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Déclaration de patrimoine des ministres : Soltani n'y croit pas !

par Cherif Ali

Je suis pour la déclaration de patrimoine à condition qu'elle soit vraie, mais il faut savoir qu'aucun des responsables en Algérie n'a de fortune en son nom ; tous leurs biens sont enregistrés sous des noms d'emprunts ! (*)

La déclaration, qui a fait grand bruit à l'époque, émane de l'ex-président du MSP, Abou Djerra Soltani, qui a reconnu  implicitement, sur les ondes de la chaîne 2, que ni lui, ni aucun ministre de sa formation ne se sont soumis à cette obligation quand ils étaient au gouvernement.

Prenant un ton ironique, il a aussi dit à propos de certaines déclarations de patrimoine des ministres d'alors : «le peuple algérien se réjouit de savoir que ses ministres sont pauvres ! ».

De ce qui précède, sommes-nous tentés de soutenir, en définitive, que la déclaration de patrimoine n'est qu'une simple formalité et que très peu de responsables s'y soumettent, en omettant au passage, de déclarer l'ensemble de leurs biens ?

Il est intéressant de noter que dans ces cas là, dans certains pays, européens notamment, c'est la cour des comptes qui prend sur elle de publier, sur son site internet, la liste des personnes n'ayant pas remis de déclaration de patrimoine initiale, après leur entrée au service, ainsi qu'une liste des personnes n'ayant pas remis de déclaration de patrimoine lors de leur cessation de fonction.

On retient, bien évidemment, le fameux «tous pourris» qui prospère au fil du temps, notamment avec les présumées «affaires Sonatrach et leurs aussi présumés auteurs». L'ampleur de ce scandale, s'il en fut, doit normalement inciter tous les ministres, walis, présidents d'APC, et autres grands commis de l'Etat, notamment ceux nouvellement promus, de rendre public leur patrimoine dans les meilleurs délais, maintenant que cette obligation a été « constitutionnalisée ».

Est-ce à dire que, par le passé, la loi n'obligeait aucun responsable à faire état de ses biens avant sa prise de fonctions ou de son mandat, s'il s'agissait d'un élu ?

Non, bien sûr, dès lors qu'il y a tout un corpus de prévu, avec notamment :

1. l'article 4 de l'ordonnance 97,04 de janvier 1997 relative à la déclaration de patrimoine qui stipule : « les personnes exerçant un mandat électoral national ou local sont tenus de souscrire une déclaration de patrimoine dans le mois qui suit leur investiture ».

2. et l'article 4 de la loi 06,01 de février 2006, relative à la prévention et à la lutte contre la corruption : « il est fait obligation de déclaration de patrimoine aux agents publics en vue de garantir la transparence de la vie politique et administrative ainsi que la protection du patrimoine public et la préservation de la dignité des personnes chargées d'une mission d'intérêt public ».

Le président de la République, lui-même, n'a pas été en reste en apposant sa signature sur des textes majeurs, notamment « la loi modifiant et complétant l'ordonnance du 23 août 2005 relative à la lutte contre la contrebande » qui a engendré des fortunes colossales, bâties sur des alliances plus que douteuses, puisque, et c'est un fait avéré, l'interconnexion «contrebande-terrorisme» ne fait plus de doute.

Son geste était, peut-être, révélateur de sa volonté de faire de son actuel mandat, celui de la moralisation de la vie publique et de l'éradication de la corruption qui asphyxie la République irréprochable, empoisonne le gouvernement, pollue le climat des affaires et intoxique un régime qui n'arrive pas, depuis plus de cinquante ans, à arracher la politique à l'argent.

A cause, justement, de l'enrichissement sans causes de certains responsables, la transparence et la moralisation de la vie publique, se sont inscrites au cœur du débat, grâce au projet de constitution et son article 21 relatif à l'obligation de déclaration de patrimoine, ainsi rédigé : « toute personne désignée à une fonction supérieure de l'Etat, élue au sein d'une assemblée locale, élue ou désignée dans une assemblée ou dans une institution nationale doit faire une déclaration du patrimoine au début et à la fin de sa fonction ou de son mandat ».

