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Syrie : difficiles négociations d'apaisement à Genève

par Pierre Morville

Les échanges à Genève via l'Onu entre le régime et l'opposition syrienne semblent laborieux

« Va-t-on vers un début de solution politique en Syrie ?» s'interroge Didier Billon, chercheur à l'Iris à propos de la conférence de Genève sur la Syrie qui a débuté ce week-end. Les débuts en tous cas ont été très laborieux. Jusqu'à vendredi, les opposants à Bachar al-Assad affirmaient qu'ils boycottaient la conférence organisée sous l'égide de l'ONU. «Les négociations de paix sur la Syrie, avant même d'avoir commencé, sont un échec», tranchait alors un diplomate occidental interrogé par Le Nouvel Observateur.

Dès l'annonce de l'ouverture du Sommet, le HCN, le Haut Comité aux Négociations, fondé en décembre dernier à Riyad, en Arabie saoudite (qui rassemble une trentaine de représentants de l'opposition syrienne au régime de Bachar al-Assad), menaçait de le boycotter tant que l'ONU n'aurait pas garanti la mise en place de mesures humanitaires, condition et préalable à toute transition démocratique éventuelle. Le département d'Etat américain a cependant fait pression sur les opposants les invitant à saisir cette «chance historique» d'obtenir un cessez-le-feu et d'accroître ainsi l'aide humanitaire aux populations civiles.

Samedi soir, les négociateurs du HCN ont donc finalement atterri en Suisse pour assister aux discussions. Pressé par l'ONU et les grandes puissances occidentales, le HCN n'a finalement pas voulu prendre le risque d'être tenu pour responsable de l'échec des discussions et s'est présenté à Genève pour faire face aux représentants du régime central de Damas.

Les premières discussions commencées en 2014 avaient totalement échoué et celles qui reprennent avec difficultés sont très loin d'aboutir. D'autant qu'entre ces deux dates, Daesh s'est emparé d'une partie importante de l'Irak et de la Syrie.

LA SYRIE EN RUINE

Sur le terrain, la situation est toujours aussi dramatique : 250.000 morts, 4 millions de personnes sur la route de l'exil, la moitié de la population déplacée, la plupart des villes ayant subi d'intenses combats et bien sûr une activité économique au point mort. Les partisans d'Al-Assad refusent de constater l'état de guerre qui règne dans le pays et persistent à parler de «lutte contre le terrorisme». A ce titre, note le site «Aujourd'hui la Turquie», «ils pointent du doigt l'absence de crédibilité du HCN, affilié à certains groupes salafistes comme Ahrar al-Sham ou Jaish al-Islam». L'Armée de la conquête, principalement composée du Front Al-Nosra, filiale syrienne d'Al-Qaïda, des salafistes de Ahrar Al-Sham et de quelques autres groupes, et soutenue par l'Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie, a des comportements sur le terrain qui ne diffèrent guère de ceux de Daesh. Du côté des opposants modérés au régime de Bachar, par division en son sein et par faiblesse en matière de moyens, «l'Armée syrienne libre ne fait plus illusion et s'avère aujourd'hui être plus un sigle qu'une entité combattante hiérarchisée et dotée d'une véritable chaîne de commandement», note Didier Billon.

Sur le plan des grandes puissances, on assiste à des modifications tactiques sinon de stratégie. Le blitzkrieg triomphant de Daesh qui a conquis en quelques mois un territoire aujourd'hui à la taille du Royaume-Uni (soit environ 40% de l'Irak, pour 170.000 km2, et 33% de la Syrie, pour 60.000 km2), inquiète beaucoup les Etats-Unis qui ont décidé d'organiser un vaste front international contre l'Etat islamique. L'intrusion de la Russie dans le dossier syrien a également profondément modifié celui-ci et notamment les rapports de force existant entre les belligérants, depuis les interventions aériennes russes qui ont débuté en septembre 2015. La Russie a annoncé hier qu'elle ne cesserait pas son intervention militaire en Syrie avant d'y avoir «réellement vaincu» les groupes «terroristes».

