Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

DE GUERRE EN GUERRE

par Belkacem Ahcene-Djaballah

Algérie, Chroniques ciné-littéraires de deux guerres. Recueil d'articles de Yassin Temlali (Préface de El Kadi Ihsane).Editions Barzakh, Alger 2011, 233 pages, 600 dinars.

Une forte somme d'écrits parus durant cinq années dans différentes publications, en Algérie et à l'étranger. L'auteur y présente des œuvres (littéraires et cinématographiques contemporaines) ou leurs auteurs. Mais aussi, il y a d'autres textes qui, à travers une réflexion certaine, vont au-delà du strict domaine artistique ou, alors, rendent hommage à de grands esprits.

Dans la première partie, «Ecritures d'une guerre sans nom», on relève des Lectures critiques (dont l'une sur «la stature conventionnelle de Boualem Sansal), des Entretiens (dont l'un avec Amine Zaoui et le français comme instrument de conquête) et des Analyses de films (Teguia, Djahnine, M. Chouikh, Zaimèche, Y. Bachir-Chouikh). El Kadi Ihsane, le préfacier, note, chez l'auteur, une conscience critique «d'abord sociale»?tout en précisant, dès le départ, qu'il «va sur ses vingt ans lorsqu'il déboule dans Octobre 1988.

Deuxième partie, «La guerre d'Indépendance : résurgences». Ici, c'est un retour sur soi, mais surtout sur les autres. Avec «La Révolution algérienne : une inépuisable ressource narrative» allant du plus complexe, au «roman familial», en passant par l'Histoire simplifiée et l'Histoire comme un livre apocryphe. Avec «Le retour du refoulé colonial : Entretiens». Ils y passent presque tous. En tout cas, les plus connus du moment : Gallisot, Harbi, Djerbal, Stora?

Troisième partie : «Evocations». Kateb Y., A. Khatibi, A. Cossery, A. Césaire, Nasr H. Abou Zeid?

Il était tout à fait normal que l'auteur, journaliste, ne rate aucune occasion pour voir clair dans la situation culturelle (compliquée) du pays et de ses concitoyens. Ce qui donne l'impression (fausse) d'éparpillement. En fait, même en tant que «chercheur de son authenticité » et des «nouveaux codages» (ne pas oublier qu'il est aussi linguiste), il reste franc et attaché à ses convictions. Dans un pays «en fusion lente», normal !

L'Auteur : Né en 1969, il est avant tout journaliste et, aussi, traducteur. A fait des études de lettres françaises et de linguistique. A côtoyé plusieurs rédactions de presse, nationales et étrangères et a participé à l écriture de plusieurs ouvrages.

Avis : Se (re-) lit avec plaisir. Du style et du sens : que demande le lecteur !

Citations : «Toute grande chronique est une multitude de chroniques éphémères» (p 9), «En Algérie, il y a très peu de personnages en épaisseur. Ils sont tous flottants, comme des fantômes qui errent à travers un espace-temps qui ne leur appartient pas (....) .Schizophrènes à trois yeux, l'un qui scrute l'Occident, l'autre, l'Orient, et le troisième, son voisin, pour voir ce qu'il fait. Ce sont donc des extra-terrestres, avec tout le côté amusant, sombre et indéfini» (p 89, Chawki Amari, entretien), « Le conflit des civilisations ? Ce truc, c'est une escroquerie. Il n'y a pas de choc de civilisations qui tienne. Les conflits actuels sont des conflits d'intérêts et de puissance. Vous êtes faible, attendez-vous à être colonisé ou exploité. Vous êtes fort, vous exploitez ou colonisez les autres. Entre les deux, vous rusez. (?). Cependant, les différentes philosophies puis les religions ont élaboré l'élément éthique ou moral qui ne permet plus de coloniser et d'exploiter en toute bonne conscience» (p 97, Salim Bachi, entretien), «Entre 1954 et 1962, en sept ans de guerre d'indépendance, le Fln a formé plus d'ingénieurs et de techniciens que la colonisation ne l'a fait en cent trente deux ans (p 183, Mohamed Harbi, entretien),

Le châle de Zeineb. Roman de Leila Hamoutène. Casbah Editions, Alger 2014, 142 pages, 700 dinars.

