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Entre verbiage et démission; l'école en question

par Abdelkader Khelil

« S'il y a bien un comique de répétition (qui a le mérite de provoquer le rire), il y a aussi en Algérie, un tragique de répétition qui consiste à faire tourner en boucle la complainte collective qui monte du pays. Ce tragique fait plonger chaque fois davantage la société dans un état d'affliction permanent propice à la démission », écrivaient à juste titre, mes amis : Mustapha Benchenane * et Brahim Senouci **, dans un de leurs neuf articles de la série « nœud gordien » parus sur le Quotidien d'Oran, que décideurs et gouvernants gagneraient à lire plus attentivement.

Comme le disent si bien ces véritables intellectuels, en experts avertis qui sont de tous les débats majeurs qui laissent des traces dans la mémoire collective : «l'écrasante majorité de nos concitoyens endossent le costume de la victime, donc du vaincu, sans s'interroger vraiment sur les responsabilités individuelles et collectives dans la situation qui est la leur, ni sur d'éventuelles initiatives à changer le cours des choses ». C'est pourquoi, notre pays renvoie l'image d'une entité sclérosée et immobile peinant à se développer et à réagir aux évènements, parce-que totalement en décalage par rapport aux règles et standards qui régissent l'évolution des sociétés dites civilisées qui elles, disposent de la capacité indispensable et nécessaire à se projeter sur un futur qu'elles arrivent à façonner de la meilleure façon possible, selon et au profit de leurs intérêts propres, habituées qu'elles sont, à le construire suivant un cap et un horizon définis et clairs.

Tout cela se fait indépendamment des divergences pouvant opposer les uns aux autres dans une saine et productive compétition, sans jamais transgresser la sacro-sainte union autour d'un minimum commun et vital, ce « SMIG civilité » qui reflète l'image d'une nation déterminée à rester unie, responsable et solidaire, nonobstant sa diversité plurielle, comme souligné lors des évènements dramatiques survenus cette semaine à Paris, et dont l'élan solidaire s'est propagé tel une onde de choc à travers l'Europe toute entière pour faire corps face au danger potentiel.

Chez-nous par contre, la crise multidimensionnelle qui impacte le moral de nos concitoyennes et de nos concitoyens laisse impassibles nos gouvernants qui continuent à reproduire les mêmes réflexes comme si de rien n'était, habitués qu'ils sont, à naviguer à vue, dans le brouillard et prompts à recourir aux avis et recettes des étrangers de la banque mondiale et /ou du FMI chaque fois que désorientés et impuissants à trouver les solutions idoines, parce-que n'ayant jamais eu confiance en leurs propres ressource technique et humaine disponibles dans le pays ou d'ailleurs, parmi la diaspora algérienne.

Si c'est là le mode de gouvernance le plus prisé par défaut, c'est parce-que la directive a toujours été de parer au plus pressé, d'éteindre les feux et d'acheter la paix sociale. Il fallait avant tout, calmer la population en faisant face à une demande sociale fictive et de surcroît sans limites, exprimée par des gens très gourmands en biens sociaux, alors que peu enclins à apporter leur part de sacrifice dans la construction d'une nation où chacune et chacun se doit d'apporter sa pierre pour l'édification de l'édifice commun qui doit nous rassembler et nous unir, sur un territoire (façonné comme il se doit selon les principes de l'égalité des chances) qui nous sert de lieu d'habitat et de champs d'expression de la vie en communauté solidaire.

Et pourtant ! Dans toute société équilibrée et fonctionnant selon des normes et des règles admises par toutes et par tous, chacun peut prétendre à sa part du bonheur qui est à portée de la main. Il suffit juste de travailler un peu pour rendre cela possible, pour peu que nous puissions nous assumer d'abord individuellement, et par la suite collectivement. Pour s'en convaincre, il n'y-a qu'à voir ces jeunes impassibles, sans projet et sans ambition qui n'attendent plus rien de la vie. Aussi s'exercent-ils aux épreuves du farniente, et lorsqu'on leur reproche leur paresse excessive et leur manque de dynamisme, ils rétorquent à cours d'arguments et avec nonchalance : « Akraht ya Khoo » ! « El harga tsalek » ! Voyez-vous çà ! Fini le mythe de l'eldorado d'outre-mer ! L'Europe se recroqueville sur elle-même (comme pour mieux se défendre contre la barbarie et la violence attribuées injustement faut-il le souligner, à la communauté musulmane dans sa quasi-totalité). Cela donne bien évidemment du tonus et de la voix aux « fachos » et aux nostalgiques de tous bords qui ont de plus en plus le vent en poupe, et gare à ceux de chez-nous qui continuent à nourrir le rêve de l'exil ! L'on est mieux que chez-soi, faut-il leur dire et le leur répéter, sans craindre l'overdose, quoique l'on puisse penser de la situation interne de notre pays, pourtant peu reluisante !

