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Au nom du père, du FIS et du simple d'esprit !

par Chaalal Mourad

«Pour écrire l'histoire, il faudra d'abord en témoigner, et pour le faire, il n'y a pas mieux que d'écouter les protagonistes qui ont provoqué ou géré ces événements. Au bout du compte ou de ce conte, leurs témoignages ne seront, finalement, que matières pour les historiens qui, avec le recul requis, croiseront les vérités et confronteront les versions. Laissez donc les vieux aigles glatir et ceux qui ont du vague à l'âme, répondre les uns aux autres. Et ce n'est certainement pas les quelques rappels à la réserve qui vont les dérider ou les dissuader.»

Le Pouvoir parle de l'opposition comme une force inexistante sur terrain, il trouve que celle-ci, n'a aucune assise populaire et ne représente donc, qu'elle-même et ses leaders. Ce jugement, si dur et oh ! Combien dépréciatif, stigmatise l'opposition algérienne, vise à jeter le doute sur son efficacité sur terrain, sa capacité de mobilisation et l'appui populaire dont elle prétend bénéficier pour aller de l'avant dans ses thèses et les projets qu'elle prévoit pour l'avenir de l'Algérie. Face à une opposition déchirée et non représentative, toujours, selon le Pouvoir ; ce dernier, ne se sent absolument pas obligé donc de traiter ou de négocier quoi que ce soit avec elle.

Afin de remédier à cette tare, une grande partie de l'opposition a formé en juin 2014, «le CNLTD», c'est-à-dire, la coordination nationale pour les libertés et la transition démocratique, ainsi ; laïcs, islamistes, nationalistes, progressistes et même d'anciennes figures du Pouvoir, tous ont partagé la même table ; ce que je trouve, d'ailleurs, très bien pour le vivre ensemble et la santé politique du pays. Selon elle, cela était primordial, afin d'unir la voix, face à un Pouvoir souffrant d'otite et d'autisme qui ne parle qu'avec lui-même et devient complètement sourd, voire même, colérique, quand on lui parle de transition et le plus important, c'est qu'il considère que cet agroupement politique, comme un Sant»Egidio bis, qui vise à réhabiliter le FIS.

D'une part, et sur le plan de la mobilisation populaire et en dépit de cet assemblage politique oh ! Combien nuancé et controversé, l'opposition reste toujours, en carence. Ce qui représente pour elle, une faiblesse qui la fragilise, aussi bien aux yeux du Pouvoir, que ceux de l'étranger qui observe. Elle peine donc à consolider l'image d'un interlocuteur fiable et assez représentatif d'une large volonté du spectre national, dans toute sa diversité. De l'autre, demander tant de choses à la fois, à une opposition aussi jeune que la nôtre, relève, à mon avis, du non-sens.

La création du FIS, parti à connotation religieuse, en 1989, à côté d'un autre qui renvoie implicitement aux mouvements berbéristes, le RCD, a été, pour le moins que l'on puisse dire, constitutionnellement incohérente ; mais la manœuvre de neutralisation des uns par le biais des autres, primait à cette époque-là. Depuis, les choses ont bien évolué. Le RCD porte, désormais, les problèmes de toute la nation et ne se cotonne plus à une région ou à une couleur culturelle précise. Théoriquement, nos islamistes affichent, eux aussi, une évolution positive. Ils disent admettre, dorénavant, les principes de la démocratie, de l'égalité entres citoyens, et la référence à la constitution consensuelle, au mépris de toutes autres références extra constitutionnelles qui leur tiennent à cœur. Affaire à suivre...

Le FIS, formation politique, novice à l'époque, faillit à un certain moment, tirer le tapis sous les pieds du FLN, ce parti unique, à leader et à pensée unique, ancré dans les interstices de la société depuis 1954, se considérait comme le fils unique, légitime et gâté de la république algérienne, le chouchou de ses parents ; le peuple et l'armée. Malgré son retrait du comité central du FLN, en mars 1989, et théoriquement du champ politique, que certains, le qualifient encore, de tactique ; l'armée se voit plus proche du FLN, avec lequel elle a partagé le pouvoir depuis 1962 ; qu'à toute autre formation politique. La lettre de félicitations du chef d'état-major au secrétaire général du FLN, venait, selon eux, le confirmer. Selon les sceptiques ; la nouvelle configuration, impose à l'armée de se tenir désormais, en arrière-plan de la chose politique, son rôle «politique», ne devrait pas être trop voyant au point d'être durement critiquée ni trop absent, au point d'être tout le temps sollicitée.

