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Entre obscurantistes barbares et idéologues paranoïaques !

par Abdellatif Bousenane

Daech a frappé encore de la manière la plus abjecte qui soit, à Paris comme à Beyrouth et ailleurs. Mais qui est-il Daech, en fait ? Qu'est-ce que c'est que le terrorisme transnational ? Des questions qu'on ne pose pas fréquemment !

L'approche la plus adéquate pour répondre à nos questionnements c'est d'appréhender ce fléau, le terrorisme, comme étant un phénomène social plus global qui forme tout un système, impliquant plusieurs réseaux, beaucoup d'intérêts et énormément d'enjeux. Comme le grand banditisme, les trafics d'armes, la drogue, l'argent illicite, etc. Ces fléaux se croisent souvent et ils s'allient quand ils ont un même objectif.

On a souvent tendance à mélanger deux aspects distincts de ce phénomène: le premier c'est l'essence même du problème qui est un réseau terroriste mafieux très organisé lié à des intérêts de certaines puissances voir des Etats. Vladimir Poutine déclare dans le sommet du G20 en Turquie cette semaine : « il y a plus de 40 Etats qui financent Daech dont des membres du G20 » ! Dès lors, on observe un lien certain avec la géostratégie et donc les guerres qui secouent la région du Moyen Orient.

Le deuxième aspect, c'est l'outil avec lequel on exécute, on applique ces stratagèmes. Autrement dit, « la main d'œuvre » qui se trouve chez les fondamentalistes religieux très frustrés. Ceux-ci vivent souvent à la marge des sociétés dans des ghettos, ils ont, souvent, un casier judicaire plein de délits de droit commun; drogue, vols, agressions et toutes autres violences ; ceux qui sont conditionnés par une vie sociale très difficile. L'exemple de ces derniers attentats en Franc est frappant, de Mohammed Merah aux frères Kouachi jusqu'au groupe des suicidaires du Bataclan et du stade de France, les profils sont toujours les mêmes. Des jeunes entre 20 et 30 ans, avec casiers judiciaires, un passé de délinquant et enfin une fiche S pour une grande partie parmi eux. Ils habitaient souvent les cités de la banlieue. Cette semaine toutes les caméras du monde ont découvert le ghetto de Molenbeek à Bruxelles en Belgique où vivaient plus que la moitié des terroristes impliqués directement dans ce crime de vendredi 13!

Multiculturalisme versus universalisme

Ceci étant, je ne suis pas en train d'expliquer qu'il n'y a pas d'extrémistes religieux qui sont prêts à passer à l'acte et qu'ils sont dans une perspective de détestation du monde et même de la vie. Des adeptes de la haine et de la fitna qui ont une conception du monde très sombre et une démarche obscurantiste. Ces terroristes nihilistes sans stratégie, ni objet à construire sauf semer la terreur et les fractures entres communautés.

Pour ne pas s'égarer, toutefois, dans la compréhension du phénomène, il ne faut pas se focaliser, non plus, sur un seul aspect de la problématique qui est multidimensionnelle et rester tout le temps sur « l'outil » qui représente l'amont de cette « stratégie » comme c'est le cas actuellement en France, dont les discussions et les débats tournent autour d'un même sujet : la question des banlieues ! Soit en l'analysant comme étant un problème d'intégration qui se concrétise dans la difficulté d'accès au travail, au logement et la condition social d'une manière générale. Soit, en choisissant la thèse de l'assimilation; une problématique plus profonde encore ; qui concerne un thème cher aux sympathisants de la droite dure et l'extrême droite, l'identité, c'est à dire une assimilation des membres des autres communautés d'origines étrangères aux « valeurs » ou à la « culture » dominante qui serait d'origines : blanche et judéo-chrétienne ! Selon les doctrinaires de ce paradigme. Donc tous les regards sont braqués sur les exécuteurs de ces crimes abjects et barbares. Et à chaque fois, on entend quasiment le même discours, les mêmes analyses à savoir le débat sur les cités, les immigrés, les imams et leur formation, la radicalisation, etc. L'illustration est faite par le président français, François Hollande, qui, devant le congrès, a annoncé des mesures qui s'inscrivent exclusivement dans ce registre : déchéance de la nationalité, l'éloignement des étrangers qui menacerait la sécurité du pays, etc. Par conséquent le débat reste toujours enfermé, notamment en France, entre deux visions, deux théories, entre deux modèles : multiculturalisme et universaliste. Le premier, inspiré par des courants de pensées qui considèrent la diversité culturelle comme un enrichissement de la société qui désigne la coexistence de plusieurs cultures dans un même pays du moment où tout le monde respecte la loi fondamentale du pays dictée, bien évidemment, par les plus dominants. Il est appliqué en Angleterre, Amérique du Nord et quelques pays scandinaves.        Quant à l'universalisme, qui est une fabrication française, au moins dans son aspect politique, il stipule qu'il y a une nature humaine universelle et donc toutes les cultures doivent êtres fondues dans le moule de la société d'accueil. De ce fait, à chaque attentat terroriste les limites du multiculturalisme sont mises à l'épreuve des critiques les plus virulentes.