La déclaration de patrimoine permet, donc, de faire la comparaison entre le montant de la fortune d'un responsable public au moment où il entre en charge, et le moment où il en sort. Cela permettrait, ainsi, de répondre à la question : « a-t-il profité de ses fonctions pour s'enrichir ? ».

Mais, faute de cette comparaison, tout le monde reste sur sa faim et le fossé gouvernants-gouvernés se creuse davantage !

De plus, la publication de la déclaration de patrimoine, outre la transparence qu'elle induit, permet aux tiers, citoyens ou autres, de saisir la justice en cas de soupçon de déclarations mensongères. Mais attention tout de même à ne pas tomber dans le déballage qui ne serait pas sain pour la démocratie et qui, surtout, donnerait le sentiment qu'il y a des choses à régler !

La déclaration prend en compte tous les éléments composant le patrimoine, quelles que soient leur nature, leur importance ou leurs situations géographiques. L'ensemble des biens doit être déclaré y compris ceux détenus à l'étranger. L'agent public, souscrit la déclaration de patrimoine dans le mois qui suit la date de son installation ou celle de l'exercice de son mandat électif. En cas de modifications substantielles de son patrimoine, il procède immédiatement, et dans les mêmes formes, au renouvellement de la déclaration initiale.

La déclaration est également établie en fin de mandat ou de cessation d'activité.

A ce propos, ouvrons une parenthèse pour préciser que le formulaire est composé de sept pages à renseigner en arabe et en français ; la publication de toutes les déclarations de patrimoine, de l'ensemble des responsables en poste, aurait nécessité une ou plusieurs éditions de journaux officiels : faut-il, dans ces cas précis, recourir à des résumés, au risque d'amputer ces déclarations de leur contenu ?

De plus, la publication au journal officiel, peut aussi, déclencher des réactions en chaîne :

? Les déclarants peuvent être amenés à faire des démentis ou d'apporter des éclaircissements, suite à des dénonciations par des tiers,

? Les banques, les notaires, les services des domaines auront ainsi leur mot à dire, grâce à leurs fichiers,

? Il en est de même des services de sécurité qui peuvent déclencher des enquêtes sur des richesses ou des biens non déclarés.

Découvre-t-on, soudainement, en Algérie la nécessité de moralisation de la vie publique ? Cela fait quelques temps déjà qu'il y a régulièrement des scandales financiers et de corruptions présumées qui sont révélés ; en tous les cas la triche et la fraude semblent faire partie du sport national, à tous les niveaux.

Les algériens veulent ils, aujourd'hui, qu'on leur parle de chômage, d'emploi, de logement ou bien alors, de la moralisation de la vie politique ? Du ministre le plus fortuné ? Celui qui possède le plus de maisons et de voitures ? Qui a des parts et des actions dans des entreprises ? Des comptes bancaires et des biens à l'étranger ?

Il en est de même des élus de tous bords qui doivent s'acquitter de cette obligation. Le sentiment général révèle qu'il faut, nécessairement, lutter contre la corruption et la fraude et que, s'il y a encore des hommes politiques honnêtes, qu'ils se mettent au travail sur ces sujets.

En tous les cas, sans un minimum de confiance, ils ne pourront pas exercer, à tous les niveaux, encore moins de postuler à la magistrature suprême pour un certain nombre d'entre eux.

De toutes les façons, les déclarations de patrimoines ne changeront pas grand-chose et n'empêcheront pas la malhonnêteté, la corruption et l'enrichissement sans cause de croître. La focalisation sur la transparence du patrimoine peut être, aussi, assimilée à une gesticulation qui risque de produire des effets inverses de ceux escomptés. Si personne ne conteste qu'un ministre, élu ou autre wali, doive être totalement transparent, c'est d'abord dans son action et dans l'exercice de son mandat ou de sa fonction que cette transparence doit être radicale.