Bien qu'il se donne encore, le mérite de l'ouverture du champ politique en Algérie, à vrai dire, qui a été imposé par les événements du 05 octobre 1988. Le FLN, qui a présidé aux destinées du pays depuis 1962, ne pouvait concevoir un partage du pouvoir avec d'autres formations politiques, quelle que soit leur couleur politique et encore moins, se voir lui-même dans l'opposition. Le FLN, en est allé au point de se défaire de son secrétaire général, feu Mehri ; pour se démarquer de ses positions à l'encontre de l'arrêt du processus électoral de 1992 qui a sanctionné et déclassé le FLN et failli donc le jeter à l'opposition mais aussi, pour sa participation à Sant'Egidio et bien évidemment, son opposition à la politique du «tout répressif», mené par le pouvoir.

Pour rappel : hormis deux partis politiques, tous les participants à Sant'Egidio, étaient idéologiquement en désaccord avec le FIS et le modèle de société qu'il proposait pour le pays. Mais les dangers qu'ils pressentaient aussi bien, des durs et de la base de cette mouvance qui, devenant de plus en plus, incontrôlables et agités, posaient vraiment problème ; que de l'idéologie militaire russe de certains de nos généraux «janviéristes » et qu'ils connaissaient assez bien. Ils voulaient donc, épargner au pays et au peuple, tant de périls et de malheurs. La tournure des événements leur a donné raisons.

En 1997, le RND, parti, que beaucoup d'analystes considèrent comme un clone in vitro du FLN, créé sur le pouce, dans un contexte de pression internationale sur le régime, jadis sous un embargo étouffant et pour «naniser» en quelque sorte, l'opposition interne, qui ne cessait de proclamer plus de droits dans l'exercice du pouvoir. À l'Instar de l'Espagne, de la France ou même de l'Amérique ; le bipartisme algérien, n'était donc pas loin de l'esprit des concepteurs de la cartographie politique du pays. Le but, garder et laver le linge sale entre le père (FLN) et son fils (RND), c'est-à-dire, en famille restreinte, trop restreinte même et de pouvoir conserver le Pouvoir.

Depuis mars 1992, juridiquement le FIS n'existe plus, il devrait néanmoins, conserver, selon l'opposition, une importante assise populaire en militants, en sympathisant et en nostalgiques d'une période de gloire de l'islam politique algérien. Ces derniers, qui, sur des cris de « alyha nahya, wa alyha namout » tourmentaient «El Mouradia», les années 90 notamment. Ajoutée à cela, la présence d'une large frange de mécontents, celle des classes défavorisées, d'une société algérienne complètement disparate et qui peuvent donc, selon elle, être mis à profit et sanctionner, pour quoi pas, le Pouvoir une seconde fois, comme en 1991 ?.

Le Pouvoir, fidèle à lui-même, ayant tout compris, la stratégie et la nostalgie, il décida alors, de faire dans la division et la récupération ; pour cela, il rapprocha de lui le chef de l'AIS (Armée islamique du salut), voulant peut-être, faire de lui et de sa structure, une sorte de FIS bis et alternatif au FIS, parti politique banni ?

