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Coup de trafalgar ou coup de jarnac ?

par A. Benelhadj

Sous le titre « Algérie-France: L'affaire de la photo continue de susciter des interrogations », Ghania Oukazi a publié dans Le Quotidien d'Oran du mardi 19 avril un papier rapportant la colère du directeur de cabinet de la présidence de la République, relative à la photo de Bouteflika (qui « n'était pas dans sa meilleure forme»), prise par un officiel français reçu par le président algérien à l'occasion de la visite du premier ministre français dimanche dernier.

Elle a usé de l'expression « coup de Trafalgar » reprise dans un intertitre interrogatif : « Complicité nationale pour coup de Trafalgar français ? »

Cette expression est passée dans l'usage signifiant un coup bas, pas très honorable. Il est à craindre pourtant que Trafalgar ait été improprement associé aux circonstances.

Du coup de Trafalgar?

Trafalgar est entré dans l'histoire en référence à une bataille perdue par la marine française face à une flotte britannique commandée par le « vice admiral » Nelson en octobre 1805, au large de Gibraltar et du cap éponyme, entre Cadix et Tarifa. Celui-ci y laissa la vie. Mais sa victoire a été d'autant plus célébrée que la flotte française était nettement supérieure à celle qu'il commandait : 26 000 marins français face à 18 000 anglais. Nelson avait appliqué sur mer le « blitzkrieg » napoléonien (qu'on me pardonne cet anachronisme) qui avait fait les succès militaires de l'Empereur sur terre.

Tous ceux qui ont visité Londres ont remarqué Trafalgar Square à Westminster et la tour Nelson plantée en son centre et entourée par de prestigieuses institutions du royaume. Cet honneur a été ainsi rendu en commémoration triomphale d'un événement qui a sonné la fin de l'Empire Napoléonien.

C'est au caractère retentissant et décisif de cette victoire que pointe l'expression « coup de Trafalgar ». Le caractère sournois et perfide du coup procède d'une connotation abusive.

Si on laisse de côté les escarmouches mineures, ce n'était pas la première fois (avec de rares exceptions telle la bataille de Chesapeake - 1781) que les Britanniques battent à plates coutures les Français, que ce soit sur terre (Azincourt 1415, Waterloo, 1815?) ou sur mer (Damne - 1213, Aboukir -1798, Mers El Kebir -1940?).

Il serait naturellement inopportun et plus que douteux de tirer le moindre avantage ou satisfaction de ces abominations mortifères qui, au reste, ne nous concernent pas. Mais il n'est pas inintéressant d'en tirer quelques leçons?

Il s'ensuit qu'à l'évidence « Trafalgar » n'est pas une référence heureuse.

?au coup de Jarnac

Il eut été plus judicieux d'avoir recours à l'expression « coup de Jarnac » bien plus adaptée à la mentalité et à l'histoire française. L'affaire renvoi à un duel -commencé sous François 1er, allié proche de Haroun Errachid, contre l'Empire espagnol-, et achevé tragiquement sous Henri II.

Avec une réserve : que l'on retienne l'acception que lui ont donnée les jésuites dans leur dictionnaire de 1727, conférant au dit-coup un caractère habile mais particulièrement déloyal.

En l'occurrence, le coup par en-dessous auquel l'article fait référence plus haut.

Sans doute, l'état de la France d'aujourd'hui est le produit de processus en œuvre depuis plusieurs décennies. Le hasard veut que ce soit souvent à F. Mitterrand -qui a laissé des traces indélébiles dans l'histoire de son pays (et cela bien avant son arrivée à l'Elysée en mai 1981), qu'on pense lorsqu'il est question de coups de Jarnac.

Georges-Marc Benhamou qui entretient une affection immodéré pour l'Algérie naguère occupée où il a vu le jour (étant né à Saïda), lui a consacré un ouvrage récent dont le titre, assorti d'une photo de Mitterrand « le florentin », illustre parfaitement notre propos : « Dites-leur que je ne suis pas le diable » (Plon janvier 2016, 312 p.)

Tous les coups sont permis?

Il y aurait une conclusion plus précise à tirer de cette affaire au demeurant sordide, dans son déroulement sans doute, mais aussi dans le parti que certains voudraient en tirer.

Seule la mauvaise foi inspirerait ceux qui s'aviseraient de reprocher aux Français de vouloir reconquérir et maintenir à tout prix leurs intérêts en Algérie.

Qui ne les comprendrait à se rappeler les « bienfaits » qu'ils ont perdus en 1962 ?

L'Algérie compte de nombreux amis de l'autre côté de la Mer Blanche. Des hommes habités par une haute idée de leur pays. Convaincus que de part et d'autre il y a plus à gagner ensemble en coopérant qu'à entretenir de vaines querelles.

Malheureusement, ces hommes-là ne gouvernent pas. Ni en France, ni ailleurs en Europe. Tout laisse penser qu'ils demeureront écartés du pouvoir pendant une durée indéterminée. Bien qu'il soit de l'intérêt de l'Algérie d'observer et de suivre avec exactitude l'ordre politique de ses partenaires et de son évolution, il tombe sous le sens que cette question relève d'abord des prérogatives souveraines des Français et des Européens.

