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Algérie-France, ce vieux couple déchiré par l'émotionnel

par Farouk Zahi

Le divorce qui a eu lieu, un certain 19 mars1962, ne semble pas se consommer pour n'être reconnu que 54 ans plus tard et du bout des lèvres. Courageux, quand même, pour avoir osé briser le mur du silence, M.François Hollande subira néanmoins les foudres de la fille du tortionnaire de la villa Sésuni de sinistre mémoire et du fils de migrants hongrois. A la fin de la guerre d'Algérie, Marine Le Pen n'était pas encore née et Nicolas de Nagy-Bocsa était en classe d'initiation. Donc, qu'en savent-ils de la sale guerre ? La commémoration du Cessez-le-feu entre les belligérants de la Guerre d'Algérie, est considérée outre Méditerranée comme une défaite militaire pour la France coloniale. Cette vision impérialiste surannée et surréaliste, au sein de générations qui n'ont connu de la guerre que ce que leurs parents ou grands parents ont pu leur en raconter.

Paradoxalement, sur la rive sud, une mentalité qui a largement évolué a pris le dessus sur les rancœurs et les refoulements revanchards. Là, où plutôt les preuves, ont été données par cette jeunesse enthousiaste qui recevait successivement les présidents, Chirac, Sarkosy et Hollande. Ce dernier a eu droit à un mémorable baisemain royal. Et chaque fois qu'il s'est agit de l'Algérie, les cors de la chasse à courre rappellent la meute. Il faut reconnaitre aussi, que nous ne faisons rien ou plutôt nous faisons tout, pour réveiller les vieux démons des nostalgiques de l'Algérie de papa en perpétuant l'arrimage culturel et linguistique avec l'ancienne puissance coloniale. Le lien linguistique, si tant est le souci de préservation de ce butin de guerre, il n'en demeure pas que l'alternative nous est offerte par les proches Suisse romande et Wallonie belge ou le lointain Quebec. Nous persistons, ingénument, à croire que les trémulations de l'histoire se sont apaisées après plus d'un demi- siècle des hostilités guerrières. Le conflit franco-allemand, autrement plus meurtrier, n'a demandé que treize années pour être rangé au musée de l'histoire. Faut-il encore avoir un Adenauer gaulois pour assumer la responsabilité d'une France coloniale. A chaque occasion qui est leur est donnée, les chantres de l'Algérie française s'égosillent à rappeler les prétendus massacres des pieds noirs et des « pauvres » harkis dont le seul « tort » était de s'être rangé du coté de la mère patrie. On évoquera dans la même veine, la lâcheté des poseuses de bombes du FLN. Ce dernier épisode fera les choux gras de la presse hexagonale en 2010, lors d'une cure médicale de Djamila Bouhired à Paris. Nous avons écrit alors ceci : Djamila Bouhired : elle a tué les nôtres ! Tel est le titre racoleur d'un article publié par le site web intitulé « nationspresse ». En guise de mise en condition, on ne fait pas mieux. L'article, qui n'a rien de journalistique, est un véritable appel au meurtre.

Il fournit l'adresse et la photo de la victime expiatoire pour les supposés crimes commis sur des enfants et c'est en ces termes qu'il ouvre le bal : « Djamila Bouhired, l'ancienne fellagha, poseuse de bombes pour tuer les Français pendant la guerre d'Algérie, se soigne à Paris dans un palace. ». Et comme s'il fallait opposer une quelconque résistance à la venue à Paris, d'une dame pour des soins pris en charge par son propre pays, l'auteur de l'écrit continue dans sa démente divagation pour ajouter:

« Aujourd'hui, malade, c'est vers la France dont elle a assassiné des enfants qu'elle se tourne. Presque naturellement. Aucune honte. Aucune vergogne. Et cette ancienne felouze a malgré tout des goûts de luxe puisqu'elle ne loge pas n'importe où. Et pendant que son peuple crève de faim, elle a choisi un palace parisien et non des moindres : le George-V ! ».

Le rédacteur de ce pamphlet n'a, sans doute, pas eu une pleine connaissance des évènements d'alors ou bien se complaisait-il à escamoter la véracité des faits pour mieux mystifier son lectorat.

Ce cycle, certes douloureux, des attentas à la bombe a été, historiquement inauguré par le sinistre commissaire Achiary, à la rue de Thèbes dans la Casbah bien avant ceux du Milk Bar et du Coq hardi.

L'excellent article de Boubekeur Ait Benali, intitulé « Le terrorisme des ultras de la colonisation à Alger » y revient dans Algérie-Watch du 11 /2 /2012, nous citons : « Ainsi, le 10 août 1956, les ultras perpètrent un attentat d'une rare violence. Leur cible : la Casbah d'Alger. Pour avoir une idée de l'acte, les historiens Benjamin Stora et Renaud de Rochebrune, dans « La guerre d'Algérie vue par les Algériens », écrivent : « C'est le plus grand attentat terroriste sans cible définie, donc visant prioritairement et en grand nombre des civils « innocents », perpétrés sur le sol algérien pendant la guerre. » En effet, depuis le début de la guerre, jamais une bombe n'a visé exclusivement des civils. Cet acte revendiqué par « le comité antirépublicain des quarante », à sa tête André Achiary, ancien préfet de Guelma lors des événements de mai 1945, va causer la mort de 70 personnes, pour la plupart des enfants, des femmes et des vieillards ». Fin de citation.