Parmi les curiosités politiques dans notre pays, c'est de voir le chef de l'AIS, traité en personnalité publique. Ce monsieur, qui, faut-il le rappeler ! Le sachant ou non ? A rendu deux grands services au régime ; primo : marcher avec lui dans le processus d'apaisement et de pacification, d'abord militaire, grâce à sa trêve unilatérale qu'il avait décrétée le 21 septembre 1997, réconfortée, selon les dires, d'une promesse d'un règlement politique ultérieur, qui aurait été convenue. La loi de la Rahma, suivit des dispositions de la concorde civile, venaient donc consolider cette pacification dans ses aspects militaires, et ce, bien heureusement pour la pays !. Dispositifs, que le FIS, parti politique,avait jugé à l'époque, comme boiteux ; car ils parlaient de tout, sauf de la nature exacte de la crise, qui pour lui, était d'ordre politique au premier chef. En plus, il affirme que l'AIS ne le représente pas, c'est une structure qui a été créée à son insu dit-il. Et que, si le pouvoir doit dire quelle que chose, il doit la dire au FIS, parti politique. Secundo : l'AIS, fit office, d'un interlocuteur d'alternatif au FIS, parti politique, banni par le Pouvoir et lui a permis de transmettre au monde, une image d'un Pouvoir qui dialogue avec ses adversaires. Et tout cela fut, sans contreparties politiques réelles, pour son organisation ni pour le FIS, parti politique d'ailleurs. Le Pouvoir était vraiment habile dans ses stratégies. C'est dans ce contexte de manœuvre politicienne régime/opposition, que le chef de l'AIS se voit octroyer ce statut. Et en dépit même de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale,votée en 2005, la pacification politique, quant à elle, attend toujours à la gare de la concorde civile.

Des voix s'élèvent, ces jours-ci, pour témoigner des événements inhérents à l'arrêt du processus électoral de 1992, et de tout ce qui s'ensuivit. Chacun nous sort donc ses notes, souligne à doubles trait les passages qui corroborent sa version des faits, mais l'essentiel reste éclipsé par la raison d'Etat, qui ne veut pas parler du facteur externe et dans le déclenchement et dans la gestion de la crise algérienne des années 90.

Les plus neutres, ont vu et entendu le coq français, chanter aux oreilles des tenants du Pouvoir algérien de l'époque, leur notifiant le refus clair et catégorique de l'Élysée, de voir l'Algérie basculer dans un régime théocratique ou assister les bras croisés à la création d'un État islamique au sud de la Méditerranée ! Ils vont plus loin encore, ils pensent que le frein sec aurait été actionné, même si un parti non islamiste avait remporté les élections de 1992. En effet, le régime n'envisageait aucunement une sortie douce du Pouvoir, au profit d'une opposition, quelle que soit sa couleur politique.

Bien que face aux adeptes d'un projet théocratique qui ne cachaient pas leurs intentions et qui couraient dans les rues de la capitale du pays au «pas militaire cadencé « et en tenue afghane, sur des cris de « la mithaq la destor, kal Allah Al Erasoul « et surtout, aux menaces de recourir à l'appel au djihad ; d'aucuns décrivent ces événements, comme une flagrante violation de la volonté populaire qui s'est exprimée dans le premier scrutin vraiment libre. Une césarienne de la démocratie naissante, pratiquée sans anesthésie, et qui a donc traumatisé tout un pays, sous couvert du danger islamiste et la préservation du caractère républicain de l'État. Il fallait donc le faire ce putsch ! Pensent-ils.

Ceux du FIS, qui à ce jour, font dans le «victimisme» politique, ne cessent de crier à l'injustice commise à leur égard. Ils évoluent en dehors des réalités internationales et surtout internes, ils veulent tout faire pour se rétablir dans ce qu'ils considèrent, leur « droit perdu». Plus que jamais, le FIS se trouve hanté par le rêve d'exercer, qui sait le pouvoir, un jour? Oubliant que le peuple des années 90 a changé, que sa clientèle politique a vieilli et que les Algériens ne veulent plus entendre parler ni de ces généraux de «dezzou emaahoum», dont la gestion de la crise était catastrophique, ni du FIS, qui à ce jour, ne veut pas admettre sa part de responsabilité, vis-à-vis de la tragédie nationale. Pour le reste, le résultat demeure le même ; de ces malheureux événements, l'Algérie n'a gagné en démocratie pas plus qu'elle a gagné en laïcité. Tout ce que l'affrontement militaire avait causé, c'est l'effondrement ou presque de l'État, opposer des Algériens, les uns aux autres, l'écoulement du sang des innocents et bien sûr ! La consolidation du régime dans ses tranchées classiques.de : « j'y suis, j'y reste ! » pour reprendre la fameuse citation du général Mac Mahon.

Depuis, le Régime suit sa propre logique, il ne conçoit aucun partage du Pouvoir et encore moins le concéder ; une façon pour lui, de dire à l'opposition : Vous avez eu votre FIS, on a eu le nôtre ainsi, les vaches seront bien gardées.