée et surtout de veiller scrupuleusement à leur application effective. Des activités de ce genre figurent bien parfois dans les programmes mais sur le plan de l'application il y a beaucoup à dire. Des séances de dessin, de travaux manuels ou même d'éducation physique sont souvent remplacées par des séances de langue ou de mathématiques jugées exagérément plus importantes.

? A dimension culturelle : familiarisation avec les œuvres d'art, avec le patrimoine matériel et immatériel?

Ce qui nous parait être sûr, en tout cas, c'est que le problème des relations immédiates d'homme à homme, du dialogue individuel d'époux à épouse, d'ami à ami, de patron à subordonné, restera le plus important et le plus difficile des problèmes. C'est à ce problème là qu'il faut d'abord préparer les enfants, les jeunes. Et même s'ils doivent être plus tard chimistes, physiciens, médecins, c'est de ce contact humain qu'ils auront d'abord besoin pour diriger leurs équipes ou pour en constituer une. Ce qui est plus délicat et plus précieux que de faire des calculs exacts ou de résoudre des formules chimiques.

Dans une telle perspective, il s'agit «d'ouvrir» l'âme de l'enfant, d'y semer les germes de bonté, d'amour, de bienveillance, d'empathie et de lutter contre ces nœuds psychiques, contre ces structures rigides qui façonnent un être de manière dure et définitive. Les mouvements d'assouplissement auxquels on est habitués ne sont point seulement des mouvements de tels ou tels muscles, ce sont avant tout des mouvements d'assouplissement de l'âme.

Il existe, selon les spécialistes, deux manières complémentaires d'aller vers les conduites morales, dont chacune prise à part est insuffisante, cependant.

1. La méthode intellectuelle qui fait appel à la culture générale, à l'esprit critique et à l'analyse des problèmes moraux. C'est une sorte de lumière qui ne fait jamais qu'éclairer la voie à suivre.

Cette culture générale doit intégrer obligatoirement les humanités qui nécessitent une prise en charge par les programmes, doit-on le répéter, et ne pas se limiter à l'enseignement de la langue et du calcul mais veiller également à sensibiliser l'âme des enfants au beau, à l'utile, au respect d'autrui pour aiguiser et développer leurs sentiments d'amour, de générosité, de bonté, de bienveillance, de solidarité, de tolérance?. Ainsi, Nos élèves pourront s'ouvrir au monde, s'ouvrir aux sentiments humains. L'école peut, et doit les aider à dépasser ce stade sectaire et brutal, les aider à dépasser les idées simplistes et fanatiques qui sont naturellement, à un certain stade, celles de tout adolescent en qui bouillonne une énergie encore mal maitrisée, mal dirigée.

Les humanités sont des disciplines qui favorisent chez l'enfant la pratique du dialogue, et elles permettront plus tard à l'homme mûr d'acquérir l'humanisme qui lui conviendra. Elles sont avant tout des disciplines qui, pour humaines qu'elles soient, ne sont point engagées. L'étude, l'explication littéraire d'un texte par exemple en est l'illustration la plus valable quand elle se limite à la simple explication sémantique, grammaticale ou syntaxique. Mais les contes, les poésies y ont leur place, comme la musique du reste. Musique et poésie y sont des disciplines centrales parce que plus que n'importe quelle autre, elles contribuent à développer ces sentiments peu perméables à l'analyse rationnelle, par lesquels les êtres humains s'accordent, tissent des relations, communient sans en comprendre vraiment les raisons ; communion qui va plus loin que tout accord intellectuel. Ce n'est sans doute pas un paradoxe de dire que musique et poésie réalisent mieux le concert humain et mènent plus près de la sagesse que les raisonnements de la plus haute philosophie. Nous pouvons puiser dans l'incomparable richesse de notre patrimoine religieux, culturel, dans nos traditions, nos coutumes des trésors de sujets à exploiter dans une telle perspective pour nourrir l'imaginaire de nos élèves.

Apprendre à l'enfant à éprouver comme éprouve autrui, à agir comme agit autrui, en bref à se mettre à la place de l'Autre, voilà le but des humanités dont il faudrait, bien entendu, préciser la conception, la place et la mise en œuvre pédagogique.

Les humanités visent le contact avec l'humain, l'ouverture, le dialogue dans le sens large du mot et sans doute favorisent-elles, pour une large part, le développement et l'enrichissement de la culture générale de la personne.

Les humanités enfin, ont un but bien précis : elles font appel à des sentiments. Elles ne sont pas uniquement acuité de l'esprit mais aussi finesse de l'amour, de la bonté, de l'altruisme.

2. La méthode par l'éducation physique et sportive : elle n'est pas « lumière » qui éclaire le chemin de l'enfant comme la méthode intellectualiste mais « VOULOIR ».

Par elle, on apprend concrètement à l'élan originel, à l'énergie diffuse qui est le fond mystérieux de l'être humain, comment elle peut se discipliner, se concentrer, s'ordonner, comment aussi, par cette sorte de canalisation, cet élan peut acquérir plus d'énergie et plus d'efficacité, une extraordinaire efficacité, comme nous le montre le progrès continu et stupéfiant des performances sportives. L'éducation physique peut être considérée comme un moyen indispensable de cette domestication de l'énergie originelle qui est en chacun de nous pour la diriger vers la sagesse et la réflexion. La véritable maitrise de soi s'acquiert par l'action difficile, pénible.

Nous pouvons ajouter à ces deux activités une troisième non moins importante ni moins féconde et qui nous parait d'une indéniable utilité, et surtout dont nous avons pu constater l'efficacité sur le terrain, aussi bien avec des enfants et des jeunes d'Algérie, de Tunisie et de France : « les Ateliers de Réflexion Partagée » (ARP), appelés aussi Ateliers de Réflexion Philosophique. Il s'agit de simples ateliers où des enfants sont mis en situation de communication, en situation d'échanger leurs points de vue, de débattre sur un sujet en toute liberté dans un cadre déterminé avec comme devise : « penser par et pour soi-même avec les autres ». Dans ces nouvelles pratiques organisées en ateliers interactifs de recherche, l'élève découvre qu'il est un sujet pensant, équipé pour réfléchir aux problèmes de la vie, qu'il appartient à un groupe social, à l'humanité et que l'écoute est essentielle pour développer une pensée critique et créative. Une telle activité, rigoureusement conçue et méthodiquement mise en œuvre devrait trouver place dans l'organisation scolaire. Nous pouvons constater ainsi, qu'au-delà des apprentissages classiques de la lecture, de l'écriture et du calcul, il y a bien autre chose de fondamental qui ne doit pas échapper à tout responsable de l'éducation.

Tels seraient les moyens qui pourraient à notre humble avis, dans le cadre d'un projet d'établissement méthodiquement conçu, favoriser le recul de la violence à l'école à défaut de l'éradiquer totalement.

Et le rôle de l'enseignant dans cette stratégie ? Il est déterminant. Il doit faire preuve de qualités de l'esprit et de cœur, enseigner avec bienveillance, posséder un savoir sûr et étendu, une intelligence ouverte. Et, il ne faut surtout pas perdre de vue qu'il est impossible de remédier à l'impression, une fois donnée, de son incapacité intellectuelle.

* Inspecteur de l'éducation à la retraite - Nedroma.