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La solitude des musulmans d'europe

par M'hammedi Bouzina Med

Fuyant les guerres subies chez eux, errant sur les chemins de l'exil, les musulmans des temps modernes sont rejetés par les Occidentaux et accusés d'être seuls responsables des crimes abjects du terrorisme commis en leur nom.

Bien sûr, les terroristes n'ont rien à voir avec l'islam duquel ils se réclament. Bien sûr que le terrorisme au nom de l'islam frappe en priorité les musulmans dans le monde musulman. Et pourtant..., l'opinion publique occidentale non musulmane tient l'islam pour responsable des atrocités commises en son nom et, du coup, son regard sur les musulmans est marqué par la suspicion et l'inquiétude. C'est la triste réalité vécue par les musulmans vivant dans les pays occidentaux. «Ils n'aiment pas notre mode vie et nos mœurs», disent les uns. «Ils nous haïssent et veulent nous imposer leur mode de vie à eux», disent les autres en parlant non plus des tueurs terroristes mais des communautés musulmanes. Le soft des nouveaux penseurs ajoute qu'il n'y a pas de musulman modéré parce que l'islam est par essence conquérant et se fixe de régenter la vie des sociétés, donc de nature politique et incompatible avec la démocratie». En face, des théologiens, penseurs, exégètes, philosophes, chercheurs musulmans reconnus s'échinent et tentent inlassablement à démontrer que l'islam est une religion comme les autres, qui ne s'impose pas aux autres religions, ni aux individus par la contrainte et qui bannit la violence, condamne le crime de quelque nature et pour quelque raison que ce soit, promeut la solidarité, l'amour du prochain et le bien. Rien n'y fait. La suspicion, le doute, la peur et le rejet des communautés musulmanes s'installent dans les sociétés occidentales jusqu'à devenir des obsessions lors d'événements douloureux qui suivent des attentats terroristes où de vagues migratoires intenses même conjoncturelles. Ce syndrome de «l'islam politique» se transforme lors de crises sociales et économiques en «syndrome des musulmans». La classe politique se mobilise alors pour répéter qu'il ne faut pas céder à l'amalgame, à la colère, à la haine, à l'islamophobie pour préserver l'ordre et la paix sociale. Ces situations de crises et de crispations communautaires, ponctuées conjoncturellement de moments de grandes violences sociales culminant ces dernières années avec l'horreur des attentats sanglants qui frappent des foules de civils, aggravent la séparation des communautés si nombreuses et diverses, désignent les communautés musulmanes comme le «camp des pestiférés», les encerclent de clichés, d'a priori et de stigmates, les isolent encore plus dans leur malheur et leur solitude. Jusqu'à les convaincre de leur incapacité d'adaptation à la modernité, la démocratie, voire même de leur culpabilité dans les horribles crimes des terroristes dont ils sont pourtant les premières victimes depuis longtemps chez eux, dans les pays dits musulmans. Jamais depuis l'avènement de l'islam voilà 15 siècles, les musulmans n'ont été aussi ciblés, aussi meurtris, aussi seuls. Jamais la responsabilité des musulmans n'a été aussi solicitée pour que le monde se débarrasse définitivement de la violence politique et des crimes commis en leur nom. Le discours occidental dominant les tient pour seuls responsables des crimes du terrorisme. Enorme responsabilité qui n'est pas si infondée qu'elle ne paraisse à condition qu'elle ne la laisse pas sur les épaules des seuls musulmans. Et pour cause, la responsabilité des politiques occidentales et leurs relais médiatiques, idéologiques, voire même culturels (littérature, philosophique, etc.) n'est pas si innocente dans le risque pour l'humanité entière d'un «affrontement des religions», d'un «affrontement des civilisations» que prônent les nouveaux sorciers de ce siècle. Les guerres provoquées au nom d'intérêts géostratégiques dans les «terres musulmanes» en Syrie, Libye, Yémen, Afghanistan et les violences à leurs périphéries en Tunisie, en Egypte, au Mali et ailleurs sont-elles menées pour aider ces pays à accéder à la démocratie et la liberté ? Est-ce vraiment par amour et pitié pour les peuples libyen et syrien que la France les a bombardés pour les débarrasser de leurs «dictateurs» ? Bombardés, massacrés, exilés chez eux, les musulmans sont isolés, stigmatisés, rejetés, culpabilisés en Occident. Chez eux, dans leurs pays d'origine, ils vivent d'autres affres, d'autres misères : régimes politiques policiers, répressifs, souvent corrompus, médiocres et par-dessus tout serviteurs complices des puissances occidentales. Pris entre les appétits géostratégiques des puissances occidentales et la vassalité et la compromission de leurs régimes politiques, les musulmans errent entre «Dieu et les hommes». Lorsqu'ils se tournent vers leurs lieux -saints en Arabie Saoudite, ils ne voient que violences, guerres contre d'autres musulmans, déni de liberté, despotisme et malheur. Lorsqu'ils se tournent vers le troisième Lieu saint de l'islam, Jérusalem (El Qods), ils constatent l'innommable: occupation par l'Etat d'Israël, meurtres en permanence qui s'apparentent à un génocide des Palestiniens, sans que cet Occident et les autres Etats de pays dits musulmans réagissent, accourent au secours des Palestiniens assassinés, expulsés de chez eux depuis plus de 60 ans ! Et s'ils crient leur colère et leur douleur contre l'Etat sioniste usurpateur de leurs maisons et terre, très vite, des porte-voix du sionisme envahissent les plateaux de télévision pour défendre l'indéfendable. Les musulmans sont meurtris, avilis, expulsés de chez eux, stigmatisés ailleurs, terrorisés chez eux et sont accusés, responsabilisés des crimes terroristes faits en leur nom. Enfermés dans une si grande solitude, si injuste et si triste. Combien de temps durera cette damnation des musulmans de ce siècle? Combien de temps faudra-t-il au reste du monde et peuples pour comprendre que les musulmans ne sont pas autre chose que des humains comme eux avec une croyance et une foi religieuse pas si différente que les autres religions et fois? Qui aura l'audace et la sincérité de dire la vérité sur cet énorme bouleversement géostratégique du monde mené par les puissants au nom d'intérêts multiples et contradictoires et dont les musulmans font les frais aujourd'hui ? Leurs pays dévastés et des atrocités terroristes commises contre eux et contre les autres en leur nom, les musulmans ne cessent de le dire, de crier que leur foi leur interdit toute violence et les pousse à aimer tout vivant sur cette terre et de combattre toute forme de terrorisme quel qu'il soit au nom de quelque cause évoquée. Les entendra-t-on un jour comme lorsqu'ils ont donné durant sept siècles les plus belles conquêtes de la connaissance, du rationalisme et de la philosophie au reste de l'humanité qui végétait dans l'obscurantisme le plus abject, la violence et les guerres ? Pour que les musulmans ne soient plus seuls face à l'intégrisme idéologique et religieux, à la violence des guerres au nom d'intérêts géostratégiques iniques, au terrorisme mené par des fous barbares et sans pitié au nom de leur foi.