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Du bruit du moteur à la fumée de son pot d'échappement

par Slemnia Bendaoud

De cette industrie ?'industrialisante'' chère à l'économiste Dustin de Bernis, feu Houari Boumediene en était vraiment fasciné, oubliant cependant que le développement économique du pays est surtout fonction de la parfaite maîtrise des sciences et techniques dans leur ensemble et grande diversité.

Voulant donc à tout prix rapidement consolider une imposante base économique, s'appuyant en premier lieu sur l'accaparement d'un tissu industriel varié et dense, il en occultera l'élément déterminant de l'équation; à savoir, le niveau de performance de l'Algérien au plan du défi scientifique à relever sans tarder.

Le politique menant alors au pas de charge l'économique dans son volet ou élément très technique, il en réalisera, à très brève échéance, tous ces nombreux complexes et toutes ces grandes usines, disséminés un peu partout à travers l'ensemble du territoire national.

Près de l'antique cité du Vieux Rocher, Constantine, il y érigera toute une flopée d'industries mécaniques, avec son lot de moteurs, grues, chargeurs, tracteurs et autres appareils au bruit vrombissant. Par contre, à sa ville natale, Guelma, en l'occurrence, il lui réservera une toute petite usine fabriquant uniquement la petite ?'reine'' à deux roues et la légendaire ?'mobylette''.

Au modèle économique vraiment coûteux et très ?'allemand'' de la métropole régionale de l'est algérien, il lui opposera de front celui plutôt à très bon marché et très asiatique, réalisé alors au sein de sa contrée d'origine et ville natale.

Ne pouvant alors tenir la comparaison avec la grande industrie constantinoise, les Guelmis, lassés de voir à longueur de temps tournoyer comme des essaims de mouches à travers les venelles de leur ville ces ?'deux-roues'' qui écumaient du matin au soir leur paisible cité, durent faire usage de beaucoup d'humour fin et savant à l'effet d'atténuer enfin leur terrible frustration et périlleux calvaire.

«Fort heureusement, il y a encore le vrombissement de ce grand moteur constantinois qui nous propulse à distance et quotidiennement ce semblant de fumée que le pot d'échappement de nos misérables motos dégage comme une traînée de fil de brouillard à chacune de leurs prouesses et nombreuses embardées», se disaient-ils entre eux, autrefois, non sans amusement.

A la cueillette de ces menues miettes de développement, sous la forme d'une véritable fumée d'écran, ils tentaient, à leur façon, de vraiment mesurer l'impact de cet écart important qui les séparait du réel progrès alors envisagé en matière d'équipement pour leur contrée.

Depuis, la légende se substituant à la vérité des choses et de la vie, il y eut donc cette séparation forcée à faire au sein de nos esprits et autres mentalités entre ce lieu d'où vrombit réellement le moteur,une fois qu'il est mis en marche, et cette fumée en trait noir soulignant sa chevauchée, dégagée très loin par le biais de son pot d'échappement.

Ainsi, le progrès technologique constantinois était perçu dans ces mêmes formes et autres variés aspects du côté de la citadelle du mont de Mermoura; l'allusion faisant donc tout le reste de cet évènement très important dans la métaphore de la métamorphose de la vie des citoyens de la région.

Alors que tout le monde s'attendait à la correction graduelle de toutes ces «inégalités» et autres déséquilibres, un autre malheur est venu donc frapper de plein fouet notre cité pour, dit-on à un haut niveau, la contraindre à abandonner de facto tous ses nombreux projets d'investissement, faute de moyens de financement justement.

Il n'y eut donc plus aucune ombre d'un hypothétique moteur, ni même le moindre gémissement d'une quelconque machine du genre, et encore moins une toute salutaire et même sombre fumée dégagée en signe de bonne santé de notre économie des fins fonds de leurs entrailles.

Vint alors par la fatalité de l'Histoire tous ces déboires ayant longtemps enfanté cette cécité de la nécessité d'un régime atteint par la sénilité de céder à tout-va à la gabegie de la bêtise humaine.

Constantine comme Guelma, à l'instar d'autres contrées du pays, devaient être logées à la même enseigne ou renvoyées dos à dos et sine die par un régime ayant entre-temps bien changé de comportement en matière d'investissement.

La raillerie, ne pouvant donc manifestement trouver meilleur support publicitaire à l'effet d'alimenter cet humour décapant qui faisait naguère encore le lit à cette nouvelle mentalité, allait elle aussi pousser nos gouvernants à en faire bon usage afin de meubler leur temps, en signe de contentement du monde rechignant, faute de solutions idoines ou appropriées.

La leçon était donc toute trouvée pour ces roublards de carriéristes décideurs: séparer le son qu'on émet de l'écho qu'il produit, à l'effet de complètement dérouter avec le citoyen algérien.

Dans leur vilain jeu politique qui s'ensuit bien après, ils réussirent même à complètement étouffer le bruit de ce moteur de la vie citoyenne, à l'effet de cesser de produire au loin ce simulacre de fumée, indice à partir duquel on pouvait tout de même deviner à la fois la puissance et la marque de l'engin qui la produit et d'où il le fait !

L'embellie financière arrivant plus tard à grands galops et longues enjambés, au lieu d'être mise à profit à l'effet de réparer cette «injustice», ouvrira, contre toute attente, grandes ouvertes les portes à l'opportunisme de tout bord à un panel d'arrivistes de tous genres.

Et l'on se mit alors à jeter de nombreux sous un peu partout, sous la forme de crédits ANSEJ peu probants, de logements sociaux en partie destinés à la revente au marché parallèle, de lots de terrain à bâtir à des privilégiés ou potes du régime, concéder des fermes agricoles à de nouveaux riches qui n'auront plus aucun souci de les laisser en friche?

A l'opposé, de l'autre côté de la barrière, celle traçant et limitant le territoire de la basse société, on avait déjà bien décodé le message transmis d'un aussi haut lieu, pour se mettre à l'avance dans l'humeur et les bonnes grâces d'un régime qui fait manifestement dans le populisme et la frime, au lieu de se projeter dans ce futur immédiat dont dépend pourtant l'avenir économique du pays et de la nation.

Au dévouement sans la moindre condition de jadis et d'autrefois du citoyen au profit de la communauté et de la société, devait donc tout naturellement succéder cet égoïsme à profusion qui s'est emparé de l'individu des temps présents, faisant, par conséquent, tout basculer dans ce qui était d'essence philosophique des nobles valeurs de la vie citoyenne.

Du bruit autrefois tonitruant du moteur de Constantine, ils n'en ont qu'un vague souvenir et du pot d'échappement de la mobylette de Guelma, ils n'en reconnaissent ni l'odeur de la fumée ni même la légende véhiculée par la comparaison du premier cité avec cette toute petite cylindrée !

Faut-il plutôt maudire ou au contraire bien applaudir tous ces autres comportements humains qui nous auront fait tout changer dans notre vie citoyenne ? A mesure que le temps passe, se creuse profondément ce fossé qui sépare le citoyen de son berceau.

Comment donc y remédier ? Le lien social en sortira-t-il indemne ? Tout porte à croire que la rupture entre l'individu et son milieu social est plutôt irréversible ! Bien incompatible avec nos mœurs d'antan qui diffèrent complètement de sa mentalité de nos jours !