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L'incapacité de nos scientifiques à réaliser des produits finis

par Ali Derbala*

«Certes, nous avons récolté, mais pourquoi tous nos fruits? sont-ils devenus bruns ? » Nietzsche.

Pourquoi nos scientifiques ne peuvent-ils pas réaliser des produits élémentaires et finis? Les universités algériennes sont sans imagination, bureaucratiques, rigides et conservatrices pour faire face aux multiples difficultés de la vie. Malgré la gratuité de l'enseignement dans tous les cycles, la formation de cadres nationaux compétents est un problème crucial et pointu. Sans ces futurs cadres, il n'est pas possible d'édifier un pays, une économie, une culture, une richesse, une puissance, un développement et une prospérité. De nos jours et dans la science, ce qu'il faut acquérir est le savoir-faire qu'on ne donne pas mais qui s'arrache ou s'acquiert auprès des centres de recherche nationaux ou étrangers ou des universités, après des années de durs labeurs. Nos recherches ne sauraient être limitées aux travaux de laboratoires, elles doivent être effectuées dans le cadre de la vie quotidienne.

Les freins à la recherche et la réalisation des objectifs sont essentiellement dus à la bureaucratie qui sévit dans ce milieu scientifique. Les enquêtes, reportages, documentaires sur les «promesses» de la recherche et de la technologie sont rares en Algérie.

L'inertie technologique

Pour réaliser des produits consommables et les exploiter jusqu'à une grande commercialisation, il faut disposer d'un brevet. Il est grosso modo une panoplie juridique, n'est déposée qu'après des années de recherche auprès des agences de protection de productions intellectuelle et scientifique, pour défendre les intérêts physiques et moraux des inventeurs. En l'absence du «sceau» de confidentialité ou de «droits» obtenus par un financement du projet, l'invention brevetée ou l'innovation d'un procédé aurait fait, parfois même, l'objet de thèses, de communications dans des conférences et des publications dans des articles de revues scientifiques. Le progrès technique favorise surtout les producteurs et les consommateurs des pays industriels. Les grands programmes publics sont inexistants. Il n'y a jamais eu de projet de construction d'un train, d'un train à grande vitesse, d'une fusée, d'un grand paquebot «L'ALGERIE», etc. Ce genre de projets relève en général du politique. On pense toujours à acheter 17 rames de trains chez Alstom-transport, qui a décroché un marché de 200 millions d'euros en Algérie. Dans la recherche, l'essentiel est de proposer ou soulever les problèmes et de leur apporter des solutions même provisoires. Les sujets ne doivent pas effrayer les chercheurs. Avec une conquête on sait toujours comment cela commence, et quels sont les buts et les visées, mais on ne peut déduire à l'avance la connaissance en profondeur. La situation de l'Algérie de 2015 n'est pas très flatteuse. On est la joie des caricaturistes. Notre société est inerte scientifiquement et beaucoup plus technologiquement. Les Chinois et les Japonais ont le monopole de l'autoroute Est-Ouest, les Moyen-Orientaux celui des télécommunications, les Américains le pétrole et le gaz, les Turcs et les Espagnols la pêche respectivement à l'est et l'ouest du pays, les Français la finance, etc. Que détiennent les Algériens ? Pourquoi ne fait-on pas confiance aux Algériens pour réaliser ces projets ? Quitte à ce qu'ils échouent, doublent, triplent dans leur réalisation. Elle leur fera sûrement de l'expérience pour l'avenir afin de contribuer aux relèvements politique, économique et social de notre pays. L'Algérie ne doit-elle pas un jour construire un Etat moderne, éduquer son peuple, entrer dans le concert des nations prospères et respectées ? Il faut par nous-mêmes Algériens réaliser les grandes œuvres, telle la remise en un bon état de notre sidérurgie à El Hadjar, l'usine d'engrais à Skikda, construire nos propres routes et autoroutes, nos barrages d'eau, nos centrales hydrauliques et à gaz pour la production de l'électricité, etc. Les bras ne manquent pas. Des milliers de jeunes sans emploi, sans travail, sans ressources, sans avenir, se recroquevillent dans nos cités?Un spectacle désolant.

Exemple de quatre projets réalisables mais

qui ne l'ont pas été

Vers la fin du XIXe siècle, la science est devenue utilitaire. Elle a contribué à l'amélioration des conditions humaines. Le progrès technologique a permis aussi l'apparition de produits et de procédés entièrement nouveaux, dont certains pourraient améliorer du tout au tout les conditions de vie des populations. Les scientifiques doivent s'efforcer inlassablement de créer une industrie algérienne. Ils doivent mener un combat courageux, en affrontant toutes les difficultés. Une recherche scientifique n'est vivante que si elle porte la marque personnelle du chercheur. Il faut reconnaître le primat de la pratique qui est le point de départ et le point d'aboutissement de toute théorie.

a. Un enseignant chercheur algérien a étudié mathématiquement les propriétés d'une priorité dynamique stochastique attribuée aux tâches dans un système d'exploitation des ordinateurs monoprocesseurs multitâches.

