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Abdou B, un parcours exemplaire, une trajectoire magique

par Mohamed Bensalah

Alger commémore le 4e anniversaire du décès de Benziane Abdou, Abdou B. pour les intimes, citoyen de cœur et d'esprit, être d'exception de la sphère culturelle et figure marquante de la scène médiatique algérienne.

A l'initiative de l'association A nous les écrans et en étroite collaboration avec les JCA (Journées cinématographiques d'Alger), une cérémonie commémorative sera organisée ce jeudi au Mouggar à l'occasion de la 6e édition du festival. « Que faut-il donc à notre cinéma pour s'épanouir et s'imposer sur les écrans ? Un climat de démocratie, des moyens adéquats, une égalité devant le travail, le droit au travail, une législation socialiste et une politique de formation ». Ainsi s'exprimait le cinéphile au charisme exceptionnel qui, dans un climat d'hostilité manifeste, a su se distinguer, s'affirmer et s'imposer. « Qu'avons-nous fait ? », écrivait-il dans ce 5e numéro de la revue « Les Deux Ecrans » paru le 5 juillet?1978. Il poursuit : « La création cinématographique, de l'écriture d'un scénario jusqu'au film achevé, suppose, pour un produit de qualité, un climat démocratique? Un cinéma vivifiant, critique et de grande qualité n'est faisable qu'avec le respect de la liberté d'expression des cinéastes...

Ainsi s'exprimait Abdou B, il y a 37 ans. Depuis lors, rien, ou presque, n'a fondamentalement changé.

Difficile de parler au passé de ce défenseur de la démocratie culturelle, fervent partisan d'une vision progressiste des médias et du 7e art ! Si discrètement il nous a quitté, son esprit et ses idées demeurent, à l'instar de ceux des grands militants de la culture nationale. Qu'attend-on pour réunir et publier ses écrits, ses analyses et ses chroniques qui ont beaucoup contribué à l'émergence d'une culture iconique et à l'ouverture du champ audiovisuel ? Quelle trajectoire magique ? Quel destin paradoxal que celui de cet enfant de Barika ? Refusant de croire au naufrage culturel de son pays, le jeune lycéen de Sétif, qui respirait la simplicité et la gentillesse, n'était pas homme à baisser les bras dans un pays où les horloges culturelles et artistiques tournaient à l'envers. L'étrange battant, persuadé que le déclic salvateur au sein des arcanes culturels était proche, écartait d'un tour de bras l'amertume, la rancœur, le ressentiment. L'université d'Alger lui ouvre ses portes. Animé par un désir irrépressible de communiquer, il opte pour les sciences de l'information et de la communication. Ses premiers écrits datent de cette période avant de pénétrer, comme par effraction, les arcanes du 7e art qui l'a toujours fasciné.

Il activera d'abord au sein de la Revue de l'ANP El Djeich, avant d'en assurer la rédaction durant une décennie (1967-1977). Mais le rêve et la magie vont l'attirer irrésistiblement. Il ne pourra s'empêcher de plonger sa tête dans leurs nuages avant d'affronter l'éclat des lumières et l'attrait irrésistible de la scène cinématographique. Le fondateur de Les Deux Ecrans (1977-1985) va s'entourer de plumes d'exception : Walid Chmeït, Guy Hunebelle, Khemais Kheyati, Réda Bensmaaia, Mouny Berrah, Azzedine Mabrouki, Ahmed Bedjaoui, Boudjemaa Kareche, Ignacio Ramonet?Sa présence singulière et forte comme rédacteur en chef de cette revue nous stimulait. Porté par sa passion, il voulait réaliser un rêve : rendre à nos écrans leurs lettres de noblesse, malgré le quotidien sordide et les malheurs endurés par les Algériens durant la quinzainie noire. Il fut ensuite (1985-1989) rédacteur en chef de l'hebdomadaire Révolution africaine, avant de s'impliquer dans le MJA (Mouvement des Journalistes Algériens), après Octobre 1988. Il sera ensuite propulsé au poste de directeur de la télévision algérienne à l'époque du gouvernement Hamrouche (1990-1991). Son souci : réconcilier la télévision algérienne avec son public. Malgré toutes les pressions de l'époque, il est arrivé à faire sortir le petit écran de l'ornière dans laquelle on l'avait longtemps confiné.

Se souvenant de cette période, il disait « C'était le temps des plumes avant celui plus triste des actionnaires ». Il sera à nouveau sollicité en 1993 pour reprendre les rênes de la télévision au moment où cette dernière comptabilisait une vingtaine de décès de journalistes, fonctionnaires et techniciens, victimes d'actes terroristes. L'art et la culture étant à nouveau appréhendés avec une certaine condescendance et n'ayant plus les coudées franches, Abdou B déposera sa démission après une année de vaines tentatives. L'infatigable manager collaborera ensuite à plusieurs journaux (entre autres La Tribune et Le Quotidien d'Oran) et participera à de nombreuses manifestations culturelles. Billet après billet, ses écrits vifs et acerbes affineront son talent de chroniqueur. Sa passion pour le cinéma ne s'apaisera pas pour autant. « L'homme libre », comme le surnommait son collègue Abed Charef, disait : « Je m'opposerai toujours à ce que l'on fasse taire un intellectuel, en Algérie, en France ou ailleurs » et « ce qui est déterminant, c'est ce qui se dit et ce qui se fait chez moi ».

Tous ceux qui ont lu le chroniqueur de talent, l'homme réservé, le grand critique de cinéma, adepte du travail et de la rigueur, tous ceux qui l'ont approché de près ou de loin savent bien, comme le disait Nacer Mehal, que « c'était un homme d'action, un rassembleur, un mobilisateur et un fervent défenseur d'une Algérie plurielle et démocratique ». Nous garderons de ce véritable chevalier de la plume, de cet homme de cœur audacieux et téméraire, un souvenir impérissable. « Le respect et une profonde estime, ce sont les sentiments que je retiens lorsque je pense à cet homme qui restera comme l'une des pièces-clés du puzzle audiovisuel algérien à ses heures de gloire », disait de lui Ahmed Bedjaoui. Nous ne sommes pas près d'oublier l'homme dont le seul espoir était de réveiller le monde médiatique et audiovisuel. Il était le talent et l'intelligence réunis. Il aura marqué le paysage audiovisuel du pays en donnant le meilleur de lui-même. Mais, de battre son cœur s'est arrêté un 31 décembre, à 67 ans. Il manque beaucoup à ses trois enfants, à son épouse, à sa famille, mais aussi à ses amis, à ses lecteurs et à toute l'Algérie. Repose en paix, cher frère !