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Douanes : des «modernisations» à la stratégie

par El Yazid Dib

Le 26 janvier est la Journée mondiale des douanes. L'Algérie doit bien en avoir une. L'institution la fête, cette fois-ci, par une stratégie à mettre au service de l'économie nationale. Des « modernisations » successives connues, pratiquées, adoptées, nous voilà dans la « stratégie ».

L'œil dirigé dans le propre sein de cette honorable institution devait faire prendre à n'importe quel patron des décisions fermes. La situation n'est plus une question de simple « modernisation ». Ce mot a été tellement rabâché, trituré, broyé qu'il s'est laissé perdre toute sa sève génésiaque. La vraie « modernisation» cependant était celle enclenchée à partir de 1993. Les autres n'ont été qu'une somme d'appui et parfois de bricolage à grand vacarme.

L'institution, en plein défi de globalisation universelle était encore sous l'emprise de la mécanographie. La volonté de ses enfants, la compétence de ses cadres et l'ingénierie typiquement nationale allient sillonner par un diagnostic managérial les parois et leurs procédures pour en extraire les dysfonctionnements et en faire tout un programme d'embellie.

S'acheminant dans le sens, outre d'un redressement, mais aussi d'une alerte de conscience ; l'enjeu était grave et les défis multiples. La douane comme une entreprise cherchait ses nouveaux repères au cœur même d'un monde économique implacable et aux contours entièrement redoutables. Elle devait donc s'inscrire clairement dans un esprit d'entreprise. Le résultat se fera ensuite par la condition de performance.

La réduction des équivoques et le renforcement des actions qui s'imposaient suite justement à cette évolution permanente de l'institution et de son environnement exigeaient un autre comportement. Jauger le fond, évaluer les différentes « modernisations » cibler les écarts, puis procéder à leur correction. C'est en fait le résultat actuel de la « stratégie » initiée par le nouveau patron et qui a fait l'objet d'un « consensus » par l'ensemble des acteurs du secteur réunis le mardi à Alger, à l'occasion de la journée mondiale des douanes. Affichant beaucoup d'ambitions le Directeur général Kaddour Bentahar mesure délicatement les difficultés de la tache. Il semble être déterminé à aller de l'avant en fin connaisseur des défis, des enjeux et des perspectives de son institution. Il connait les coins et les recoins des textes ayant évolué sous l'égide de son institution. Des exigences du terrain à l'engineering des conceptions, ce diplômé de l'institut supérieur d'économie douanière et fiscale s'est solidement forgé à travers les multiples fonctions qu'il a assumées. Enfant de la boite, il est un patricien né dans les mailles de l'administration douanière. Il aime sa douane, il dit « nous », pas comme les autres devanciers qui disaient « vous, les douaniers?. » ou « chez vous, en douane? ». Au soupir embaumant de toute l'assistance, le ministre des finances Benkhalfa en vrai gentlemen s'est vite démarqué de ses prédécesseurs en entonnant « je suis un de vous, un membre de l'équipe ». C'est difficile d'endosser un uniforme et avoir en sa carapace un phénomène inné de rejet.

Le volet technique dans sa phase la plus cruciale en termes d'exercice était, tous les operateurs inclus et concernés l'approuvant ; la refonte du code des douanes. Ce dispositif législatif est en fait un véritable chantier. L'expertise nationale, l'adaptation textuelle en matière de dédouanement, de délais d'enlèvement, de facilitations, de contrôle et d'autres règles de conduite sont pris en compte vue de fluidifier davantage le circuit de la logistique et des flux mondiaux. Une projection d'avenir dans une trajectoire paisible et de qualité attend Monsieur Kaddour Bentahar.

C'est de l'esprit de synthèse et de remise en cause que l'administration des douanes décide de prendre comme socle fondamental « l'intelligence économique » comme mode de gouvernance et instrument d'analyse et qui fait en finalité son « plan stratégique 2016-2019 ».

Ce plan, nous dit-on s'inspire des instructions du gouvernement et vise à réunir les paramètres de rigueur, de performance et d'éthique. Il s'articule autour d'une quantité d'objectifs entre autres ; la levée des contraintes sur l'économie et l'entreprise , l'accompagnement de l'investissement productif par des facilitations , l'amélioration du climat des affaires , la prévention contre la délinquance fiscale et financière et l'anticipation sur toutes formes de risques. Bien d'autres objectifs qui se considèrent comme usuels sont pris en compte, telle que la valorisation de la ressource humaine qui a tout le temps été le parent pauvre de l'institution ou la coopération internationale.

Une œuvre de cette ampleur, dirions-nous ne se modèrerait pas dans une expiration précise de délais. La besogne est longue, ardue et incessante. Plus on avance dans l'accomplissement d'objectifs préalablement établis, plus on se voit s'esquisser d'autres. C'est quasiment une animation persistante qui se fait en un ensemble d'actions consécutives toutes différentes les unes des autres. Plusieurs choses ont été réalisées, d'autres sont restées inachevées. Si un plan « modernisation » se parachève par déchéance d'échéances un jour ou l'autre, une stratégie par contre reste toujours de mise et appelle pour se raffermir la plénitude en termes d'amélioration et de réussite. Un programme se termine, mais une stratégie se perpétue pour s'inscrire dans l'infini. Ça ressemble à un engrenage où un élément provoque un autre. Toute démarche stratégique n'est qu'une réplique factuelle à une situation qui se vit avec complexité.