« Coup de Trafalgar » ou « coup de Jarnac », tout cela c'est de la rhétorique qui intéresse au mieux les potaches. Dans le monde actuel tous les coups sont permis. Il ne s'agit pas de joutes cordiales et honorables entre gentleman's. A supposer qu'il s'en trouva un jour.

Les Hernani, les Cid et les Don Quichotte de la Mancha sont des mythes à l'eau de rose racontés par des poètes et entretenus par des bonimenteurs accrochés à leur pouvoir et qui en veulent aux mandats de leurs citoyens.

Personne ne fait de cadeau à personne.

Le temps des mauvais coups?

Nos ennuis on ne peut les imputer à crime à nos adversaires et à nos ennemis.

C'est pourquoi c'est vers nos gouvernants, ceux qui ont en charge les intérêts de la nation, qu'il convient de nous retourner pour exiger d'eux des comptes sur l'usage qu'ils font du pouvoir qu'ils exercent au nom du peuple.

Depuis près de quarante ans les Algériens assistent impuissants à l'affaiblissement de l'Etat, au dévoiement de ses institutions, à la déstructuration de son économie, à l'abandon de pans entiers du patrimoine national à des écornifleurs incapables de créer des richesses et seulement soucieux de vendre ce qu'ils renoncent (et empêchent) de produire. Et pendant ce temps-là les dépréciations continues de la monnaie nationale érodent - par l'inflation - le pouvoir d'achat des revenus fixes et des revenus aléatoires.[1]

Un indicateur qui fait office de jugement redoutable : La part des hydrocarbures dans les exportations demeure depuis des décennies à plus de 90%. En revanche la part des importations favorise les gains faciles et fait grossir le nombre de milliardaires rapidement enrichis par le libre accès qu'ils ont obtenu aux précieuses ressources en change du pays. Tout en continuant à échapper à l'impôt : les transactions échappent au fisc et (par conséquent) à l'information économique.

Malgré la chute des revenus extérieurs, les nababs du commerce ne renoncent pas à leurs importations et continuent becs et ongles à puiser sans restriction dans les réserves de la nation (Fonds de Régulation). La facture des importations a été multipliée par 10 entre 2005 et 2015. On se souvient du tollé consécutif à l'ordonnance portant loi de finances complémentaire 2010.

Par naïveté ou par calcul, ces gouvernants distillent des conceptions économiques obsolètes et stériles qui mettent en coupe réglée les économies de nombreux pays, au sein même de l'Union Européenne menacée aujourd'hui d'éclatement. Là où s'étend aujourd'hui le chômage, où s'accroissent les déficits commerciaux, budgétaires et sociaux, les inégalités, l'endettement, la déflation et où s'effondrent les taux de croissance et d'investissement.

Des experts nous ont vendu une économie de marché (« irréversible » dixit l'ex-chef de gouvernement et la théorie de monétaristes qu'il a animée) et on s'est retrouvé avec une pieuvre informelle qui échappe à tout contrôle et qui gangrène tous les rouages de l'économie et de la société.

On attendait des acteurs à la hauteur de leur charge. Et nous avons des commentateurs.

Ce sont ces gens en responsabilité (pour ainsi dire) qui ont mis la souveraineté de l'Algérie à la portée de graves périls qu'ils se plaisent aujourd'hui à dénoncer devant les citoyens au lieu d'assumer leurs charges.

Ghania Oukazi s'interroge : « Ouyahia laisse entendre qu'il y a des complicités «nationales» qui ont aidé à la prise de la photo par les Français ou du moins étaient au courant du «complot» que Valls fomentait. »

Au-delà de l'importance ridicule attachée à un cliché, cette affaire reste d'une extrême gravité. Car c'est bien de sécurité nationale dont il est ici question. Si l'on pouvait si aisément accéder à la présidence de la République, que pouvait-il être ailleurs ?? On demeure perplexe devant l'idée d'un « complot fomenté par un premier ministre étranger en visite à Alger »?

Les Algériens gardent en mémoire les controverses pendant des mois, étalées sur la place publique à propos de la défense nationale, du sort des officiers qui en ont la garde et s'inquiètent à raison de ce qu'il pourrait en être de l'avenir du pays et de leurs enfants.

Aux frontières algériennes on entend la scansion de bottes de plus en plus bruyants. Nos voisins connaissent des désordres qui menacent leur existence.

Ce sont ces coups là (de Trafalgar ou de tout ce qu'on voudra) que nos concitoyens redoutent de les voir à nouveau endeuiller le pays.

[1] Lire : « Une enquête de l'ONS met en relief l'accroissement des inégalités en Algérie : L'Algérie des riches et des pauvres. » Salem Ferdi, Le Quotidien d'Oran, D. 10 novembre 2013. Le chômage touchait en 2013 21,5% des moins de 35 ans, selon le Fonds monétaire international (FMI) (AFP le L. 14/10/2013 à 18:04).