 Néanmoins, notre question ne se limite pas à l'anthropologie liée, surtout, aux mœurs, aux habitudes, aux croyances et la vie de tous les jours des individus mais elle touche beaucoup plus de domaines : de la sociologie aux relations internationales dans les sciences politiques, jusqu'à l'Histoire.

Qui est-il DAECH ?

Nous avons vu la rapidité avec laquelle on a pu remplacer el Qaida par Daech. Dès l'annonce de la liquidation de Ben Laden, un autre monstre est né, El Baghdadi aussi inconnu et énigmatique que son organisation, ce « calif » a déclaré la guerre, quasiment, à tous les pays arabo-musulmans qui tenteraient de lui barrer le chemin vers l'instauration « d'el khilafa », ou l'empire musulman comme dans les temps des Kalifs, les vrais. Nous sommes déjà dans le registre du surréalisme, de l'invraisemblable ! Il y a là un problème de taille, personne n'est dans la capacité, aujourd'hui, de définir précisément qu'est-ce que c'est que Daech ou l'Etat islamique en Irak et au Levant ? On connait, par exemple, El Qaida et sa naissance lors de la guerre contre l'URSS en Afghanistan, on connait le parcours de son leader Ben Leden, le milliardaire saoudien, donc on a tous les éléments qui nous permettent de comprendre le contexte, la logique, les raisons et les transformations de cette organisation terroriste depuis les années 1990.

On connait également, à titre d'exemple et non pas de comparaison, le Hizb- Allah, le parti politique chiite libanais qui a un bras armé et qui est soutenu par la Syrie et l'Iran parce qu'ils défendent la même idéologie et tendance religieuse. En tout cas c'est bien défini. Mais là, pour Daech, on se trouve devant un groupe complètement insaisissable !

En Syrie, après plusieurs mois de bombardements par la « coalition » mené par les USA, le résultat est vraiment maigre et l'EI se voit de plus en plus menaçant! La rentrée de la Russie en jeu et sa réussite visible sur le terrain en arrêtant net les avancés des terroristes en, juste, deux mois ne passe pas inaperçue, cela appuie fortement l'idée qui stipule que les capitales occidentale n'ont pas une vraie volonté d'éradiquer Daech. Est-ce raisonnable qu'un groupe terroriste qui vient de naitre, il y a à peine 4 ans, se dote de milliers d'équipements flambants neufs, des armes de dernière génération et s'empare d'un territoire aussi grand que la France incluant deux grandes parties de deux Etats-nations souverains, Irak et Syrie ? Est-ce rationnel qu'un groupe terroriste encerclé par des puissantes armées, puisse avoir la possession de champs de pétrole ?

Oui des puits de pétrole et il arrive même à en exploiter le brut et le vendre aux firmes et aux Etats !

Comment est-ce possible le transporter et le commercialiser sans que les services ainsi que les satellites des puissances occidentales et aussi régionales ne se rendent compte? Il y a là une complicité ou, au moins, une manipulation manifeste.

Dans une approche paradoxale qui frôle la schizophrénie des chancelleries occidentales et même arabo-musulmanes, le terrorisme est devenu, effectivement, une variable assez importante dans les calculs géopolitiques, il est perçu ainsi comme étant un ennemi redoutable et en même temps un allié primordial.

Ainsi donc, le terrorisme transnational est un monstre dont sa naissance est marquée par de forts doutes et mystères mais qui se nourrit inéluctablement de « la misère du monde », cette misère qui se trouve en France et dans les pays très développés dans leurs banlieues, leurs ghettos.

A ce titre, il n'est pas question ici d'une banale théorie du complot ou quelconque fantasme conspirationniste mais il s'agit bien d'un questionnement objectif qui vise à rendre intelligible un phénomène social transnational d'une nature très ténébreuse. Et Qui n'est pas prêt à disparaitre tant qu'il est toujours lié aux enjeux géostratégiques et idéologiques guidés par une paranoïa qui s'appelle : clash de civilisations.