Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Le Japon et les sciences d'inutilité publique

par Abdelhamid Charif

L'être humain tend, disgracieusement, à oublier que c'est à des analphabètes et à leur intuition et induction innovantes, qu'il doit les faveurs de l'alphabet et bien d'autres choses encore ; et ignore en même temps, que les ingrats tirent souvent peu de profit des legs et bienfaits qu'ils reçoivent, et que la sanction d'un usage, à mauvais escient, n'est jamais écartée.

Une récente information venant du Japon, surprenante et risquant de choquer certains, n'est pas sans rappeler les propos d'un illustre analphabète, méritant davantage de gratitude. Le Prophète, Prière et Salut sur Lui, tout en incitant les musulmans à chercher le savoir, de la naissance à la mort, même en Chine lointaine, implorait, régulièrement, Dieu, dans un hadith connu, de le protéger de la science inutile, donc préjudiciable.

Serait-il, à ce propos obscurantiste de douter des capacités des musulmans, servis par une pléthore de supports d'information, à faire face aux sciences inutiles, mieux que leur Prophète ?

Il est, pour le moins, étrange de constater que ce hadith n'a pas reçu, suffisamment, d'Ijtihad, pour définir ces sciences improductives ; tout comme il ne serait, dès lors, plus impertinent d'essayer de chercher les explications, du côté de la Chine. Et c'est, finalement, bien de cette région du monde, plus précisément, du Japon, que des éléments de réponse commencent, peut être, à nous parvenir. De quoi s'agit-il exactement ?

Le ministère de l'Education du Japon vient d'instruire toutes les universités du pays d'éliminer les sciences humaines et sociales de leurs cursus, pour favoriser les disciplines plus utiles [1-4]. Vingt-six facultés risquent ainsi d'être fermées, car jugées simplement, trop théoriques et ne correspondant pas aux besoins de la société. Les universités refusant de se conformer à la directive, devront faire face à des contraintes financières. Cette politique sélective, privilégiant les sciences et technologies, a déjà été suivie, avec succès, au Japon après la Seconde Guerre mondiale, et les étudiants de ces filières étaient exemptés des obligations du service militaire [4].

Je tiens à signaler que je n'adhère, nullement, à la thèse d'inutilité systématique des sciences humaines et sociales, mais que je fais partie, sans m'en cacher, de ceux qui les considèrent, aussi pertinentes que sensibles et vulnérables, en m'appuyant, entre autres, sur des assertions d'illustres savants dans le domaine [5].

Nous apprenons, par ailleurs, à travers ce scoop que l'Algérie rivalise, quantitativement, avec le Japon en universités, et qu'elle le laisse même loin derrière, en nombre de facultés des sciences humaines et sociales.

Il faut, enfin, relever que cette information qui a fait le tour du monde, a été, magistralement, zappée par les médias algériens. Cela ne doit pas étonner ceux qui, comme l'auteur, pensent que la fonction médiatique, telle qu'exercée par certains, chez nous, figure, elle aussi, dans la liste des candidatures au test d'utilité japonais.

DE LA SENSIBILITE A LA NUISANCE DE CERTAINES DISCIPLINES

La surestimation du savoir pouvant être acquis à l'école, a fini par méjuger et snober le potentiel considérable de l'intuition et du bagage inné, qui ont été, minutieusement, dosés et programmés par Le Créateur pour germer et éclore, graduellement. Et c'est ainsi, par exemple, que des pédagogues modernistes ont jugé utile d'introduire l'éducation sexuelle, dès l'enseignement primaire. En attendant de trouver une solution pour leurs animaux domestiques. Une science inutile n'est jamais neutre, elle finit toujours préjudiciable.

Tenir l'impartialité morale pour un impératif de l'objectivité scientifique, est un appât qui piège nombre de philosophes et anthropologues, en panne de repères solides, et brouillés par une étrange rationalité, considérant les scrupules humains comme des préjugés dont il faut se débarrasser. Cette même rationalité ne gêne pas, outre mesure, des analyses rétrospectives ou thèses spéculatives, que les exceptions, même nombreuses,,ne peuvent que confirmer ; alors qu'en logique cartésienne, un seul contre-exemple suffit à démolir, à jamais, toute une théorie.

A force de flirter avec les frontières du doute, on finit par céder aux tentations des sensations libératrices, vers un horizon élargi, vers l'errance et l'égarement.

C'est seulement dans le respect de la divinité que l'être humain peut faire une introspection de soi, tout comme un ordinateur puissant peut accomplir de grandes prouesses, sans pouvoir, toutefois, remettre en cause son système d'exploitation.

C'est ainsi que le parcours de beaucoup de philosophes et sociologues, sans ancrage spirituel solide, ressemble à celui de Durkheim, qui était religieux durant sa jeunesse, avant de finir athée, mais respectant la religion en tant que croyance mythique [5].

On peut concéder une certaine compréhension aux religions, scientifiquement, discréditées, mais la foi d'un bon musulman ne doit pas être ébranlée par ces sciences, et en fait l'Islam a même récupéré plusieurs esprits brillants, qui étaient en quête authentique d'une issue de l'égarement.

