Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Une demande d'audience au président de la République : un crime d'Etat ou un acte d'opposition politique ouvert et déclaré ?

par Mourad Benachenhou

Ni le choix des principes sur les quelles la Constitution actuelle a été rédigée, ni son texte même, n'ont fait l'objet d'un débat ouvert à tous les citoyens intéressés, que ce soit dans le cadre d'une Assemblée constituante élue ou nommée, ou dans un cadre institutionnel fondé sur la séparation des pouvoirs et l'indépendance de ses membres.

Une conception du pouvoir politique établie unilatéralement

On peut, sans se prévaloir d'une opposition quelconque au système politique actuel, et même donner tout son appui à ce système, affirmer que le système constitutionnel actuel reflète une conception du pouvoir élaborée par un cercle étroit au sommet de la hiérarchie politique du pays, et qui a choisi de donner au pays une constitution de type présidentiel pur, où le chef de l'Etat exerce des pouvoirs tels qu'ils enlèvent toute influence aux mécanismes de contrepoids habituels dans tous les systèmes constitutionnels contemporains.

La révision constitutionnelle de Novembre 2008 est venue confirmer ce choix d'un Président fort, dominant sans partage la hiérarchie du pouvoir et donnant aux institutions politiques du pays une structure pyramidale parfaite. Le Président de la République règne et gouverne à la fois.

Un seul homme politique : le président de la République

Tous les hauts responsables entre lesquels sont réparties les charges qui couvrent le domaine de la gestion collective sont les subordonnés du Président et n'ont aucun poids politique autre que celui qu'il leur donne en les nommant aux postes qu'ils occupent. Le moindre de leurs actes, la moindre de leurs décisions, sont soumis, non à des choix politiques qui leurs sont propres, mais à des analyses, des orientations et des prises de position qui reflètent des orientations émanant exclusivement du chef de l'Etat, auxquelles ils doivent se référer sans y apporter quelque changement que ce soit exprimant leurs propres convictions intérieures.

Le seul homme politique, dans ce système, déterminé en toute autonomie au plus haut niveau de l'Etat, fait du Président de la République le seul homme politique, tout le reste des institutions étant dirigé par de simples fonctionnaires, quel que soit le titre qui leur est attribué, et quelle que soit leur proximité hiérarchique du Chef de l'Etat.

Même les chefs de Partis, qui se réclament de sa bénédiction, quels que soient leur style personnel ou les spécificités de leurs carrières publiques, ne sont que des agents d'exécution qui parlent et agissent en conformité avec les choix politiques du Président, qu'ils soient en harmonie avec leurs propres convictions ou en contradiction totale avec elles. Lorsque ces chefs de parti s'expriment, ce n'est jamais à titre personnel, mais comme simples exécutants d'instructions explicites ou implicites du chef d'Etat.

Un système politique imposé par les circonstances historiques et les spécificités sociétales

Cette analyse ne doit pas être considérée comme une critique du système politique actuel, ni comme un appel à sa réforme, ni même un plaidoyer pour une constitution plus « démocratique, » plus ouverte à l'influence de l'opinion publique.

Il ne s'agit pas de présenter des arguments nouveaux, ou maintes fois rabâchés, faisant ressortir les avantages de la démocratie « à l'occidentale, » sur tous les systèmes qui donnent à un seul homme, un poids démesuré dans la gestion des affaires publiques. On considère qu'un peuple n'a que le système politique qu'il peut animer, et que toute tentative de lui donner un système politique, qui ne correspond pas à ce qu'il est capable de prendre en charge sans intervention extérieure, conduit à l'instabilité, à la violence politique et à l'effondrement du bien le plus précieux qu'un Etat peut donner à un peuple , et qui est l'essence et le fondement des droits de l'homme : la paix.

On peut même soutenir que le meilleur régime politique que l'Algérie puisse avoir dans les circonstances actuelles, et au vu de la misère, de la terreur, des destructions, et de l'éclatement de leurs sociétés, auxquelles des puissances extérieures veulent « démocratiser » à tout prix, est le système présidentiel.

On a besoin d'un homme fort à la tête du pays

On a besoin d'avoir, au sommet de l'Etat, un homme aux idées claires, à la vision transparente sur les défis que doit affronter le pays, et qui tienne fermement la barre du bateau national, auquel il fait éviter les écueils mortels et les piège cruels d'un environnement international dans lequel, depuis quelques décennies, le langage de la puissance militaire a pris la place des relations internationales fondées sur des lois et des institutions regroupant tous les membres de la collectivité des Etats.

