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Après la révision, le grand examen

par El Yazid Dib

« Si tu les vois affligés ne compte pas cela une damnation, si tu les vois obéissants ne compte pas cela un salut assuré » Abd Allah el Ansari (1006-1089)

La révision est finie. Il ne reste que l'examen. Il s'annonce long et ardu. Tant que la crise est là, le pétrole plus bas, le souci plus affiché, il est du devoir de parler de ces bras croisés et de ces mains qui n'ont de sueur que celle de l'applaudissement successif.

Faire de la révision constitutionnelle une fin en soi ou une quelconque réussite n'ira pas en accordant toute l'urgence aux soucis de l'heure. La plénière parlementaire n'était pas uniquement un vote ou un simple acquiescement documentaire. C'était une Algérie représentative quoique complexe et controversée. Mais c'est là aussi le propre d'un fonctionnement usuel d'une démocratie toujours en phase de naissance.

A l'opposé de l'homme, l'animal ne vote pas. Il broute. Les muscles le font élire ou le forcent à périr. Ainsi la force va devenir acceptable et justifie tout usage en ce sens. L'homme, à défaut de force, a créé la loi et l'élection. Misant sur le nombre, le groupe, il découvrit, à dessein, la loi de la majorité. Le nombre allait vaincre la force pour devenir une puissance légale. La mise en place d'un modèle sociétal, ordonnancé suivant les besoins de ceux qui sont les premiers à l'imaginer, n'ira qu'en les servant. L'équité, la quête de justice et autres détours justificateurs à cela, surviennent à l'avantage de leurs concepteurs, confirmer, persuader et soutenir le diagramme organisationnel déjà en cours. A la conquête du pouvoir social, le génie humain brisera ainsi tout rempart obstruant les chemins menant vers l'apogée enivrante de la domination, de l'asservissement de son semblable et de la soumission de tous, il en fera des impératifs de défis. De la masse d'individus, de la majorité et des autres, il en usera à satiété. Son ingéniosité devenue insatiable car maléfique et immodérée travaillera uniquement son strict ego. Autrement dit, le pouvoir limite le pouvoir d'autrui et accentue leurs responsabilités, selon la graduation de l'échelle des proximités, des intérêts et des conjonctures. Il est le seul à régenter les rangs ou les disperser pour plus de rangement. La situation de confort du pouvoir qu'il s'est offert ne l'émeut point. Mais fait encore pour nécessité d'allégeance, graviter autour de son trône une multitude de personnes à la recherche de bribes et de détritus émanant de l'exercice de ce pouvoir. Les charognards politiques sont multiples et s'offrent à profusion. Ils s'arrangent toujours pour être le plus souvent aux abords des offres de services.

La plupart des régimes qui ont fait paître les peuples à travers les âges, n'ont évolué que par une sorte de fatalité. Les raisons qui ont pour nom la stabilité, l'ordre public, la souveraineté nationale et la menace de l'ennemi rapportent beaucoup plus dans des organisations qui ne se bâtissent que sur le socle de la crédulité. Par ces concepts forçant à l'excès un juridisme politique, les peuples s'enfoncèrent davantage dans la soumission et l'abandon vis-à-vis du pouvoir tutélaire qui les anime, impulse et les oriente vers les « voies du progrès ». C'est de cette totale soumission que naissent les résignés en même temps que se terrent les bonnes volontés. La révision du texte actuel de la Constitution apporte tout de même une certaine fraîcheur pour renouveler l'espérance collective. Ainsi le « pouvoir » vient de s'organiser pour pouvoir organiser ses périphéries.

Dans la théorie générale du pouvoir en tant que puissance d'action positive ou négative, rien n'est absolu et tout n'est donc que corrélatif. Un pouvoir ainsi défini ne peut entraîner de responsabilités pour son titulaire en termes de charges qui découlent de son exercice. Par contre, chez une autre personne investie d'un « pouvoir » de faire ou de ne pas faire, de laisser faire ou non, suppose l'obligation d'assumer, de supporter individuellement toutes les situations fatales des actes faits ou non inaccomplis. Un sénateur ou un député n'exerce l'officialité de ses missions que par la levée de mains. Il ne signe rien, il n'engage pas sa personne de par une règle juridique contraignante. Il fait de la politique en étant assis. C'est cette autorité qui n'est point sertie de la responsabilité que tout « le monde » cherche et recherche comme prophétisait Nietzsche en disant « ils veulent tous le pouvoir, tous rêvent d'approcher le trône, même dans la vase ». Ainsi le pouvoir ne se cantonne pas dans un glossaire hautement sphérique ni soit l'apanage d'appareil institutionnels de la haute hiérarchie ou du sommet de l'Etat. Il est un rêve éternel de l'homme qui se croit éternel. Feu Boumediene voulait que la responsabilité soit une charge et non un titre honorifique. Feu Ferhat Abbas avertissait « qu'en régime présidentiel, quelles que soient les bonnes intentions du président, le danger d'un pouvoir personnel reste présent.» Les deux hommes ont été l'un et l'autre des hommes de pouvoir, ont eu le pouvoir et bien d'autres par le pouvoir les ont séparés.