A partir de l'histoire de l'aïeule, Zeïneb, c'est une partie importante de l'Histoire du pays qui est contée. Hiver 1840, l'invasion coloniale, barbare, qui massacre tout sur son passage, volant, violant et tuant tout sur son passage, bétail, femmes, enfants? Toute une tribu éliminée de la surface de la terre? sauf la petite Zeineb, 7 ans, (et un châle qui lui avait été remis par sa mère afin qu'il soit le tissu qui reliera les générations, et pour ne pas oublier) arrive à échapper à l'holocauste.

La suite n'est qu'exploitation. Aucune révolte ne réussit à bouter l'ennemi hors du territoire totalement accaparé. Mais le message de résistance, à travers la mémoire de femmes et de symboles (toujours le châle de Zeineb et un collier d'or et de lappis-lazuli transmis de mère à fille), est là.

Automne 1945 : Manifestations nationalistes à Sétif. Après avoir emmené les garçons se faire tuer pour la libérer du joug nazi, la France tue à son tour leurs frères, leurs sœurs, leurs enfants. Encore des morts dont Khadidja, une autre descendante de Zeineb.

Eté 1959? Warda, une descendante, subit l'emprisonnement et meurt sous la torture.

Les années 90 et son radicalisme terroriste. Encore un autre combat et d'autres morts. La femme, toujours la première victime ! Ecrasée, assassinée?

2012 : Amel, la survivante d'une longue lignée de combattantes et de résistantes. Une autre Algérie. Un électron libre. Un autre combat. De la défiance, mais pas de pessimisme: Elle veut se retourner sur le passé des siens, en faire une source de richesse, «sans subir pour autant le sort d'Orphée condamnée à se voir mourir d'amour en se retournant sur le sien»

L'Auteur : Etudes secondaires à Constantine, diplôme de psychologie appliquée et licence en langue française, professeur de langue, elle a déjà publié des recueils de nouvelles, un roman («Sang et jasmin» qui raconte la vie tourmentée d'adolescents dans Alger livrée au terrorisme), un recueil de poèmes... Elle anime des ateliers d'écriture destinés aux jeunes. Elle a, récemment, remporté le prix «Escale littéraire d'Alger» 2016 pour le roman ci-dessus présenté.

Avis : A lire, mais attention de ne pas perdre le fil de l'histoire et de ne pas s?emmêler l'esprit dans les prénoms de femmes. Celles d' hier, d'avant-hier, d'aujourd'hui ... D'autant que le roman (historique? une saga familiale) se mélange (délicatement et heureusement) à l'essai.

Citations : « L'histoire se rumine comme une bonne herbe» (p 57), «La victoire (...) fait souvent oublier les serments et les bons sentiments» (p 77) , «C'est sacrément sexy une autruche, le cul en l'air et la tête enfouie dans la terre ! Le voile ne serait rien qu'une mode s'il n'y avait ce qui se profile derrière : un projet de société où le spectacle de la femme ensevelie sous le rideau de sa soumission ne serait qu'un élément inscrit dans une perspective résolument rétrograde» ( p 131), «T 'es Arabe ? Berbère ? Kabyle ? Arabisant ? Francophone ? Islamiste ? Laïc ? Démocrate ? Beldi ? Rural ? Rurbain ? Papiche ? Bouhi ? Comment se retrouver une identité dans tout cela ? Ce n'est plus une division, c'est une atomisation. Quand tu oses dire que tu es tout cela à la fois, on te regarde comme si tu venais d'ailleurs» (p 137), «Mon monde à moi se trouve entre ciel et terre, entre Nord et Sud, entre homme et femme, entre passé et avenir, c'est-à-dire ce qui les rapproche. Il est aussi dans la vie que je mène avec les miens, ceux qui me ressemblent, ceux qui acceptent ceux qui sont différents et ceux qui sont différents malgré tout ce qui nous sépare » (p 142).

Les armes de la liberté. Algérie : Guerre de libération. Mémoires et témoignages. Ouvrage historico- documentaire de Mohammed Boudaoud dit Si Mansour.EditionsRafar, Alger,2015, 198 pages, 750 dinars.