La crise financière dans laquelle le pays est tombé, du fait du quasi-monopole de création de richesse que détiennent les ressources pétrolières, les conséquences sociales de cette crise, auxquelles s'ajoute la montée en puissance de groupes compradores qui veulent profiter l'affaissement progressif de la légitimité du système politique, dont les causes sont multiples, rendent encore plus importante la vigueur avec laquelle le chef de l'Etat doit tenir la barre de pilotage du pays.

Ceci dit avec autant de clarté que possible, la condition sine qua non pour que le système présidentiel fonctionne tient dans la capacité physique et intellectuelle du chef de l'état à assumer pleinement ses responsabilités écrasantes, dont il détient le monopole sans partage.

Qu'on le veuille ou non, du fait même du système choisi en toute autonomie, le Chef de l'Etat doit être en veille permanente, car tout ce qui advient dans le pays à l'intérieur, et qui constitue pour lui une menace ou une opportunité à l'extérieur, ne peut être intégré dans les analyses complexes qui débouchent sur des décisions appropriées, que par lui.

Derrière toute mesure technique, il y a un problème politique

La délégation de pouvoir, dans le système politique actuel, ne couvre que l'application sur le terrain de décisions politiques prises exclusivement par le Président de la République.

Aucune autorité ne peut se substituer à lui, quelle que soit le problème politique que pose telle ou telle mesure qui apparait appeler des dispositions ressortissant du technique, mais en fait soulevant essentiellement des question interpellant l'essence même de l'Etat, et de ce que le Président veut qu'il soit : derrière toute mesure « technique, » il y a un ou plusieurs problèmes politiques, dont le filtrage dépend du chef de l'Etat, et de nulle autre autorité dans le pays. Quiconque tente de se substituer au pouvoir politique du Chef de L'Etat, dans le domaine de son ressort, en infléchissant les orientations que la seule autorité politique du pays a choisies, parce qu'il considère qu'elles vont dans le sens de ses propres convictions, ou en les justifiant par des arguments « techniques, » commet un acte de forfaiture et, -on peut le déclarer sans restrictions,-participe d'un coup d'état, qu'il soit subreptice ou ouvert.

Une cohérence du système présidentiel qui dicte ses exigences

Le Chef d'Etat doit, en conséquence de son pouvoir, agir constamment et sans relâche, sur le terrain, qu'il soit physique ou humain. Sa présence permanente et visible dans les activités de gestion des affaires du pays est dictée par le système constitutionnel, non par la pression des évènements ou les exigences de la population.

Il y a une cohérence dans le système présidentiel qui impose ses règles au comportement et aux activités du chef de l'Etat. Il ne peut pas à la fois tenir à exercer pleinement ses prérogatives- et veiller à l'animation de ses soutiens institutionnels, qu'ils se présentent sous la forme de partis ou d'institutions administratives hiérarchisées- et , en même temps, ne privilégier dans ses rares apparitions publiques que quelques unes de ses attributions, si importantes soient-elles, dans le contexte international actuel, au profit d'autres, négligées, ou laissées entièrement à la merci de « responsables » sans responsabilités politiques aucunes sur le plan constitutionnel.

L'absence physique de la scène nationale crée le vide politique et implique, quelles que soient par ailleurs les dispositions constitutionnelle, la vacance du pouvoir présidentiel, qu'elle soit déclarée ou non.

Les apparitions télévisées furtives à l'occasion de visites de personnalités étrangères ne sont pas suffisantes comme preuves de la présence physique du chef de l'Etat sur la scène politique du pays.

Comparaison n'est évidemment pas raison ; mais, cette réserve exprimée, les chefs d'état des régimes présidentiels tempérés par le parlementarisme constituent, dans leurs activités quotidiennes, de bons exemples de ce que le Président doit faire pour que sa présence physique, fondement de la solidité de son leadership, soit un rappel constant de l'idée qu'il est la seule source de la légitimité du pouvoir politique dans le pays. On ne peut pas être à la fois le maitre absolu, le seul capitaine à bord, et passer son temps, enfermé dans sa cabine, sauf pour apparaitre de manière fugitive, quand se présente sur le pont du navire un passager important venu d'ailleurs.