L'on constate ainsi que depuis 1994 la douane a connu plusieurs programmes de modernisation. A chaque changement de responsable un programme ou un plan ainsi défini est mis en place. Et si un programme, plan, feuille de route ou tout autre document de l'espèce survient à une alternance de pouvoir, c'est que des insuffisances, des complémentarités ou des mises à niveau s'élèvent toutes exigeantes. Ce qui est par ailleurs tout à fait évident. L'on sait que chaque phase a ses revendications, chaque escale prône, selon les prescriptions gouvernementale un certain rééchelonnement d'actions et réorientation de cap. Ce seront ces nouveaux changements qui s'ordonneront d'eux mêmes pour en finalité créer l'impératif à une adaptation du mode de gestion et partant se mettre en position d'agir au lieu de subir. Des chambardements sérieux ont eu lieu dans le monde et continuent à se faire et qui par répercussion se déclinent en des paris fort contraignants au niveau national. « La douane se doit de se faire et se refaire dans une trajectoire utile, corrective et harmonisée qu'aura à tracer une démarche stratégique » disait le Directeur général.

Il s'agit d'une conversion « des mentalités, des procédures et des méthodes de travail » cette logique de changement que tend à stimuler « la strategie » mise en place ne peut, à notre sens réussir que si elle est partagée par l'ensemble de ceux et celles qui font la douane tous les jours. Et toutes les nuits.

Le diagnostic opéré par les acteurs de la corporation illustre l'urgence quant à la décision de corriger certains objectifs mal projetés. « Ce sont celles et ceux qui pratiquent l'acte douanier au quotidien de la base aux rangs supérieurs, d'Alger à Ain Guezzam, de Tébessa à Tlemcen, exerçant aux unités actives, les brigades ou dans les opérations commerciales qui ont eu à apprécier et donner leur avis sur le sort de leur institution » tenait à dire le patron des douanes. Il ne cesse de favoriser un climat plein de mise en confiance, faisant défaut hélas pour arriver à un système participatif. Ceci n'a pas manqué de susciter de l'engouement et beaucoup d'adhésion. Les fonctionnaires ont eu ainsi à se sentir responsables, par avis, propositions, vœux et attentes. Ainsi et en toute objectivité le préférable des plans dit de modernisation sera le bonheur à qui il est affecté et ne vaudra que par valeur qu'il aura à ajouter. De dire aussi que toute la « modernisation » devrait aller vers la dissipation des soucis de l'entreprise et ceux de la corporation. Rien n'aurait servi, si les réflexes opératoires, les modes de traitement, l'arsenal procédural, les capacités de contrôle et d'encadrement venaient à ne pas se voir raffinés, fluides et aisément accessibles. L'égalité des chances d'accès aux postes de responsabilité aurait tout à gagner, si sa possibilité se faisait répandre sur tous les profils adéquats. Sans entremise, intercession ou servitude. Seul le mérite, loin des solides bornes éphémères devrait y primer. Des multiples « modernisations » au « plan stratégique » ; l'agent est toujours mal loti, mal cadré, mal outillé.

Les principaux axes prioritaires de la «feuille de route» ont été défilés le long de cette journée d'études. Plusieurs segments, qualifiés « d'axes de modernisation » (encore !) vont être revus pour admettre semble-t-il l'institution douanière à se consigner dans une dynamique de rendement tangible. Tout le monde est d'accord pour affirmer à l'unisson que cette administration doit afficher et exercer une adéquation continuelle face aux évolutions de ses partenaires. Il demeure incontestable que son plus fort atout réside dans son « informatisation ». Hommage reste ici à rendre à son invétéré initiateur Brahim Chaib Cherif. Ceux qui l'ont succédé avaient su chacun à sa manière d'en tirer profit et en faire bon ou mauvais usage. Cet outil informatique est un instrument de travail, il ne devrait pas à une certaine époque servir de motif de règlement de compte par systèmes interposés. A défaut de pouvoir abattre alors l'unité centrale, on tapait fort sur les éléments périphériques.

Cet important dispositif, devenu patrimoine de l'Etat et fierté de la communauté nationale est appelé à se régénérer dans un nouveau contexte. Vieux de vingt ans (la durée de vie d'un système d'information de 6 à 8 années en moyenne) le système, le fameux Sigad tel un soldat a su avec bravoure et loyauté assumer ses missions nonobstant « la quasi absence de maintenance aussi bien software que hardware ». Son grand malheur c'est qu'il est toujours dans un parking. Un bijou stratégique pareil devait, sous l'aisance financière d'hier avoir eu toute la priorité des privilèges et des mesures décisives. Dommage qu'il vivote, tremblote et sanglote voilà plus de deux décennies dans le sous-sol d'un parking à étages à Bab el Oued.

Le plan stratégique qu'initie Bentahar, semble vouloir jeter d'abord un regard sur l'organisation interne et les démembrements extérieurs. Il est constaté qu'elle est lourde, dense et parfois en criard chevauchement d'attributions. Ceci outre qu'elle enfante la déperdition de compétences et éloigne un tant soit peu le recentrage vers les missions principales. L'action de renforcement des capacités et la quête de l'efficience font que d'autres actions sont disponibles pour propulser l'institution vers d'autres horizons et ce grâce aux nombreuses compétences que recèle ce corps républicain.