 Quand il a voulu implémenter des variations de priorité dans le noyau de l'ordonnanceur appelé « scheduler », il lui était impossible de le faire car les systèmes d'exploitation Windows disponibles en Algérie n'étaient que des copies « versions exécutables » (en général piratées ou à craquer) et il ne disposait pas d'un « Windows-source » qui coûte des milliers de dollars où il pouvait changer à la main des paramètres et obtenir une « nouvelle version » de Windows. Pourquoi les informaticiens algériens n'ont pas adoptés le système Unix ou ses versions, un système d'exploitation des ordinateurs gratuit ?

b. Un physicien algérien, nobélisable au vu du nombre de ses articles de l'ordre de 400 selon la presse, étudie au CERN (Centre Européen sur la Recherche en Nucléaire) le nombre de bosons, de protons de la stratosphère qui viennent bombarder la terre, il arrive même à les compter.

 Le grand collisionneur de hadrons (LHC), un accélérateur de particules européen, est mis en opération, à la frontière franco-suisse. L'Université d'Oran et ses physiciens espèrent apporter des éléments de réponse à plusieurs questions concernant la physique des particules (le boson de Higgs, d'où vient la masse des particules élémentaires) et la cosmologie (comprendre les conditions de la formation de l'Univers il y a 13,7 milliards d'années, chercher l'existence de dimensions supplémentaires, résoudre l'énigme de la matière noire de l'Univers). Ces chercheurs en physique n'ont pas pu fabriquer une lampe de poche électrique.

c. Cinq Algériens dont on taira les noms sont des spécialistes en physique des matériaux, physique des traitements de surfaces. A eux seuls, ils totalisent plus de trois cent cinquante (350) articles scientifiques publiés dans des revues de renommée établie.

 Le premier est parti jusqu'en Malaisie pour comparer des approches élaborées dans ce pays ou pour étudier les « terres rares », le second est dans un laboratoire de physique à l'étranger, il côtoie des spécialistes qui ont acquis un savoir-faire, le troisième et la quatrième ont géré et gèrent des millions de dinars,?

 Le cinquième a bénéficié d'une dizaine de stages ou de départs en France dans des laboratoires renommés.

 Tous les cinq n'ont pas pu confectionner une « ponceuse de carrelages », une boîte métallique dotée d'un moteur mobile et d'une pièce ponceuse à abrasifs.

d. Dans le cadre des énergies renouvelables, l'Algérie peut se doter d'une «Tour Solaire « pour fournir de l'électricité. Elle doit s'atteler à ce projet vital pour fournir le pays en électricité. Elle ne doit pas rester à la traîne en recherche. Pour réaliser ce projet, il suffit d'envoyer une «brigade de scientifiques» (1000 hommes au moins, physiciens, mathématiciens, chimistes, informaticiens, psychologues, sociologues, etc.) auprès du département des sciences exactes «d'Adrar», wilaya torride et très ensoleillée, de leur construire rapidement des hangars ateliers climatisés, des logements climatisés, etc., leur offrir des conditions descentes pour supporter « la vie extrême», les prendre en charge financièrement, médicalement, socialement, etc.

 Quand et où que ce soit, bravant même les conditions de travail extrêmement difficiles, les scientifiques doivent faire preuve de persévérance. Cette brigade de scientifiques ne sera autorisée à regagner le Nord algérien que si elle ramène un «câble électrique solaire» en faisant allusion à Ricatti, le savant américain d'origine italienne, et l'équipe de la physique nucléaire de Los Alamos, au Nevada aux USA, en 1944, qui ont produit la première bombe atomique.

Conclusion

Dans toutes les technologies le commencement est ardu. Il ne faut plus importer les produits technologiques, il faut les produire en Algérie et les améliorer.

 Pour rendre le monde meilleur, il ne suffit pas de faire le plus grand des efforts, nous avons besoin de l'esprit de l'habilité. Dès la fin de la seconde guerre, le projet « Paperclip » consistait à récupérer nombre de scientifiques et ingénieurs allemands pour les mettre au service des Etats-Unis [1].

 Par les mauvaises conditions de la vie en Algérie, on a fait fuir vers l'étranger des milliers de docteurs en sciences exactes et médicales. Pourquoi les pouvoirs publics ne responsabilisent pas les académiciens pour la réalisation des projets sensibles ? S'ils échouent à moyen terme, ils perdront ce statut de renommée.

 De nos jours, on doit accumuler un savoir-faire technique car la valeur n'attend point le nombre impressionnant d'articles publiés par les enseignants chercheurs.

 L'Algérie, un grand producteur de gaz naturel, devrait bien gérer la manne qu'il tire de ses ressources naturelles. A ce rythme de faiblesse et de médiocrité dans tous les domaines, notre pays risque de vivre sous le joug d'un néocolonialisme.

 Nous devrons être animés d'une conscience nationale. Outre la croissance numérique des scientifiques, nos intellectuels et le personnel scientifique ne sont pas en général compétents.

* Universitaire

Référence

1. Yvonnick Denoel.

Préface de Gordon Thomas. Le livre noir de la CIA. Les archives secrètes dévoilées. J'ai lu, Nouveau monde éditions,

2007, pp. 45-46.