L'ÉDUCATION LA PRIORITÉ DE L'HEURE

Alors oui ! Il faut le dire et le redire autant de fois que nécessaire ! Tout commence et fini par l'éducation, et l'école se doit d'être, la première priorité parce qu'elle est l'indicateur majeur qui donne le sens de la mesure des actions entreprises par les pouvoirs publics, pour faire que le rêve d'une nation déterminée à s'en sortir si elle le souhaite, puisse se réaliser un jour. En effet comme écrit dans mon article : « De l'école citoyenne à celle des espoirs déchus » paru sur le Quotidien d'Oran, le 27 août 2013 », elle est donc à considérer au même titre que la sécurité alimentaire, au premier plan des préoccupations de toute nation soucieuse de ses intérêts présents et futurs. Elle constitue le meilleur moyen pour tout individu, de gagner au prix d'efforts personnels et uniquement de cette manière, une position sociale honorable, dans ce monde unipolaire où il n'y aura de place que pour ceux qui détiennent le savoir et la connaissance ».

J'avais aussi souligné : « Que la plupart de nos jeunes réprouvent de façon inconsciente l'acte d'apprendre en tant que voie porteuse de leurs espoirs et ce, tout particulièrement depuis les années 1990, en optant le plus souvent pour la voie du commerce informel qui tire son essence de l'échec scolaire, de l'illettrisme et de la culture du gain facile. Alors qu'en opposition aux idées reçues, l'éducation aurait dû être tout au contraire, le choix le plus judicieux pour l'affermissement de la personnalité de ces jeunes par le savoir, et le meilleur cadeau qui leur soit offert pour rebondir à tout âge de leur vie ».

Dans un second article : « Quelle école pour la société de demain» paru dans le même Quotidien, le 12 septembre 2013, j'avais indiqué avec intérêt : « Qu'il est bien heureux qu'au plus haut niveau de l'État l'on puisse enfin admettre que l'école des générations des récitants, dressés et formatés dans l'esprit de la soumission, est loin d'assurer un avenir prospère à nos enfants dans un monde de plus en plus régi par de nouvelles performances technologiques. Cette vérité, longtemps cachée comme un secret de polichinelle méritait pourtant qu'elle soit fortement soulignée. Cela a été fait par le Premier Ministre à l'occasion du conclave des cadres de l'éducation nationale et c'est là certainement, un point positif qui suggère cependant, l'ouverture d'un débat interactif élargi à l'ensemble des acteurs de notre système éducatif sans exclusive ».

C'est justement ce qu'essaye de faire avec ténacité, abnégation et courage dans un environnement connu pourtant pour être hostile à toute réforme du système éducatif, Madame la Ministre de l'éducation, qui de par sa persévérance semble marquer des points en cassant bien des tabous à la peau dure. Cela montre si besoin est, que la gestion de ce secteur stratégique et sensible est une affaire de spécialistes, comme l'est cette sociologue de l'éducation qui a dirigé avec brio le centre de recherches en anthropologie et sa revue scientifique de notoriété internationale, « Insaniyat ».

Elle mérite notre respect pour tout ce qu'elle a pu entreprendre jusqu'à présent, là où ses prédécesseurs ont lamentablement échoué pour des raisons diverses. Que Dieu la préserve du mauvais œil, afin qu'elle puisse garder la fougue et l'ardeur au travail qu'on lui connait ! Elle a droit à tous les égards et à toute notre considération, nous qui sommes du côté des gagnants, c'est-à-dire, ceux qui font avancer notre pays même si de façon symbolique faut-il le déplorer, eu égard aux embûches qui jalonnent le chemin long et tortueux qui reste à parcourir pour construire une société digne de ce nom.

Mais que l'on ne s'y trompe pas ! La détermination ne saurait suffire ! Comme je l'ai également précisé : « Le problème de l'école est la conséquence d'une navigation à vue par touches successives de réformettes et de tâtonnements, sans cap ni horizon qui consistent à rafistoler le système éducatif tel un ravalement de mur de façade, sans prendre le soin de consolider ses fondations et sa structure. Il est par conséquent, celui de l'absence d'un projet de société, sans lequel il continuera à évoluer dans l'incertitude du lendemain». Et d'ajouter : «Que dans la réforme du système éducatif, tout doit commencer par cette question qu'on doit se poser à haute et intelligible voix et sans arrière-pensée. Quelle école nous voulons, pour quelle société de demain ?

Pour y répondre correctement, il s'agira de mettre les intérêts des générations futures au-dessus de tout, en sachant que c'est la configuration du monde de demain qui déterminera les contours du projet de l'école à laquelle aspirent, tous les parents soucieux de donner à leurs enfants la meilleure éducation possible. Cette école de la compétitivité et du challenge, celle à laquelle aspire toute société déterminée à se frayer un chemin dans la voie du progrès, est déjà celle de ces pays qui ont atteint le stade de la performance ». Je m'en tiendrai à ces quelques citations. Les lecteurs intéressés par ces articles et bien d'autres, pourront se référer à mon ouvrage « Algérie, une trajectoire à corriger » Hibr Éditions, et pour ceux en quête d'une lecture humoristique plaisante, à mon roman « le chat chroniqueur » Éditions Sarah. Ces deux ouvrages inscrits sur la liste des nouveautés du SILA 2015 ont fait l'objet de vente dédicace et sont aujourd'hui disponibles.

