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Fallait-il dissoudre la garde communale ?

par Cherif Ali

Nous n'avons pas les moyens de surveiller et de sécuriser l'ensemble du territoire national, des lieux de transports et des lieux publics, et nous avons suggéré au président Hollande, comme cela s'est déjà fait dans l'Histoire de France et dans d'autres pays, les Etats-Unis notamment, qu'on puisse créer « une garde nationale » qui permette aux citoyens de venir relayer les forces de l'ordre. (1)

Le message des responsables français est clair : s'il faut plus de monde pour protéger le pays, il faudra faire appel à d'autres moyens !

Depuis les attentats de Paris, les forces de l'ordre, qu'elles soient policières ou militaires, sont au maximum de leurs possibilités, dans la lutte contre le terrorisme.

Dans son discours au congrès, le président de la République française a confirmé son intention d'utiliser le vivier des réservistes pour créer « une garde nationale », en plus des 5000 postes supplémentaires de policiers et de gendarmes. Pour François Hollande, les réservistes constituent des éléments qui peuvent, demain, former une garde nationale encadrée et disponible.

Ce n'est pas la première fois que l'idée de la création d'une telle force est avancée. Après les attentats de janvier qui ont frappé Charlie Hebdo, plusieurs personnalités politiques, proposaient déjà, de rétablir la garde nationale « qui serait plus efficace qu'un retour du service national ».

Aux Etats-Unis, la Garde Nationale est une armée à part entière. Elle représente un effectif d'environ 360 000 personnes qui peuvent être mobilisées sur ordre du gouverneur de l'Etat concerné pour des émeutes ou des catastrophes naturelles.

François Hollande ne s'est pas prononcé sur les détails d'effectifs et les modalités de mise en place de ce corps de sécurité supplémentaire. Il a toutefois dit souhaiter « que l'on tire mieux parti des possibilités des réserves de défense, encore insuffisamment exploitées dans notre pays, alors que nous avons justement ce gisement ». Une référence claire aux militaires réservistes, qui « constituent les éléments qui peuvent demain former une garde nationale encadrée et disponible ».

Pour autant, entendre un président de la République française évoquer l'idée d'une garde nationale était encore inimaginable voici quelques années. Mais les attentats de Paris ont précipité les choses.

Dans le pays où le « qui tue qui ? » faisait florès pendant la période où les attentats terroristes se comptaient par dizaines chez nous, on en vient à s'inspirer de notre modèle de lutte contre le terrorisme, la garde communale en l'occurrence, en mobilisant jusqu'aux réservistes, pour les incorporer dans un corps levé dans l'urgence. Tout comme nous en 1990 ! Une reconnaissance implicite de la souffrance endurée par les Algériens, qui en plus, devaient supporter le déni des Européens par rapport au phénomène du terrorisme : c'est la guerre civile en Algérie, soutenaient les pays de la rive Nord de la méditerranée ; le terrorisme n'a pas de frontière, prédisaient les Algériens ! Le temps leur a donné raison, même s'il faut déplorer toutes les victimes de la folie terroriste qui viennent de succomber dans l'hexagone et ailleurs.

Il est vrai que, pour l'heure, notre pays s'est engagé dans la voie diplomatique en s'attelant, très opportunément, à l'organisation d'une conférence sur « la lutte contre l'extrémisme violent et la dé-radicalisation » ; pour ce faire, il a convié des experts internationaux pour exposer son expérience et en débattre.

Pour les responsables algériens, « dans sa lutte contre le terrorisme, l'Algérie a mis en œuvre une profonde et multidimensionnelle politique de dé-radicalisation qui a sensiblement contribué à l'affaiblissement des groupes terroristes, à discréditer leur discours et idéologies extrémistes, à leur rejet par la population et à l'assèchement de leurs sources de recrutement ».

Selon Abdelkader Messahel, la dé-radicalisation s'impose comme « une entreprise fondamentale qui concerne toutes les dimensions de la vie politique, économique, culturelle et sociale qui interpelle tous les segments de la société, au plan interne et toute la communauté internationale au plan externe ».

Pour la communauté internationale l'heure est au renforcement sécuritaire. A la mobilisation de toutes les énergies. C'est l'urgence absolue ! Les forces policières ou militaires sont au maximum de leurs moyens dans la lutte contre le terrorisme tant en France qu'au Royaume de Belgique qui s'est retrouvé paralysé face à la menace qui place sur le pays !

Il y a eu aussi des attentats à Beyrouth au Liban et aussi à Bamako au Mali commis par des terroristes obéissant à la même idéologie destructrice. Et ce mardi, c'est un bus qui a explosé en plein Tunis, avec des victimes innombrables.

En Algérie, on a connu la décennie noire et tous les drames qu'elle a charriés. A l'époque des milliers de patriotes et de paramilitaires sont venus dans l'extrême urgence, au milieu des années 1990, assister l'armée lorsque le pays était à feu et à sang.