Quant à l'impénitente droite française revancharde, celle-ci n'a pas manqué de se manifester lors du deuxième séjour hospitalier du président algérien au Val-de- Grace. Il s'est trouvé, même, des officiers supérieurs de la santé militaire française pour tancer vertement le Chef de l'Etat. Un médecin au grade de général, chirurgien de son état dans le même hôpital militaire français, bousculant toutes les règles de bienséance dues à chef d'Etat de pays tiers, traite le patient en termes inconvenants.

Il lui rappelle de manière désobligeante qu'il n'avait pas à solliciter les services d'officiers français qu'il avait sciemment combattus hier. Il est, pour le moins, surprenant qu'un officier général, tenu par l'obligation de réserve, s'en aille dans des considérations d'ordre purement politique. En fait, la grande muette ne l'est point quand il s'agit de l'Algérie. Aussi, la récente estocade portée par M. Valls, le matador (l'allusion est fortuite), à l'image du pays n'est point surprenante. Nous sommes tentés de paraphraser, autrement, la sentence du général Giap qui disait que le colonialisme est un mauvais élève par : Si le colonialisme est un mauvais élève, le colonisé par contre, est un cancre en puissance !

Il est devenu de notoriété publique qu'à chaque manifestation commémorative de la Guerre d'Algérie, ou à chaque turbulence nuageuse avec l'ancienne colonie, des voix pourtant antagonistes jusque là, s'élèvent pour convoquer le sort « dramatique » qu'ont connu les supplétifs de l'ordre colonial à son crépuscule. Les plus gros massacres ont plutôt eu pour théâtre, Bab-El-Oued et la rue d'Isly sous les balles de l'armée française elle-même. Les victimes en étaient principalement les ultras de l'OAS (organisation de l'armée secrète) du général Salan. D'ailleurs, c'est cette dernière qui, dans sa folie meurtrière a usé du meurtre ciblé et du plasticage. L'ouradour du port d'Alger sur les dockers et le canardage matinal des femmes de ménage et des petites gens sont inscrits à jamais au palmarès macabre de Ortiz et consorts. N'est ce pas ce dernier qui a été difficilement dissuadé par le Dr Chawki Mostefai, après d'âpres négociations, pour ne pas faire sauter Alger dont les égouts étaient bourrés de TNT de Belcourt à Bab-El- Oued ? Les harkis, cette ancienne chair à canon, devient à chaque rendez-vous électoral français, une denrée d'échange dans ce troc nauséabond. Dans sa contribution sur le sujet, publiée par TSA en date du 2/4/2016, Rachid Boudjedra en dit en substance : « Mais avec ce chiffre de 150 000 harkis assassinés après l'indépendance, la France officielle et officieuse veut faire oublier le sort qu'elle a elle-même réservé aux harkis qu'elle avait amenés dans ses bagages et qu'elle avait installés dans de véritables camps de concentration. Cette machination est ridicule dans la mesure où la France est mal placée pour soulever de tels problèmes parce qu'elle n'a pas eu de pitié, ni de contrition pour ses propres collabos exécutés en masse en 1945 ! Mais pour mieux comprendre cette « affaire » de harkis, il faut lire l'excellent ouvrage de Pierre Daum consacré à ces « harkis » ».

Les reproches qu'on fait souvent, à l'ancienne victime de la colonisation sur la rive nord de la Méditerranée, relèvent plus de l'entêtement absurde que de la reconnaissance apaisée des torts exercés sur elle. Ils ressemblent à s'y méprendre à ceux que l'on fait à la femme violée. Disqualifiée de son statut de victime, elle devra vivre stoïquement la stigmatisation collective et le regard désapprobateur de son propre entourage. Quant au violeur, il s'érigera, toute honte bue, en chevalier sans peur et sans reproche. En consentant à faire amende honorable pour reconnaitre ses propres méfaits coloniaux, la France de Clémenceau ne fera que lustrer un passé universaliste terni par de voraces ambitions d'hommes politiques en mal de conquêtes exotiques. Mais rien n'est moins sûr en suggérant cette hypothèse, car si les conquêtes d'alors se sont faites sous la bannière des croisés et sous le feu de catapultes, celles des temps modernes se font sous l'étendard des droits de l'Homme et le feu des drones. L'Assemblée nationale française n'a-t-elle pas votée, en 2005, cette loi scélérate sublimant les bienfaits de la colonisation ? Le président Jacques Chirac, n'a pu qu'en réduire, un tant soi peu, les méfaits dévastateurs sur les anciennes colonies ; mais le mal était déjà fait.