Les troupes de Bachar al-Assad données quasiment battues à l'été dernier, ont conforté leurs positions et en ont même conquis de nouvelles, au détriment des opposants islamistes ou dits «modérés». Mêmes «les djihadistes de l'Etat islamique sont visiblement sur la défensive, précise Didier Billon. Non seulement ils ne parviennent plus à élargir le territoire qu'ils contrôlent, mais ils ont en outre perdu au cours des derniers mois quelques villes importantes, reprises par les milices kurdes, et semblent, par ailleurs, commencer à connaître quelques difficultés financières».

Depuis le début de la guerre civile, les forces kurdes sont en effet au cœur du conflit : elles sont le principal soutien au sol de la coalition internationale contre Daesh, mais elles luttent également contre d'autres groupes djihadistes, les forces rebelles syriennes, voire contre le régime central de Damas : «En réalité, les Kurdes syriens ne se battent que pour eux, et leur montée en puissance, doublée à la reprise des combats contre le PKK, fait craindre au gouvernement turc l'émergence d'une grande région kurde autonome et puissante à sa frontière», analyse le site Aujourd'hui la Turquie.

L'un des nombreux points problématiques de la conférence est l'absence de représentation officielle kurde. Ni le PYD, le Parti de l'Union Démocratique, parti kurde syrien, ni sa branche armée du YPG ? Unités de Protection du Peuple ? n'ont été conviées à Genève. La Turquie avait promis de boycotter le Sommet si ces organisations y prenaient part, tandis que la Russie ne cesse de clamer qu'il n'y aura pas d'issue politique possible sans leur participation.

AVEC OU SANS BACHAR ?

L'absence des Kurdes n'est que l'une des impasses temporaires de la Conférence de Genève. L'une des principales difficultés réside dans le fait qu'il ne s'agit pas d'une négociation directe entre les différentes parties mais d'une tentative de l'ONU, par des rencontres séparées, de trouver éventuellement les bases d'un début de positions communes. Pas facile : l'émissaire de l'ONU, Staffan de Mistura, devait rencontrer dans la journée la délégation du gouvernement dirigée par Bachar Djaafari, représentant permanent de la République arabe syrienne aux Nations unies, «il continuera par la suite ses rencontres avec d'autres participants et avec les représentants de la société civile», ajoute l'ONU dans un communiqué, rappelant qu'il s'agit de discussions de «proximité», c'est-à-dire séparées. Pas facile pour faire des positions aujourd'hui totalement antagoniques.

Bachar al-Assad revient de loin et sa position ne tient pour beaucoup qu'au soutien de Moscou et de Téhéran. En revanche, tous ses opposants réclament son départ comme condition. Il n'a pas donc grand-chose aujourd'hui à perdre, à refuser tout compromis. Ses opposants sont partiellement regroupés dans le Haut comité de négociation, créé au début du mois de décembre 2015, composé d'une centaine de membres, dit groupe de Riyad, parce que soutenu et sponsorisé par l'Arabie saoudite, «le HCN arrive, a contrario, en position de faiblesse, puisque après avoir refusé de participer aux pourparlers de Genève, il a accepté d'y venir in extremis, ce qui est révélateur de ses divisions et de sa faiblesse politique», note le chercheur de l'IRIS.

Et enfin, après toutes ses difficultés, que peut décider en final cette conférence de Genève ? Un cessez-le-feu général ? Inimaginable. Des interruptions des affrontements armés dans certaines régions ? Il faut l'espérer pour les populations. La résolution 2254 du Conseil de sécurité des Nations unies, adoptée le 18 décembre 2015, prévoit notamment un cessez-le-feu, la levée des sièges qui frappent plusieurs villes du pays, l'acheminement de l'aide humanitaire et la libération de détenus. La résolution de l'ONU requiert également un gouvernement transitoire sans clarifier précisément s'il se ferait avec ou sans Bachar al-Assad. Au regard du HCN, Bachar devra quitter le pouvoir d'ici six mois, au profit d'un organe de gouvernement transitoire ayant les pleins pouvoirs exécutifs (comme le prévoyait déjà la résolution dite de «Genève 1» de juin 2012). «Les partisans du régime considèrent, pour leur part, qu'un gouvernement d'union nationale devra être formé au bout de six mois et que le sort du président Assad serait tranché lors des élections prévues dans dix-huit mois. Les approches sont donc radicalement contradictoires», précise Didier Billon.