Ces courageux citoyens dont un grand nombre a été enrôlé dans la garde communale, ont constitué une force d'appui indispensable pour protéger le territoire national jusqu'à ses recoins les plus isolés.

La paix retrouvée, les patriotes s'en sont retournés dans leurs foyers et les gardes communaux ont poursuivis leurs missions jusqu'à la dissolution du corps, décrétée officiellement le 31 octobre 2012, pour cause de stabilité retrouvée.

Il est certes vrai que trois options alternatives ont été proposées aux gardes communaux :

1. départ volontaire à la retraite, option qui a séduit près de 54 000 agents

2. intégration à l'ANP en tant qu'auxiliaires, avec des vœux exprimés par pas moins de 22 000 agents

3. le reste des effectifs ayant préféré se reconvertir en agents de sécurité dans les entités économiques ou administratives publiques, sont en attente d'un poste de travail et continuent, semble-t-il, à percevoir leur salaire

De ce qui précède, la question qu'il faut se poser, au moment même où l'Europe et le monde entier redoublent d'efforts pour renforcer leurs moyens de lutte contre le terrorisme, est celle-ci : fallait-il dissoudre la garde communale et partant, faire l'économie de l'expérience acquise par ses agents ?

La réponse est peut-être affirmative, si on venait à prendre en compte le classement établi dans le dernier rapport annuel sur l'Indice Global de Terrorisme pour 2015 publié par le Think-Tank International Institute for Economics and Peace (Institut pour l'économie et la paix) qui classe, par ordre croissant, les pays les plus sujets à la menace terroriste. Avec sa 34ème place sur 152 pays, l'Algérie est placée dans la catégorie « orange » et de ce fait, elle est en progression, puisqu'elle était classée dans le rapport de 2014 à la 21ème place, ce qui la situait dans la catégorie « rouge ».

Dans ce classement, l'Irak, l'Afghanistan et le Nigéria occupent les trois premières places ; la Syrie est 5ème, tandis que la Tunisie et le Maroc occupent, respectivement, les 47ème et 92ème places.

Toutefois, d'anciens militaires le disent aujourd'hui, sans ambages, la garde communale fait défaut dans le dispositif de lutte anti-terroriste ! Cela a été relevé, d'ailleurs, par de nombreux analystes de la question sécuritaire qui soutiennent que les troupes opérationnelles de l'ANP, qui ont fort à faire au niveau des nombreuses frontières du pays et de l'agitation qui les secouent, ont été dépouillées d'auxiliaires dont la préciosité dans certaines compétences, a été maintes fois vérifiée lors d'innombrables opérations combinées de lutte contre le GIA, le GSPC et leur héritier AQMI. (2)

La nouvelle nébuleuse terroriste, en l'occurrence Daesh, veut renforcer ses réseaux djihadistes en Algérie, à en croire le radar de Liberté de ce mardi 24 novembre qui s'appuie sur l'information publiée par le New York Times « qui se serait procuré une infographie complète des endroits où Daesh envisagerait de mener des opérations militaires avant de s'installer au Maroc et en Europe, pour au final, provoquer une guerre apocalyptique mondiale ».

Actuellement, on dénombre près de 10 000 Tunisiens et Marocains dans les rangs de l'organisation terroriste ; il y aurait aussi quelque 1500 Algériens, selon une estimation du ministère de l'intérieur ( El Watan du 24/11/2015).

L'Algérie, s'apprête à renforcer ses lois anti-terroristes avec le durcissement des peines pour lutter contre le phénomène du retour des « combattants » et du « recrutement par les TIC ».

En l'état, bien sûr personne ne pourra dire qu'avec la présence des gardes communaux et l'expérience qu'ils ont cumulée en matière de renseignement et de maitrise du terrain, les attaques des groupes de terroristes auraient continué ou pas. En revanche, nul ne pourra contester à la garde communale son expertise en matière de détection, le plus en amont possible, des dérives terroristes chez certains de nos compatriotes « égarés » qu'elle étouffait dans l'œuf !

Mais, aujourd'hui, nul ne peut le contester : tant qu'un citoyen, un militaire ou un policier tombent sous les balles assassines, c'est que le terrorisme est encore là, qu'il soit résiduel, occasionnel ou en régénérescence, ou encore affilié à Al Qaïda ou l'Etat Islamique !

Est-ce échapper au langage formaté que de dire que la garde communale doit revivre en ces temps où la menace terroriste plane sur le monde entier et aussi, peut-être, pour donner naissance à une « police communale » plus qu'indispensable au regard des agressions commises sur l'environnement et le cadre de vie des algériens ?

A moins que le cœur ait ses raisons que la raison ignore !

Renvois :

(1) La déclaration est du patron de l'UDI après sa rencontre avec le président Hollande au lendemain des attentats terroristes à Paris.

(2) Le terrorisme entre la réalité et le discours/ M. Azedine/ Le Soir d'Algérie du 21/7/2015