Bouteflika a fait sa Constitution. Juridiquement, elle traduit pour lui une finalité qui va prendre fin à la fin de son mandat. Il aura fait ce qu'il devait faire dans un climat qui manque d'assurance et prête à inquiétude. Rien ne prédit qu'elle ne sera pas amendée. A ce niveau de responsabilité, l'on ne pratique pas les actes rituels de la bonne gestion. Cette attribution reste dévolue à un groupe de tâcherons gouvernementaux. Ainsi, tout le sens du texte n'aurait de valeur globale que s'il venait à se mettre en pratique par ceux-là mêmes qui l'ont chuchoté, suggéré ou défendu. Ou ceux appelés et auto-engagés à le dérouler en réalisation. La sacralité de ce texte aussi solennel ne devra pas se couvrir d'anathèmes ou d'actions rédhibitoires à commettre par les textes subséquents qui s'imposent. Elle doit être mise à profit afin de moraliser les mœurs politiques et partant permettre l'émergence d'une société attentive à la légalité et à la loyauté envers l'Etat, pas plus. Car c'est à cet Etat qu'échoit la responsabilité de mener à bon port l'aspiration populaire. Maintenant, dans le nouveau monde, le pouvoir ne cherche plus à s'exercer dans l'isolement ou dans le strictement personnel. Toutes les stratégies liées à ce volet disposent que la force d'agir doit s'invertir dans l'action interactive. On doit agir de concert et dans l'interopérabilité avec l'ensemble des acteurs faisant le cycle de gouvernance. L'opposition, les voix contraires, les indécis, les attentistes sont tous impliqués qui par la contrariété, qui par la diversité, qui par la neutralité ; tout le monde est rivé à la même planche qui ne cesse de surfer sur un océan mouvementé.

La Constitution ne va pas régler les contrecoups socio-économiques dus à l'affaissement du matelas financier du pays. Elle n'a pas cette aptitude actionnelle de pouvoir régenter les mécanismes amorphes d'une industrie ou d'une agriculture encore en état de léthargie. Elle ne peut, en tant que fondement légal d'une république dite nouvelle de parer aux insuffisances que révèle l'indéfinition de stratégies globales dans des secteurs névralgiques. Si elle vient régler l'équilibre des pouvoirs, elle demeure toujours sujette à l'impératif de faire sortir la tête du trou qui se noircit davantage. Pourtant les aubaines sont là. Les atouts tout segment confondu dont prédispose le pays au plan de l'intelligence, de la richesse géostratégique et de la crânerie nationaliste sont toujours présents à l'appel patriotique. Ils peuvent permettre le sursaut sélectif et salutaire. Il suffit de tabler sur la bonne sève, de mettre à contribution l'énergie personnelle de la compétence nationale. C'est presque comme une feuille de match. On a beau avoir le meilleur manager, la tactique la plus élaborée, si les membres de l'équipe n'apportent pas grand-chose ou souffrent pour certains d'entre eux de rupture de ligaments, d'inadaptation au poste ou de simple figuration.

Ainsi, il est permis de dire qu'être ministre est un métier et non un apprentissage. L'on ne vient pas faire ses stages, ni ses débuts aux dépens de la nation. Il est constatable ailleurs que lorsqu'un ministre s'amène il est déjà précédé par sa notoriété. Ce sont ses gloires et ses prouesses dans la gestion qui le devancent. En poste, il n'aura qu'à confirmer le sentiment positif que l'on se faisait de lui. Or, il est tout aussi constatable qu'ici l'on n'affirme sa notabilité ministérielle qu'une fois le poste pourvu. Un chirurgien émérite de renommée mondiale ne pourra pas faire un bon ministre de la santé s'il manque de culture élémentaire de gestion. Un brillant écrivain ou un illustre journaliste ne peut lui également avoir l'apanage d'un bon ministre du secteur s'il n'arrive pas à savoir rallier l'écriture aux critères du commandement. Un pactole d'autorité, de connaissance de procédures, de culture politique et surtout de conviction sont exigibles à ce rang d'implication. Ce conditionnement politico-professionnel ne semble, au demeurant, être approprié qu'aux titulaires de départements ayant fait leur longue expérience dans les postes de wali. Donc un regard plus adéquat et plus managérial est à porter dans les critères du choix et de la désignation des futurs artisans de l'ambition constitutionnelle. Faire la différence entre un pur technicien d'une chose et un technocrate dans la même chose, c'est déjà avoir la bonne main. Si le premier n'est qu'un spécialiste, le second est censé pouvoir fédérer professionnalisme et gestion politique. La révision vient d'ouvrir de grands chantiers et avec une grosse aspiration. Tout l'espoir est lié au passage de l'examen itératif, de ce concours qui va se répéter chaque instant, tout le long de la chronologie. Ne pas échouer, ne pas décevoir s'élève comme un défi à remporter sans risque de se tromper ni de persister dans l'erreur de l'écrit ou de l'oral. Le jury est très regardant en cette étape cruciale.