Des «mémoires vivantes», un recueil de souvenirs qui bien que très lointains, nous reviennent plus que chauds, nous replongeant dans une aventure humaine extraordinaire ayant contribué de manière concrète et plus que positive à la lutte de libération nationale. A travers la vie d'un jeune homme devenu rapidement adulte en raison des combats pour la liberté qui s'imposaient, on revit donc, certes pas mal de problèmes liés directement à la vie de l'individu mais surtout la mise sur pied d'une «industrie» algérienne de l'armement, dans des ateliers clandestins basés au Maroc, tout particulièrement. Il assure même que si Ben Bella ne l'avait pas «stoppée» après juillet 62, éparpillant les centaines de cadres et techniciens spécialisés (durement formés sur le tas ou à l'étranger), elle était la plateforme idéale pour une véritable industrie algérienne de l'armement.

Durant la guerre, il fallait, en effet, rapidement, sortir des réseaux classiques d'approvisionnement étrangers en raison des risques encourus, les services d'espionnage français «veillant au grain», surveillant, enquêtant, infiltrant, sabotant, assassinant, interceptant? rendant difficile l'arrivée des cargaisons durement acquises (achetées ou offertes).

L'ouvrage est truffé de petites et grandes révélations, l'auteur ayant côtoyé nos plus grands : Ainsi, de toutes les «aides» en armement des pays amis, l'Urss a été (presque) la dernière à s'y mettre. Ainsi, Cuba a même envoyé aux combattants des lots de cigares (on comprend maintenant l'amour immodéré de Boumediène pour le cigare cubain !) et de rhum (ce dernier, dit-il, échangé contre des armes avec des Marocains). Ainsi, le soutien des marocains a été continu et massif. Ainsi, il fut un des premiers à avoir su (de la bouche même de Krim Belkacem) l'assassinat de Abane Ramdane. Il met, aussi, en exergue, le rôle et l'engagement des militants de la 4è Internationale communiste. Elle mit, au service de l'Aln, des ingénieurs et des techniciens qui ont aidé à la fabrication, entre autres, de la première mitraillette. On a eu, aussi, des grenades (dont la fameuse grenade anglaise fabriquée en 1956), des mortiers, des obus? Ainsi, Rachid «Casa» n'était pas structuré et il travaillait en franc-tireur, dépendant d'abord de Boussouf puis de Boumediène.

L'Auteur : Témoin privilégié de la grande aventure de l'Aln (à travers, entre autres le Malg) au Maroc ? et ailleurs. «Plongé dans la marmite nationaliste indépendantiste au sortir de l'adolescence » , comme l'écrit le préfacier Daho Djerbal , ancien officier de l'Aln, longtemps responsable du Département armement et logistique ouest du Malg, et, aussi... frère de Omar Boudaoud, un des grands animateurs de la Fédération de France.

Avis : Valeur littéraire moyenne mais valeur documentaire inestimable. Même les commentaires de l'auteur sont intéressants. Nombreux documents d'archives (écrites et photographiques).

Citations : «Abane assassiné par ses pairs, la révolution prenait un autre tournant. Un virage à 180°, où les luttes au pouvoir prenaient le pas sur les nobles causes tracées dès le déclenchement de l'insurrection armée. Ce n'était ni plus ni moins qu'un avertissement pour ceux qui s'aventureraient à contester les pouvoirs d'un groupe restreint d'hommes prêts à tout pour asseoir leur suprématie» (p 71)

Ps : - Karima Bennoune est une algéro-américaine, auteure d'un ouvrage édité aux Etats-unis qui a remporté le Prix de Dayton littéraire pour la paix en 2014 et qui a été classé comme meilleur livre de sciences sociales de l'année 2013 : «Votre fatwa ne s'applique pas ici». Et, début novembre, elle a été nommée rapporteur spécial des Nations unies pour les droits de la culture. Elle a de qui tenir ! Son papa (aujourd'hui décédé et inhumé aux Etats unis) n'est autre que le fameux sociologue le Pr Mahfoudh Bennoune, un sacré tempérament! En espérant que l'ouvrage de Karima soit édité rapidement en Algérie. Le Conseil algéro-américain des affaires de Chikhoune pourrait servir d'intermédiaire. Cela nous fera oublier l'édition, en arabe, de Mein Kampf (ouvrage le plus raciste que l'on connaisse, et dont l'auteur aimait les crapauds et haïssait les juifs et les arabes ) par une maison édition algérienne et sa diffusion au récent Sila? alors qu'il était , selon la presse, sur la liste des 106 livres «interdits» par la commission de contrôle.