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Mais le changement, c'est pour quand ?

par Kamal Guerroua

La semaine dernière, les algériens ont été surpris par un communiqué rendu publique par 19 personnalités nationales ayant demandé une audience solennelle au président Bouteflika.

Une actualité chaude qui n'augure rien d'apaisant pour les esprits de nos citoyens dont la peur du chaos conjuguée à l'inflation galopante, un pouvoir d'achat en dégringolade, la précarité sociale et la faillite morale de leur élite ont ruiné toute patience. Au fait, l'objectif de la démarche est, à ce qu'il paraît de s'assurer que le premier magistrat du pays est bel et bien le maître de ses décisions. D'autant plus qu'un doute s'est partout installé ces derniers temps sur ce qui se trame dans les coulisses du palais d'Al-Mouradia. La réaction des autorités ne s'est pas fait longtemps attendre. L'indignation est exprimée par Ahmed Ouyahia, directeur du cabinet du président de la république.

Ayant apporté son plein soutien à Bouteflika depuis avril 1999, ce dernier y voit en filigrane une manipulation de plus visant à déstabiliser l'Algérie. Ainsi affirme-t-il en tant que chef du R.N.D que le président a reconstruit le pays, conforté son crédit à l'international, redressé ses institutions, et revalorisé les intérêts économiques nationaux. Insinuant de la sorte que sa légitimité ne peut en aucun cas être remise en cause par quiconque, il déclare qu'il (Bouteflika) est seulement «comptable devant le peuple souverain qui l'a investi et devant le peuple uniquement». Ce que l'on peut d'ailleurs interpréter par le «refus» catégorique du pouvoir d'accéder à la revendication principale des 19 initiateurs de cette démarche. Entre temps, aucune nouvelle du concerné alors que s'enflamment des rumeurs sur son hospitalisation.

Comme on a coutume de le voir en d'autres circonstances, les autorités jouent sur la fibre du sensationnel et de la démagogie pour détourner l'attention de l'opinion publique nationale sur ce qu'il est admis d'appeler ici les «impairs autoritaires» du régime.

Autrement dit, la volonté de ce dernier d'imposer le black-out total sur le fonctionnement étatique en serrant les vis à la liberté d'expression dans une atmosphère nationale caractérisée pourtant par le laxisme, le flou communicationnel et le laisser-aller collectif. Or se disant confiantes du «patriotisme» du président mais inquiètes de la dégradation générale des conditions de vie de leurs compatriotes et surtout de l'opacité qui entoure la prise de décision au sein du sérail, ces personnalités-là ont émis des doutes sur la capacité de Bouteflika à gérer le pays.

A vrai dire, quelles que soient les motivations réelles de cette sortie, elle reste un véritable tournant dans la vie politique algérienne et un pied de nez aux dirigeants aussi bien auprès des masses qu'aux yeux de l'étranger! De Louisa Hanoune à Khalida Toumi et de Zohra Drif Bitat à Rachid Boudjedra, ces voix pourtant divergentes sur nombre de dossiers se sont, semble-t-il, unies cette fois-ci dans leur défiance à l'égard de la première institution étatique : la magistrature suprême. Qui gouverne réellement en Algérie? Qui décide? Qui prend soin de la maison en désordre? Et puis, le président qui est gravement malade sait-il vraiment à qui et à quoi il fait face dans une région géostratégiquement en butte à des pressions occidentales d'une rare virulence? Tas de questions en suspens sont en attente de réponses. Mais les réponses de qui et comment? Voilà le dilemme auquel sont confrontés les signataires dudit communiqué. Si la confiance dans le personnage du président a disparu, c'est qu'il y a un problème de fond qui remonte à très longtemps. En diagnostiquant bien les choses, l'on verra qu'avant même le début de ce quatrième mandat, la santé de Bouteflika n'était pas celle de celui qui, entre 1999 et 2007 aurait harangué sans cesse les foules, sillonné de long en large le pays, dominé les médias par ses interminables interventions et parcouru presque toutes les capitales occidentales afin de redorer le blason d'un pays meurtri, voire dévasté et d'une nomenclature vacillante au lendemain d'une guerre civile atroce. De plus, les conseils de ministres se font depuis au moins 4 ans de moins en moins rares. Souffrant d'une part d'un grave A.V.C, le président est quasi absent des écrans de la télévision et la vacance de son poste s'observe chaque jour davantage sur le terrain. D'autre part, les persistantes rumeurs sur l'intrusion d'éléments appartenant aux cercles informels dans la gestion de «la maison Algérie» est un secret de Polichinelle.

Du petit paysan d'un village enclavé à l'étudiant dans une université de la capitale en passant par les jeunes, les travailleurs et les couches sociales moyennes, le constat est sans appel : Bouteflika se porte mal.

Il est à remarquer que ce mode communicationnel par le silence est une énième débâcle à notre gérontocratie et, pareillement, les réactions «sélectives» de nos élites sont un cuisant échec des formes d'engagement des véritables avant-gardes. Pourquoi? D'abord une initiative pareille aurait davantage de mérite si elle était venue de députés du parlement (la chambre législative) qui, dans une démocratie réelle, jouerait le contrepoids populaire face à l'exécutif.

Ensuite, si ces personnalités-là agissent dans l'intérêt commun et la nation, pourquoi n'ont-elles pas bougé le petit doigt ni adressé une correspondance particulière au conseil constitutionnel au sujet du rapport médical du président-candidat au moment où celui-ci a déposé son dossier de candidature? Enfin, la crédibilité de cette démarche serait d'autant plus renforcée si plus aucun signataire n'était auparavant un soutien actif à ce président. En revanche, ce communiqué nous ramène à l'interrogation suivante : serait-il logique que dans le cercle restreint du clan présidentiel de pareilles fissures aient vu le jour? Si un soutien de première heure commence à mettre de la suspicion sur le rôle du président, c'est qu'il y a anguille sous roche. Et puis pourquoi choisit-on exactement ce mois de novembre pour le signifier? A méditer.