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Jeunesse indignée

par Kamal Guerroua

«L'Algérie est généreuse, mais ses enfants sont ingrats» Anonyme

Contrairement à bien d'autres que j'avais auparavant écrites dans diverses circonstances, où je me suis étalé sur plein de détails qui m'encombrent la conscience dans notre société, je ferai très court dans cette plainte, je voudrais dire cette chronique. Je me permets, en revanche, de préciser que cette rencontre entre plainte et chronique, n'est pas un jeu de style mais bel et bien une réalité. Aucun jour ne passe, dans mon pays, sans que l'on soit bombardé d'une actualité pire que la précédente, que l'on se plaigne de ce flou permanent : ce quelque chose qui manque à l'explication de nos impasses, dérange ou, simplement, fait polémique.

C'est devenu une routine... un mode de vie, une mode même.

De toute façon, je ne veux plus embrumer, désormais, les cervelles des lecteurs de mes pensées tristes, un tantinet pessimiste. Je vais me concentrer sur un fait, seulement un fait : le mal-être de notre jeunesse. Loin d'être râleur, j'ai, toutefois, toutes les raisons d'en être offusqué, puisque je fais partie de cette génération perdue. De cette Algérie qui régresse et ne rêve plus!

 Je parlerai de cet inévitable sentiment de frustration de millions de nos jeunes qui souffrent de la maladie chronique de leur société. Des jeunes qui cherchent, partout, de l'amour et de la compréhension, mais ne les trouvent nulle part.

Des jeunes livrés à eux-mêmes, écrasés sous la pesanteur des tabous de toutes sortes (social, moral, religieux, sexuel... etc,). Je ne cache pas que chaque fois que j'y pense, des montagnes d'angoisses m'écrasent le cœur avant que je commence à m'interroger, seul, dans ma solitude : comment ces jeunes-là peuvent-ils accepter de se voir ainsi rejeter, avec mépris, alors qu'ils sont cette majorité écrasante qui devrait porter l'étendard de la nation et la pousser de l'avant? Et qui, plus est, n'ont, malheureusement, pas droit au chapitre? Aucun chapitre dirais-je, même : ni paix, ni moral, ni moyens, ni considération, ni perspectives! Comment peuvent-ils digérer le fait que des meurtriers d'hier soient fiers de leurs forfaits et le déclarent même dans des meetings en public et qu'eux, soient forcés de faire l'amour en cachette, dans les buissons, les forêts, les parkings publics et les lieux de débauche malfamés de peur d'être débusqués par ces gardiens du temple, autoproclamés de la tradition et de la morale? Et que ceux parmi eux qui cherchent à se marier n'ont ni logement, ni travail ni sous, rien? Les poches vides, la raison aride, et l'avenir acide! Je ne peux réprimer un bâillement, dès que l'on prononce ces mots-bidon de valeurs, de traditions et de religion. Un sursaut d'indignation qui exprime que l'on en a assez et pour toujours! Fatigués d'entendre les discours hypocrites de ceux qui font l'éloge des frontières, des freins à notre liberté, des bonnes mœurs, de la morale et de la bienséance mais dilapident, en contrepartie, et sans vergogne, notre argent, l'argent de la collectivité, etc. Outrés par ces gros bonnets qui nous construisent, à chaque fois, de sordides scénarios dans la haute pyramide, afin de nous baratiner, ne daignant ni passer la main, un jour, ni prendre leur retraite, chez eux, parmi les leurs, tranquilles, loin de nous! Dégoûtés de cet abus indécent de notre confiance par ces salauds qui mettent leur bonne conscience au service de leur mauvaise foi.

On en a fait trop là! On nous a cassé, on nous casse encore, comme si de rien n'était. Pauvre jeunesse! Je te pleure, je te plains. Car tes griefs continuent, matin et soir, sur leur lancée. Qu'est-ce qui fait que les plus blasés soient, aujourd'hui, à ce point bouleversés? La vérité est qu'on nous a pollué le cerveau par leur nationalisme rouillé, véreux, maffieux. Qu'on nous a volé notre lucidité, notre générosité, notre volonté, notre sérieux, notre amour du pays, notre dignité d'être Algériens, à part entière, sans exclusive. Que veulent-ils, de plus ces gens-là? Et que penser de ces émissions débiles, de ces débats stériles et de ces lèche-culs qui peuplent nos chaînes télé et notre quotidien? Toute chose, sauf du bien sans doute! Un conseil à mes aînés, bien que je sache que les conseilleurs ne sont pas les payeurs : si vous voudrez, vraiment, messieurs les vieux qui nous dirigent, connaître l'étendue de la colère d'un jeune Algérien, prenez vite vos caméras, vos journalistes, vos amis, votre clientèle, vos larbins et allez visiter un village, n'importe où, dans cette Algérie profonde, vous découvrirez cet ennui qui pèse des tonnes, cette sensation du vide qui étire et les ressentiments et les tourments de ces jeunes désœuvrés qui ne savent plus quoi faire de leurs journées longues. Fastidieuses. Mourantes.

Des jeunes désarmés face à l'inconnu, las, enragés. Imaginez, au moins, une minute l'embarras d'un jeune qui flâne, matin et soir, entre la maison et le café, son lieu de loisirs par défaut, et vous verrez bien qu'il ne peut que vous haïr. Il ne vous aimera jamais et il fera tout ce qu'il pourra, afin de vous quitter, quitter son pays aussi. Il sera, forcément, votre ennemi. Votre ennemi, vous entendez! Car, vous lui rappelez sa triste condition, son chômage, sa souffrance, sa misère, sa solitude, ses désillusions, etc. Aujourd'hui, vous lui rendrez un grand service, si vous partez, il en sera fort soulagé et reprendra espoir, en lui-même, en son pays, en ses forces, ses capacités. Partez! Partez, s'il vous plaît, partez! On vous pardonnera tout, partez seulement, prenez ce que vous voulez avec vous, remplissez-en des charters et des avions.

Choisissez la destination que vous désirez, aux îles Hawaï, Bahamas, Paris, Washington ou je ne sais où , je vous assure que personne ne cherchera de vos nouvelles ni courra derrière vous! Partez loin d'ici, de nos rêves, de nos ambitions, de nos petites illusions candides afin qu'on respire l'odeur du printemps et de l'espoir.... Donnez une dernière chance au pays, partez, s'il vous plaît! S'il vous plaît....