À QUOI TIENT LA VIOLENCE À L'ÉCOLE ?

De fait, la violence en milieu scolaire a toujours existé, mais elle est en train de proliférer au détriment de la sacralité de l'école républicaine qui perd du coup de son aura. Il y a là donc une urgence à agir, dès lors que ce phénomène s'exprime au quotidien, aussi bien à l'intérieur qu'à à l'extérieur de l'école. La haine est en train d'éclore. La rancœur gagne du terrain. Les pouvoirs publics se voilent la face et on fait diversion en déroulant une statistique qu'affectionne les esprits triomphalistes, en centaines de milliers de places pédagogiques réalisés, de transport scolaire et de repas assurés par les cantines scolaires, de livres distribués à des bibliothèques rarement fréquentées et de biens d'autres avantages dispensés par l'État providence.

Par contre, pour ce qui concerne le volet qualitatif, il y a absence d'évaluation des performances du système scolaire en termes d'impact sur le comportement citoyen, la soif d'apprendre et d'acquérir la connaissance pour se sentir en être utile à la société. Nous restons dans le chapitre de la dépense publique certes colossale, mais sans effet sur la maîtrise de l'ambiance délétère qui règne dans nos établissements scolaires. Cela est dû à des comportements laxistes, comme cette habitude de couvrir sans cesse les actes de violence, de harcèlements, d'insultes et d'incivilités de ces petits « caïds » en herbe, que ce soit en classe, dans la cour de « récré » ou à la sortie des établissements. Le silence observé à l'égard de ces attitudes de délinquance, est une manière de souligner le laxisme des uns et des autres afin d'éviter de ternir la « réputation » de leurs établissements (pensent-ils à tort bien évidemment).

De toute évidence, le maintien dans le système éducatif de ces « brebis galeuses » d'élèves démotivés, devenus ingérables au lieu d'aller apprendre un métier, est en grande partie la cause des scènes quotidiennes de violence dans les collèges et lycées tout particulièrement. À cela s'ajoute le peu de soutien que reçoivent les professeurs, souvent soupçonnés de partialité quand ils sévissent, et cette lassitude qui fait accepter l'inacceptable, tant que ne s'est pas produit un incident grave. Il y a aussi, la responsabilité majeure des parents qui réclament la sécurité pour leurs enfants, tout en prenant toujours leur défense lors de passage en cas de conseil de discipline. C'est systématiquement leurs « rejetons » qui sont toujours les victimes expiatoires. Est-ce là une manière de les éduquer ?

La violence en milieu scolaire est en fait, la conséquence de la démission de parents qui n'ont pu donner à leurs enfants le respect de l'institution sacrée qu'est l'école et du maître, sans lequel il n'est point de transmission possible du savoir. C'est aussi, la société toute entière qui refuse à l'école d'être un lieu d'acquisition du savoir, présenté comme une chance pour les élèves et non plus comme un droit. Par rapport à tout cela, l'école a un contentieux, pour ne pas dire une dette à régler à la rue qui a accueilli les élèves qu'elle n'a pas su intéresser, motiver et retenir jusqu'au terme des cursus d'enseignement.

La récupération de ces jeunes par les différents dispositifs d'apprentissage sans cesse revisités aux plans de leur contenu pratique et de leurs mesures incitatives, est le premier pas à faire en direction de l'école de la deuxième chance. Il faut aussi dire, que la notion de réussite est tout à fait relative et quelle peut-être, de type intellectuel, professionnel, sportif ou artistique. C'est à chacun selon son rythme et selon ses aptitudes, d'où la nécessité dans la mise en place d'un système performant d'orientation, dès le collège.

Il s'agit de distinguer les élèves qui doivent aller à la formation professionnelle, de ceux aptes à suivre des études universitaires et les surdoués qu'on devra orienter vers les écoles d'excellence, et notamment les écoles normales. Force est d'admettre, que la question de l'orientation scolaire pose avec acuité celle de l'interdépendance du couple éducation/formation professionnelle, d'où la nécessité de domicilier les fonctions d'éducation, de formation et d'apprentissage au sein d'un même Ministère. Cela présente l'avantage de gagner en cohérence, en rationalisation des moyens et en efficacité du système éducatif et de formation de demain?

* Professeur à la Sorbonne, Expert et conférencier au Collège de Défense de l'OTAN

** Professeur de physique à l'Université de Cergy-Pontoise, Chroniqueur et écrivain