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Joyeux anniversaire

par Ahmed Farrah

Je cherche un Smartphone à offrir. Je passe de boutique en boutique pour trouver ce qu'on m'a recommandé, et ne pas me noyer dans des vitrines où sont présentées un tas de marques et des gammes quasiment toutes made in China et in Vietnam, même les deux grandes et célèbres enseignes qui se disputent les innovations et le marché mondial y fabriquent leurs produits. Pas de souci de ce côté, je suis prévenu. La révolution numérique pensée en Corée du Sud, en Europe et aux États-Unis se fait aussi fabriquer au Viêt Nam. Ce pays ravagé par deux interminables guerres a été rayé de la civilisation par la France coloniale et l'impérialisme américain. Incendié au napalm, bombardé par les B52, toutes les armes secrètes y ont été utilisées mais n'ont pas atteint le moral de ce peuple qui a toujours cru en sa cause et qui ne s'est jamais résigné à la Pax Americana.

Avec seulement la volonté de son peuple et sa conviction profonde, ce pays a vaincu la plus grande puissance militaire du monde qui s'est retirée en 1973. Après 42 ans d'indépendance, ce pays, sorti de ses décombres avec des millions de mutilés de guerre, revient peu à peu parmi les pays émergents et déclasse beaucoup de pays, plus riches et moins peuplés. Petit pays par la surface (sept fois moins que l'Algérie), peuplé de près de 90 millions d'habitants est en croissance significative depuis 15 ans. Le Vietnam a gagné la bataille de l'autosuffisance alimentaire et est devenu le troisième exportateur mondial de riz. Destination privilégiée du tourisme mondiale, le Vietnam est en vogue, non seulement pour sa nature et ses paysages singuliers, mais aussi par le dynamisme de sa population qui s'est affranchie de l'assistanat et qui réalise des produits très compétitifs. Le Vietnamien compte d'abord sur soi. Le général Giap avait rendu ses compatriotes de bons élèves, assidus et attentifs à leur présent sans qu'ils perdent de vue leur passé fait de sacrifice et de souffrance. Hô Chi Minh leur avait tracé la voie. Confucius éclaire leurs pas. Les peuples laborieux qui ne trichent pas, forcent leur destin, n'auront jamais faim et donneront à manger aux autres peuples paresseux et assistés.

Je reviens à l'histoire du Smartphone qui me ronge les tripes. Je vois le malheur de mon pays collé en nous. Ce peuple hier misérable, analphabète, le ventre creux, les yeux plissés, la peau ridée, le rachis échiné, les pieds nus, vêtu de toile de jute de sac à blé, touché par le typhus ravageur, la peste, le choléra, la tuberculose, etc. a tout et vite oublié tous ces malheurs qui l'ont touché et qui ne l'ont malheureusement pas immunisé. Sa mémoire est courte, sa tête jubile. Il est en plein extase. Ivre de bonheur. Son ciel est une aubaine. Son trésor est dans un synclinal. Sa géographie est un presque-continent. Sa nature est plurielle, belle et enviée. Mais sait-il que son monde est irréel et qu'il est hypnotisé par le présent qui le réveillera au futur proche hors de son paradis virtuel. Adam avait été tenté par la pomme ! Comment ne pas exploser son humeur quand on a affaire à de jeunes commerçants qui se fichent des clients qui sont censés les faire vivre. Ils sont dans leurs boutiques (qui n'ont rien à envier à celles qu'on trouve en Europe, jolies, propres, bien achalandées, bien décorées et illuminées), le casque aux oreilles, les décibels à fond, les yeux sur l'écran, l'esprit collé à Facebook et le client peut attendre. Ne pas déranger. On attend que le monsieur termine son chat. Sans quitter totalement ses décibels, il vous tend seulement une oreille.

A vous de crier, de hurler votre désapprobation. Le même scénario se répète presque souvent chez ces nouveaux enrichis par la grâce de l'ANSEJ. Gardez votre mépris. La rente aura ses limites et ses effets donneront la gueule de bois à bon nombre d'entre nous, mais sûrement le bon grain sera séparé de l'ivraie, c'est inéluctable. Comme il est dit : « Tu tireras ton pain à la sueur de ton front? »