La question se cristallise aujourd'hui sur le sort de Bachar. Ses opposants, l'Arabie saoudite, les pays du Golfe, la Turquie, réclament son départ et en font même un préalable à tout processus de paix. Les Etats-Unis cependant n'en font plus leur ennemi principal, puisque cette place est aujourd'hui occupée par Daesh. La Russie et l'Iran le défendent. Plus largement, dans une situation où plusieurs factions se livrent une guerre sans fin, sauf renversement d'alliance (introuvable : de qui avec qui ?), ou une intervention militaire des grandes puissances tout aussi improbable, le statu quo dans une Syrie en ruines risque de durer. Les discussions de Genève ont de fortes chances de rester très laborieuses. Au détriment de la situation dramatique des populations syriennes.

ROHANI-HOLLANDE : «OUBLIONS LES RANC?URS» !

Après l'Italie, le président iranien Hassan Rohani a poursuivi le 28 janvier sa mini-tourné européenne à Paris. Il a, lors de ses différentes déclarations publiques, sévèrement critiqué l'Arabie saoudite (les deux pays viennent de rompre leurs relations diplomatiques, Yémen oblige) et pris la défense de Bachar al-Assad.

Dans une interview au Monde, après avoir accusé Riyad de financer l'Etat islamique, le président Rohani a déclaré : «En Syrie, ceux qui commettent les crimes sont les terroristes, ils décapitent les innocents, commettent des massacres. Ce sont eux les criminels. Il faut les détruire, les éradiquer (?) A court terme, il n'y a pas d'autres solutions que Bachar al-Assad. Si nous voulons combattre le terrorisme, il faut une armée syrienne qui ne peut faire son travail sans un gouvernement central solide».

Pour le reste, la rencontre du président iranien et de François Hollande (qui souhaite, lui, le départ rapide de Bachar), fut étonnement cordiale. «Oublions les rancœurs», a lancé Hassan Rohani devant les industriels du Medef lors de sa visite de 24 heures en France. Six mois après la signature d'un accord historique sur le nucléaire qui a permis la levée des sanctions imposées à l'Iran, «nous sommes prêts à tourner la page (...) entre nos pays», a affirmé Hassan Rohani devant un parterre d'hommes d'affaires attirés par les potentialités du marché iranien.

«Oubliée l'insistance française à durcir l'accord nucléaire! Oublié le tropisme sunnite de Paris en faveur des monarchies du Golfe!», note Le Figaro. «L'Iran peut compter sur la France», a répondu le Premier ministre Manuel Valls au président Rohani, en appelant de ses vœux des partenariats de longue durée. C'est ce que souhaite d'ailleurs Téhéran.

L'un des objectifs de la tournée européenne était en effet de donner un signal aux investisseurs étrangers. Les patrons présents à délégation du Medef reçue par le président Rohani en ont eu la larme à l'œil : parti sous la pression de General Motors lors de négociation de fusion qui n'aboutirent pas, PSA fait son retour officiel en Iran où il représentait un tiers du marché local. Un retour peut-être en coopération avec Renault.

C'est aussi l'occasion de l'une des plus grosses commandes de l'histoire d'Airbus : pas mois de 118 appareils ! Le pétrolier Total a également signé un contrat pour l'acquisition de 150 / 200.000 barils / jour. Trois futurs aéroports iraniens sont confiés à Aéroports de Paris et Bouygues. Et même des contrats dans le maritime avec l'armateur marseillais CMA-CGM dans le ferroviaire avec Alstom et la SNCF... N'en jetez plus ! La cour est pleine !