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La domination n'est pas forcément violente, elle peut même être douce

par Farouk Zahi

Toute classe qui aspire à la domination doit conquérir d'abord le pouvoir politique pour représenter à son tour son intérêt propre comme étant l'intérêt général. (Karl Marx)

« Pour comprendre le fonctionnement et les contradictions de notre société, il est pourtant indispensable de savoir qui la dirige et qui en profite effectivement. L'approche de la classe dominante est prudente et discrète. Le simple fait de noter qu'elle est très restreinte et d'analyser ses composantes relève de la subversion ! Ce petit monde est constitué des milieux d'affaires, des hauts fonctionnaires et des politiciens des sommets de l'État et de quelques personnalités médiatisées de toutes disciplines. Ces dominants sont en osmose, proches d'une caste à la fois diverse et homogène. Cette petite communauté est opaque pour tout le reste de la population : on ne connaît pas ses revenus réels ; on n'imagine pas son mode de vie, on ignore les moyens qu'elle emploie pour se pérenniser. Vouloir la rendre transparente (ce qui est un désir rare, car on préfère ausculter avec moins de risque la pauvreté) est assimilé à une agression politique destructrice de l'ordre public et qualifié de populisme anti-élitiste ! Les relations public-privé, argent-pouvoir, politique et médias, clés des «réussites» individuelles «doivent» échapper à la transparence et donc à tout contrôle. La corruption (de formes variées) qui y règne échappe souvent aux procédures judiciaires qui s'enlisent faute de détenir les clés probantes. Il est difficile d'en pénétrer la réalité profonde » Fin de citation.

Ce constat, fait sans complaisance aucune, est une partie, combien édifiante, d'une analyse faite par Robert Charvin, professeur émérite et ancien doyen de la faculté de droit de Nice, dans un article intitulé « A propos des dominants » publié par Invest'action du 08 janvier 2016. L'aimable lecteur aura constaté à la lecture de ce qui précède, que la similitude entre la situation décrite et celle que nous vivons présentement est frappante sur plusieurs registres, qu'ils soient politiques, économiques, judiciaires ou médiatiques.

L'auteur qualifie cette jonction de petit complexe politico-médiatico-affairiste et c'est peu dire, car cette hydre ne va pas se limiter à satisfaire des objectifs d'ordre matériel seulement, mais bien plus que çà. La domination dans toute son abjection sera la clé de la réussite ayant pour finalité les cénacles de la décision souveraine. La nébuleuse, dotée d'un instinct hégémonique, à l'instar de la gent faunesque, délimitera son territoire d'évolution qu'il sera difficile aux intrus d'en violer les barrières ou même d'en dénoncer le spectre. Cette analyse limpide lève le voile sur cet underground dont nous ne percevons pas clairement les contours. Il semble, même, que se soit le standard dans toutes les sociétés modernes, car la France dont-il parle fait partie de ce monde dit éclairé, sauf que chez nous, cette approche pèche par son côté rustiquement gauche. Voila que par le seul miracle de l'entregent et de l'argent, un personnage, hier inconnu, est propulsé au sommet de l'Etat pour occuper le poste de vice-président de la Chambre basse du Parlement et il n'est pas lui seul l'exception, me dira-t-on. Le parti historique d'hier, chantre de l'équité sociale et de la réappropriation des richesses nationales, devient du jour au lendemain, le porte-voix d'un libéralisme débridé conduisant à une inéluctable anomie.

Parti, jadis, des sans-terres et des prolétaires, il devient, aujourd'hui, le refuge des gros propriétaires terriens, des barons de l'agroalimentaire et des dignitaires de l'import-export. Et ce n'est, certainement pas, l'historicité du vieux parti qui en est l'explication, mais bien les tribunes qui ouvrent la voie aux différents podiums électifs et pourquoi pas exécutifs. Robert Charvin en dit d'ailleurs ceci : «Cette classe dirigeante parce que dominante, vivant sur une autre planète que celle du reste de la population, a une haute considération pour elle-même et un grand mépris pour ceux qui n'appartiennent pas à cette «élite» autoproclamée».

Qualifiée de caste par l'auteur, la nébuleuse n'admet aucune remise en cause : «Vouloir la rendre transparente est assimilé à une agression politique destructrice de l'ordre public et qualifié de populisme anti-élitiste !»

N'assistons-nous pas à une véritable curée menée contre la responsable d'un parti qui a osé dénoncer des alliances contre nature entre le monde des affaires et celui de la politique ?

Livrée aux gémonies de la vindicte médiatique et aux tentatives d'implosion organique de son parti par toutes sortes de moyens «légaux», cette vaillante responsable de parti tente dans une sorte de dramaturgie cornélienne d'annihiler les multiples assauts qui viennent de toutes parts? mais, pourra-t-elle encore tenir face à ces attaques en bon ordre ? Elle ne sera, malheureusement, pas la seule à subir les assauts rageurs d'une caste qui recourt à la félonie acrimonieuse et à la remise en cause. Des personnages, connus pour avoir traîné des casseroles du temps du lustre de leurs fonctions, reviennent de leur exil doré pour souffler encore sur le brasier à peine éteint. Robert Charvin continue pour dire encore : « ? On assimile difficilement le fait que toute pensée critique est ultra minoritaire, sauf en d'exceptionnelles périodes. On est surpris de la faiblesse des opposants à ce système pourtant oligarchique ». La clairvoyance de l'auteur n'a d'égale que la maîtrise du sujet qu'il soumet au débat et pour lequel il ne suppute pas, mais affirme son intime conviction. Son argumentaire participe plus de la démonstration mathématique que d'une réflexion philosophique.

Pour revenir au parti livré à la meute, on commence par jeter l'anathème de l'apostasie, sachant que la société algérienne est intraitable en matière de religieux, ensuite c'est au tour de la résistance à la liberté d'entreprendre faisant croire que le dogmatisme collectiviste est une entrave au développement économique-occultant sciemment le modèle chinois- et pour couronner le tout, on lâche la bride à la délation par médias interposés.

A propos de médias, ces chaînes satellitaires privées foisonnantes, sont-elles là pour informer ou pour régler les comptes à ceux et celles qui se rebiffent contre l'ordre nouveau ? Il semble bien que c'est la deuxième option qui remporte le suffrage de leurs propriétaires aux ordres de leurs commanditaires. Comme la transparence n'est pas la première vertu de ce microcosme opaque, on apprend au détour d'une discussion que telle ou telle chaîne appartiendrait à tel ou tel magnat du goudron ou du couscous. Artisans au départ, devenus entrepreneurs par la grâce de marchés publics généreux, ils postulent présentement au transport aérien, à la distribution de l'énergie et même au secteur de pointe de la médecine nucléaire. Surfaite, leur image les renvoie aux sombres années de la dèche où ils refusent crânement d'y retourner quitte à user de perfidies. De par leur position politico-affairiste qu'ils ont acquise de haute lutte, ils s'attaquent même à ceux qui, hier, étaient considérés comme intouchables voire même mystico-mythiques.

Ainsi, les dominants d'hier, investis par leur seule autorité régalienne ou historique, cèdent le pas sous la contrainte de la puissance de l'argent à une ploutocratie qui dit n'avoir peur de personne. Les filles et les fils, qu'on appelait hier ceux de la Toussaint, sont livrés pieds et poings liés à la disgrâce au crépuscule d'une vie dont l'aube était des plus incertaines. Sacralisés par une lutte sans merci contre une occupation coloniale des plus abjectes, ils subissent, présentement, en guise d'hommage reconnaissant, le déni d'un révisionnisme qui n'a pas encore livré tous ses secrets.