Une demande d'audience d'une extrême banalité administrative

C'est dans ce contexte que l'on doit placer une demande, qu'on peut considérer comme d'une extrême banalité,- qualificatif qui n'a rien de dérogatoire, mais souligne seulement le caractère répétitif de ce type de demandes- d'audience adressée au Président de la République par un groupe de «personnalités. On peut gloser sur le qualificatif de « personnalité, » et se demander quels sont les critères que doit remplir une « personne » pour mériter le titre de « personnalité. »

Et on peut même se lancer dans des analyses critériologiques permettant de mieux clarifier ce qualificatif, et de déterminer si les signataires de cette banale demande d'audience méritent vraiment ce titre.

Poser le problème de cette démarche sous cette angle est une tentative de « délégitimer, » l'initiative en mettant en cause la représentativité de ceux qui l'on engagée, et qui ne parleraient qu'en leur nom, et n'engageraient que leur personne, puisqu'en fait ils ne refléteraient pas, d'une manière ou d'une autre, une opinion partagé par d'autres membres de la société qu'eux. Car, par définition une « personnalité » est quelqu'un qui a du poids, si ce n'est de l'influence, dans l'opinion publique, parce qu'il convoie, par ses actes et sa vie, son expériences, ses compétences démontrées, ses accomplissements, des valeurs partagées par beaucoup, et constitue un exemple que beaucoup voudraient être capables de répliquer.

Délégitimer ou mettre en cause les intentions cachées : une approche futile, si ce n'est dangereuse

La validité de cette démarche ne peut pas être réduite en utilisant des arguments que les logiciens appellent « ad hominem, » (contre la personne même qui agit, et non contre son action) ; cette stratégie de contre-attaque tente vainement de «trivialiser,» tout simplement et sans lui enlever son importance vitale, une démarche citoyenne sérieuse et responsable, -même si on peut également, quitte à se répéter, la considérer comme banale, -et qui pose un problème d'actualité extrêmement grave, et dont les preuves de son existence ne manquent pas. Un autre angle d'attaque de cette démarche a été le questionnement des motivations personnelles ou politique, et des intentions cachées derrière l'initiative de ces « personnalités. »

Là aussi le problème est mal posé, car, quelle que soient les motivations ou les intentions cachées, et quelle que soit la perspicacité des spécialistes en « psychologie de l'action, » tout ce qui en est dit ou en sera dit, n'est que de la conjecture, des suppositions sans fondements, des fruits de l'imagination des spécialistes autoproclamés de l'introspective des femmes et hommes publiques. Ce qui importe, d'ailleurs, dans ce cas, c'est le contenu de la démarche, excellente initiative en soi, quelles que soient par ailleurs les intentions cachées des uns et des autres, qu'elles soient louables ou non. Et qui a la vaine prétention de détenir le « scanner de précision» permettant de détecter la qualité des intentions derrière une action, quelle qu'elle soit ?

Un problème protocolaire qui prend une dimension politique

Ce qui est important et hautement significatif, et cela va au-delà des critiques touchant soit à la légitimité de l'initiative- qui n'a rien de dérogatoire ou même de critique à l'égard du chef de l'Etat ou des institutions constituées- de ces personnes, soit à leurs motivations ou leurs intentions, c'est que cette demande d'audience, qui aurait dû rester au niveau du traitement strictement protocolaire, et recevoir, de l'institution en charge de cette activité, la réponse adéquate, positive ou négative, a soulevé une tempête qui contraste avec sa banalité.

Nulle part dans la Constitution, il n'est dit que seules certaines catégories de citoyens seraient autorisées à demander légalement une audience au Président de la République. Aucun article du code pénal ne prévoit, non plus, de poursuite contre toute personne non autorisée légalement à faire ce type de demande. Et ceux qui l'ont faite ne peuvent ni être considérés comme des criminels voulant s'attaquer à la stabilité de l'Etat, ni traités comme des farfelus vaniteux tenant à faire parler d'eux, en effectuant une démarche à la fois incongrue et au-delà de leur propre place dans la société.