Toutefois, il ne faudrait pas confondre publication du patrimoine, ce qui est obligatoire, et publicité autour du patrimoine ce qui au regard des concernés, est considéré comme une atteinte à leur vie privée : déclarer, contrôler, sanctionner, c'est de la transparence, alors que rendre public, participerait du «voyeurisme», selon certains.

Ceci étant dit, tous ceux qui viendraient à critiquer le procédé réglementaire en vigueur, celui qui oblige les responsables à déclarer leur patrimoine, auraient été les premiers à s'émouvoir, voire même à s'indigner, s'il n'y avait pas de mesures réglementaires à même de cadrer cela.

Si tous nos gouvernants, ministres, walis, chefs de daïras et autres ambassadeurs et consuls décidaient d'activer leur publication de patrimoine, maintenant que cette obligation a été « constitutionalisée » cela leur permettrait, pour le moins, de tourner une page douloureuse, celle de l'affaire de l'ancien ministre de l'énergie, présumé innocent, faut il le rappeler, mais dont les soubresauts n'en finissent pas, à ce jour, de secouer la sphère politique.

L'opinion publique, quant à elle, est favorable à la déclaration de patrimoine, même si celle-ci risque de gêner ceux qui craignent ce grand déballage et qui permettrait, à une certaine presse, d'établir, par exemple, les palmarès des ministres ou des walis les plus fortunés.

Sinon, beaucoup pensent également que cette obligation est inefficace, dans l'absolu :

1. elle n'empêchera pas de soustraire des biens, voire des fonds douteux aux déclarations officielles,

2. les responsables issus du secteur privé ou de la société civile, seront, encore un peu plus, dissuadés d'entrer dans un champ politique qui leur promettra, ainsi, la suspicion, en plus de la précarité financière, s'ils ne devaient se contenter que de leur salaire officiel,

3. cette mesure lance une course à la transparence, dont il est difficile d'imaginer les limites.

Mais par-delà les sensibilités, s'il y a un sujet qui devrait unir tout le monde, c'est bien celui de la transparence, aujourd'hui plus que jamais !

Toutefois, gare à ceux qui, dans l'opposition seraient tentés d'en user comme d'un slogan de campagne, car ils ne seraient pas à l'abri, loin s'en faut, d'un effet boomerang.

Quant à la perpétuation du refus de déclaration de patrimoine, elle ne peut être assimilée qu'à un mépris de la loi et une volonté de maintenir, coûte que coûte, l'opacité par tous ceux qui continuent à s'enrichir de façon illicite et scandaleuse au détriment de la population.

Ailleurs, dans le monde, on réfléchit à la mise en place d'une « Haute Autorité chargée de contrôler le patrimoine des ministres et d'un parquet financier », ce qui apparaît comme une urgence, après des années d'atermoiement et d'une ferme volonté de moraliser la vie politique entachée par des scandales à répétition dont le dernier en date, portait le nom de Cahuzac.

Tant mieux si l'objectif visé concerne la préservation des deniers publics et des biens de l'Etat !

Sinon, à part le président de la République qui a publié son patrimoine dès son premier mandat et peut-être aussi deux anciens premiers ministres, aucun de nos responsables, passés ou présents, ne s'est prêté à cette obligation légale. On a même avancé un chiffre, pour dire que 80% des responsables qui se sont succédés toutes ces dernières années ne déclarent pas leur patrimoine et, conséquemment, celui-ci n'a pas fait l'objet d'une publication.

Pour revenir sur les propos prêtés à Soltani, il faut dire qu'ils n'ont pas laissé la classe politique indifférente ; l'ancien ministre Abdelaziz Rahabi par exemple, a tenu à lui répondre du tac au tac et en ces termes : «l'appréciation de monsieur Soltani sur la déclaration du patrimoine est d'une gravité qui interpelle les consciences des serviteurs et commis de l'Etat, quels qu'en soient la responsabilité ou le grade ; elle présente la corruption comme une fatalité et sa généralisation à ceux qui ont exercé ou exercent, encore, une responsabilité, comme une évidente réalité».

Renvoi :

(*) Nissa Hamadi, in Liberté du 05 octobre 2006