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La mauvaise gouvernance érigée au niveau de l'art

par Abed Charef

Gaz de schiste, droit de préemption. La mauvaise gouvernance mène le pays à se priver d'alternatives possibles.

Etes-vous pour ou contre le droit de préemption? Ne vous fatiguez pas, votre réponse est inutile. La question est, certes, moins grave que le « qui tue qui ?», mais elle a été tranchée sans vous. Le Premier ministre Abdelmalek Sellal et le ministre de l'Industrie Abdessalam Bouchouarb ont donné la réponse, leur réponse, sans en référer aux autres membres du gouvernement, ni à leurs partis respectifs, ni au parlement. On ne sait du reste si eux-mêmes ont un point de vue sur la question. Mais ils ont dit que le droit de préemption ne sera pas supprimé, et qu'il sera même renforcé. Pourquoi? Pour éviter de répondre à une question qui n'a rien à voir avec l'économie.

Quelques rappels s'imposent. Jusqu'à début novembre, la plupart des Algériens étaient moins intéressés par le droit de préemption que par la santé de Lionel Messi. Seul un petit cercle d'hommes d'affaires, lorgnant sur quelques bonnes affaires à réaliser dans la discrétion la plus totale, de préférence, s'intéressaient à la question.

Mais Louisa Hanoun veillait. La présidente du Pati des Travailleurs avait ses raisons. Elle avait pris deux grandes résolutions politiques. Aux termes de la première, elle classait, pour l'éternité, le président Abdelaziz Bouteflika comme un patriote incapable de prendre une décision pouvant faire du mal au pays. La seconde résolution situait la ligne de démarcation entre patriotes et non patriotes dans le soutien ou non du droit de préemption.

SURENCHERE

Du coup, quand le gouvernement a présenté une loi de finances prévoyant d'assouplir, ou d'abroger le droit de préemption, Mme Hanoun en a tiré une conclusion évidente : ce projet de loi ne peut pas provenir du président Bouteflika. D'autres l'ont rédigé à sa place. Et le président Bouteflika serait, soit incapable d'exercer ses prérogatives, soit il serait séquestré là-haut par des oligarques et de sournois agents travaillant pour l'étranger. Il faut donc en avoir le cœur net, ce qui a débouché sur cette absurde initiative de 19 personnes demandant à rencontrer le chef de l'Etat pour s'assurer qu'il n'est pas caché dans un placard de la présidence.

Réponse immédiate de l'entourage du président Bouteflika: le premier ministre Abdelmalek Sellal jure que le droit de préemption ne sera pas abrogé, et le ministre de l'industrie Abdessalam Bouchouareb assure qu'il sera même renforcé. C'est la preuve formelle, selon eux, que non seulement le président Bouteflika n'a pas changé, mais que c'est lui qui est toujours aux commandes du navire Algérie.

Dans sa démarche, Mme Louisa Hanoun rejoint ses adversaires sur au moins un point : elle contribue avec eux à détruire ce qui reste des institutions. Elle-même n'a pas utilisé les canaux légaux de son parti, du parlement, à travers une interpellation du gouvernement, ou une action politique populaire. Agissant de fait comme une notable ayant accès à la Cour, elle a agi comme n'importe quel oligarque qui a ses entrées au palais.

SEULE LA BETISE EST IRREVOCABLE

MM Sellal et Bouchouareb ont, de leur côté, zappé le parlement, les partis, et le gouvernement. Ils sont passés outre le point de vue de ministres qui auraient pu être favorables à l'abrogation du droit de préemption. Ils ont, par la même occasion, privé le pays d'une possibilité d'ouverture sur le monde. Ils ont clos un dossier qui méritait débat.

Ceci sans préjuger de la position de chacun sur le droit de préemption. Mme Hanoun a le droit de critiquer le droit de préemption, et a peut-être raison. Mais elle a peut-être tort, comme le soutiennent économistes et milieux d'affaires. Une seule certitude : elle se trompe quand elle pense avoir obtenu gain de cause sur cette question. Une décision prise de manière aussi cavalière par un pouvoir autoritaire peut être désavouée demain de la même manière, avec la même légèreté, par le même pouvoir, s'il a envie, par exemple, de séduire les fameux oligarques que Mme Hanoun déteste tant. Le pouvoir trouvera alors de nombreuses Louisa Hanoun pour l'applaudir. Car sur ce terrain, tout est négociable. Et rien n'est irrévocable, à part la bêtise.

Qui est perdant, en fin d compte ? L'Algérie, évidemment. Le pays se prive d'un atout possible, sans aucune contrepartie. Il perd une possibilité d'attirer des investisseurs étrangers, au moment où il en a besoin. Il se met dans la position d'un combattant qui décide de se passer de ses propres armes, sans raison.

LE PRECEDENT DU GAZ DE SCHISTE

L'Algérie est habituée à ce genre d'attitude. Il suffit de rappeler ce qui s'est passé avec le gaz de schiste. Et comme au début de cet article, on peut poser la question : êtes-vous pour ou contre le gaz de schiste ? Personne ne m'a demandé mon point de vue, mais je l'expose tout de même: pour le gaz de schiste comme pour le droit de préemption, j'estime que le pouvoir actuel n'a pas la crédibilité requise pour prendre des décisions, pour gérer le dossier, et qu'il peut recourir à des subterfuges, voire à des mensonges, pour cacher ses erreurs et faciliter les trafics. De plus, les institutions en place n'offrent pas les garanties de transparence nécessaires.

Mais votre réponse importe peu, tout comme la mienne, d'ailleurs, car M. Sellal a décidé à votre place. Il n'a pas pris la décision qui préserve les intérêts de l'Algérie, mais celle qui enlève un souci au président Bouteflika. Ce faisant, il a, à chaque fois, ôté à l'Algérie un atout qu'elle pourrait faire valoir. Aujourd'hui, avec le droit de préemption, l'Algérie maintient fièrement un élément qui détruit l'attractivité du pays, et elle ne peut exploiter le gaz de schiste même si cela se révèle bénéfique et sans danger. La mauvaise gouvernance érigée au niveau de l'art.