CARTE UNIVERSITAIRE ET POIDS ECRASANT DES SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES

La référence [6] présente une excellente description de l'évolution de l'université algérienne, et en particulier les sciences humaines et sociales. Au lendemain de l'indépendance, ces dernières n'étaient dispensées qu'à l'université d'Alger et ses deux annexes, à Oran et Constantine.

Tout en diversifiant et arabisant, partiellement, les disciplines des sciences humaines et sociales, la réforme de l'enseignement supérieur de 1971, se caractérisa surtout par des objectifs, plutôt à la japonaise, encourageant la formation scientifique et technologique, afin de répondre aux besoins de la politique d'industrialisation du pays.

Les années 1980 vont, cependant, inverser cette tendance, sous le slogan de la démocratisation, s'appuyant sur trois axes principaux :

Carte universitaire et prolifération des établissements à travers le pays.

Algérianisation accélérée de l'encadrement.

Arabisation totale des sciences humaines et sociales.

Il n'est pas difficile d'imaginer les conséquences d'une recette combinant le manque accru en encadrement, la démobilisation de la génération qualifiée, et l'inexpérience des masses des jeunes recrues. Sans parler de la compromission, les passe-droits, et d'autres violations déontologiques, qui vont imprégner et gangrener, presque irréversiblement, le système éducatif.

A cela s'ajoutent les généreuses dérogations accordées aux dignitaires, permettant l'accès à certaines filières sans baccalauréat. Plusieurs responsables ont, ainsi pu, après quelques dizaines d'heures de contact - combinant cours, rendez-vous, et coups de fil - étoffer leur CV avec des diplômes universitaires, notamment la licence en Droit et de grimper les paliers des promotions.

La formation en sciences sociales et humaines est, aujourd'hui, présente dans tous les établissements universitaires, et le nombre d'étudiants représente environ, deux tiers de l'effectif total. On se retrouve, donc, très loin des objectifs de la réforme de 1971, visant à privilégier les sciences et technologies.

Le système d'orientation, rigide et malavisé, mis en place en 1990, est en grande partie responsable de ce déséquilibre stratégique. Il a plus que pimenté la recette catastrophique précédente, en sapant, définitivement, la notion primordiale de vocation chez des générations d'étudiants, aussi bien les candidats orientés par défaut contre leur gré, que les meilleurs qui choisissent, désormais, selon la cotation des disciplines, et non selon leur penchant. Beaucoup de ces éléments brillants finissent d'ailleurs, par regretter leur choix, et amplifier à leur manière la perte des cerveaux.

Ainsi, les sciences humaines et sociales, en plus de récupérer les grandes masses d'étudiants relégués, se retrouvent, aussi, privées de leur part qualitative de candidats doués, qui, normalement, choisissent par vocation. Ce gâchis n'est, en fait, que la conséquence d'une propension à fuir la scienticité et technicité vers les disciplines littéraires et artistiques, typiques aux pays arabes et sous-développés ; et il n'est pas insensé de soupçonner, dès lors, un lien causal étroit avec le peu d'enthousiasme que suscite le hadith sur les sciences inutiles, évoqué plus tôt.

« Il faut n'appeler Science que l'ensemble des recettes qui réussissent toujours. Tout le reste est littérature », Paul Valéry.

Il s'agit, sans doute, d'un déficit global en rationalité scientifique, et de ses attributs auxiliaires, qui est, en même temps, la cause et la conséquence dure vers du système éducatif, et par interaction des remparts intellectuels collectifs. Et cette spirale d'érosion de la rationalité, de la compétence, et d'autres vertus et scrupules d'accompagnement, explique, en grande partie, la mauvaise gouvernance dans beaucoup de pays arabes, la lâcheté duale sous forme de tyrannie et d'opprimabilité, ainsi que les échecs successifs, tragédies récurrentes, et les lourds tributs payés.

Références :

[1] http://www.liberation.fr/monde/2015/09/18/les-etudiants-japonais-prives-de-sciences-humaines_1385476

[2] http://www.lemonde.fr/universites/article/2015/09/17/japon-vingt-six-universites-comptent-fermer-leurs-facultes-de-sciences-humaines-et-sociales_ 4760695_4468207.html

[3] http://etudiant.lefigaro.fr/les-news/actu/detail/article/japon-jugees-inutiles-26-universites-de-sciences-humaines-et-sociales-vont-fermer-16801/

[4] https://communismeouvrier. wordpress. com/2015/09/18/le-japon-va-fermer-26-facs-de-sciences-humaines-et-sociales-pas-assez-utiles/

[5] A. Charif : «Science et influence : En haute ou basse voltige, il suffit de peu pour basculer»

http://www.hoggar.org/index.php? option=com_content&view =article&id =3916:science-et-influence-en-haute-ou-basse-voltige-il-suffit-de-peu-pour-basculer&catid=652:charif-abdelhamid& Itemid=36

[6] Y.M. Ferfera, T. Mekidèche : «La place des sciences sociales et humaines dans le système supérieur algérien», Revue Internationale d'Education de Sèvres, 49, Décembre 2008, pp 95-105

https://ries.revues.org/569