De manière générale, on ne connait pas de règle protocolaire établie par la tradition, ou écrite, qui empêcherait une citoyenne ou un citoyen quelconque de demander à voir en privé, ou en groupe, le chef de l'Etat. Du fait que le Président est le Président de tous les Algériens, et pas seulement de son entourage, de ses proches collaborateurs ou des membres de sa famille, tous ceux qui demandent à le voir sont dans leur droit, et ne violent ni règle protocolaire, ni loi. Refuser ou accepter de recevoir ces solliciteurs est du ressort exclusif du chef de l'Etat, qui peut décider, « si ça lui chante, »ou s'il y trouve un avantage politique bénéfique au pays, et en fonction de son emploi du temps, de recevoir un humble «fellah,» venant d'un village dont le nom n'apparait même pas sur la carte du pays, et de refuser l'audience à un de ses anciens collaborateurs ou compagnons de la lutte de libération nationale.

Y -a-t-il plus d'un directeur du protocole à la présidence ?

Le nom du directeur du protocole n'a rien de secret et la réponse à ce type de demandes, -qui, sans doute n'a rien de rare,- quelle qu'elle soit, ne peut venir que par son canal et par lui exclusivement.

Si d'autres répondent à sa place, ils se mêlent de ce qui ne les regarde pas,- et ceci a déjà été observé par certains de ceux qui ont signé cette demande d'audience, - et ils s'arrogent des attributions administratives qui ne sont pas de leur ressort, quelque soit, par ailleurs, le titre et l'importance « politique » dont ils peuvent se prévaloir.

Ce qui concerne le service du protocole de la Présidence est si évident qu'on ne peut qu'être surpris de la multitude de ceux qui, brusquement, se sentent concernés par une demande qui ne leur a pas été adressées, et manifestent leur intérêt pour occuper un poste bien en deçà de la position officielle qu'ils détiennent, du fait d'une décision du Président de la République.

En conclusion

Si une telle demande d'audience pose problème, c'est qu'elle soulève une question qui n'a rien de futile et qui va au fonds de la conception constitutionnelle fondamentale qui a inspiré le système politique actuel.

Ce n'est ni un problème de légitimité ou de légalité de la demande, ni un problème de représentativité de demandeurs qui se posent.

Il faut souligner que, dans cette demande il n'y a aucune nuance d'opposition politique mettant en cause la nature même du régime, ni même volonté d'embarrasser le chef de l''Etat ou de déroger au respect extrême qui lui est dû, du fait de sa personnalité et de sa position de leader politique légitime élu du pays. Et ceci rend d'autant plus incompréhensibles les réactions que ceux qui se posent en défenseurs purs et durs de ce système, qu'approuvent et appuient tous les signataires de la demande d'audience, ce qui n'a d'ailleurs pas échappé à certains «opposants de carrière. »

La question soulevée est claire : Le Président de la République exerce-t-il pleinement, au vu des exigences à la fois physiques et mentales qu'elles requièrent, toutes ses responsabilités politiques dans leur plénitude? Nul ne peut répondre à sa place. Et sa réponse est exclusivement de son ressort.

Rien n'est plus facile pour lui que de décider , par exemple, de montrer qu'il est effectivement fonctionnel vingt quatre heures sur vingt quatre, et qu'il jouit encore de la vigueur physique nécessaire pour lui permettre de déployer sa vigueur mentale à tout moment de la journée et en tout point du pays.

Il lui suffit d'apparaitre en public, et suivant la forme qu'il aura choisie, afin que « dans le monde et dans la ville, » tout un chacun puisse constater qu'en effet sa voix est encore ferme, même si sa démarche n'est pas assurée, et qu'il tient réellement les rênes du pouvoir. Il n'a nul besoin de qui que soit d'autre que lui pour rassurer le peuple ; puisqu'on affirme qu'il continue à gouverner, rien ne serait plus aisé que cette apparition, qui tournera en ridicule les plus sceptiques et prouvera que la demande d'audience est inutile, quelle que soit la qualité et la représentativité des personnalités qui l'on cosignée. Les Algériennes et les Algériens, qui, dans leur écrasante majorité, sont indifférentes aux intrigues politiques, attendent une preuve facile à administrer et à comprendre. La brusque multiplication de ses portes-parole- alors que lui-même garde le silence- laisse planer des doutes sur le bon fonctionnement du système présidentiel et rend d'autant plus pertinente et à point venu la demande d'audience.

Donc, cette preuve ne peut venir que du chef de l'Etat, et de personne d'autre, dans le respect du système constitutionnel qu'il a choisi lui-même de maintenir et de renforcer.

Finalement, la réalité est plus imposante et plus convaincante que son expression verbale, quelle que soit la position de celui ou ceux qui veulent remplacer cette réalité par des mots qui tentent de la décrire sans jamais la dévoiler.