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Des ex-généraux devant les juges : un détail de l'histoire !

par Abdellatif Bousenane

Les événements se succèdent à une vitesse inhabituelle pour les Algériens. Dans un contexte de difficultés économiques, l'Algérie a peur !

Mais cette peur est-elle justifiée ? Les derniers changements qui ont touché la nature même du régime ne rassurent pas pour autant les citoyens algériens. Tout le monde attend avec inquiétude l'issue de ce « tsunami » qui a frappé tous les niveaux du « système ». Le plus observé et le plus intéressant, en revanche, c'est les arrestations des anciens officiers militaires dont, la dernière en date, celle du général major Hocine Benhadid après ses déclarations incendiaires contre, notamment, l'état-major de l'armée. La mise en garde de Madani Mezrag contre le président Bouteflika est également un élément qui alimente cette inquiétude.

ENTRE HUMEUR DE L'ETAT-MAJOR ET L'ETAT DE DROIT !

Un dépôt de plainte a été enregistré par Ali Hadad, patron des patrons et cible préférée des opposants, contre le général à la retraite H. Benhadid. Tout le monde aurait applaudi cette démarche civique d'une maturité remarquable si « l'affaire » est restée à ce niveau-là. Une bataille judicaire entre un homme puissant et un général ! Néanmoins, l'intervention du chef de l'état-major, nous dit-on, a froissé la procédure. Elle a rendu l'ex-général éradicateur, comme étant la victime d'une « oligarchie » supposée aux yeux d'une partie des médias et des acteurs politiques. Ce qui a ouvert la porte à toutes les interprétations imaginables.

Si l'affaire du général du DRS, Hassan, est devant un tribunal militaire avec toutes ses particularités qu'on peut comprendre, l'affaire du haut gradé Benhadid, quant à elle, est devant un tribunal civil et, donc, au nom de ce même droit civil, la société a le droit de connaître les chefs d'inculpation qui ont été prononcés contre ce citoyen. Puis, il est incompréhensible et complètement contradictoire d'évoquer, par les médias et les sources bien informés, des accusations pour motif de « divulgation des secrets de défense »! Cela relève de la compétence d'un tribunal militaire et non pas civil ! En tout cas, la procédure, la manière et la méthode avec lesquelles on a traité cette affaire restent inintelligibles. Un Etat de droit civil, qui ne se soumet pas à la force des armes et le bruit des bottes, exige qu'un militaire-citoyen doit aussi bénéficier de la présomption d'innocence et non pas aux règlements de comptes et aux humeurs de ses supérieurs hiérarchiques (même retraité, M. Benhadid appartient toujours à l'institution militaire). Il ne s'agit pas, ici, de défendre ou de tenter de blanchir une partie ou une autre, l'idée est de dire qu'il est temps d'arriver à une certaine maturité dans le règlement des conflits publics. Certes, les déclarations et les accusations de l'ex-homme fort du système sont d'une grande gravité qui nous renseigne bien sur l'état d'esprit des ex-du système qui refusent toujours d'accepter l'idée de devenir citoyens comme tous les autres Algériens sans pouvoir, sans passe-droits et sans t'fraïne ! Ils n'acceptent toujours pas que l'Algérie leur échappe et qu'ils ne soient, finalement, pas les propriétaires légitimes de ce pays !

SORTIR DE LA LOGIQUE DU CLANISME !

Parce qu'ils ne représentent rien d'un conflit majeur entre des forces politico-idéologiques, ces derniers événements restent limités à des querelles de personnes. Le vrai enjeu de ces agitations, plutôt naturelles et normales, c'est de ne pas tomber dans le piège d'en faire une guerre de « clans ». Cette tentation manifeste chez un bon nombre de commentateurs, d'acteurs politiques et des hommes d'affaires, tels que Ali Benflis, Rebrab, Louisa Hanoun, etc., vise à transformer ces inculpations en un conflit entre deux clans : celui de Rebrab et les anciens hauts gradés contre le président Bouteflika, A. Hadad, Gaïd Salah, Bouchouareb, etc. Autrement dit, il y a une vraie volonté de la part de plusieurs cercles politico-médiatiques et financiers de faire durer cette culture historique du fameux système qui est basée sur la fracture entre les clans du pouvoir : les politiques contre les militaires, l'Armée des frontières contre celle de l'intérieur, le Gouvernement provisoire contre le FLN, les Messalistes contre les centristes, etc. Je pense qu'il faut sortir à jamais de cette logique d'analyse historique qui nous enferme dans un climat malsain et qui alimente plus de détestation et de haine.

PAS DE DESTABILISATION

Malgré tout, si on va aux profondeurs de la sociologie même du pouvoir politique algérien, on peut noter qu'il n'y a aucune homogénéité entre les protagonistes de ces guéguerres. Et ce grand « conflit » entre les « clans » n'est qu'une illusion alimentée par l'imagination de certains observateurs. Car les anciens officiers ne sont pas tous des éradicateurs, ils ne sont pas tous, forcément, des alliés des multinationales et du grand capital mondialisé ou des ultralibéraux; il en existe encore des officiers très attachés à la République populaire. Ils n'ont rien en commun avec des nationalistes souverainistes jusqu'aux dents et des binationaux ou triples nationaux, voire multinationaux; pour les milliardaires, il y a évidemment un grand écart.

Un deuxième élément qui va dans ce sens : un Etat qui change et renouvelle une grande partie de ses dirigeants civils et militaires, en l'espace de quelques mois, n'est pas un Etat vulnérable, c'est un signal très fort et un indicateur d'une solidité certaine. Car un régime oligarchique qui puise sa force de ses clients et ses réseaux mafieux qui contrôlent les postes névralgiques du système ne prendra jamais le risque de faire des changements de cette ampleur dans un temps record. Comment peut-on évincer le chef du DRS, les chefs de la Gendarmerie, de la Garde républicaine, de la Sécurité intérieure sans parler des ministres, des walis et des juges, en même temps et sans craindre que tous ces hommes qui occupaient des postes clés et qui ont tous les dossiers les plus secrets et les plus sensibles, sortent de leurs réserves et font divulguer les malversations de cette « oligarchie » supposée ?

Pour ce qui concerne Madani Mezrag, son initiative n'a pas trouvé beaucoup d'adhésion de la part des islamistes. De plus, son ignorance de l'art de la politique rend son jeu très bénéfique aux partis majoritaires actuels, puisqu'il divise les forces islamistes déjà divisées et il réveille les anciennes blessures chez les Algériens.

Ainsi, donc, la thèse de la guerre des clans qui menacerait la stabilité du pays se trouve devant une sérieuse impasse. Puis, on peut rajouter, dans cette perspective positive, la dimension économique, car les cycles économiques classiques sont en faveur de l'Algérie. Par l'acquisition du nouveau matériel et en entamant un nouveau cycle de production, le pays est bien protégé contre tout risque majeur d'effondrement économique pendant plus de 10 ans.

ENTRE MACHIAVEL ET BALTASAR GRACIAN

Pour dire que l'issue naturelle et logique de ces changements profonds, malgré toutes les imperfections et les erreurs, est un Etat de droit, il faut tout de même préciser un certain nombre d'incohérences : un patron des patrons, Ali Hadad en l'occurrence, n'a pas le droit de parler au nom de l'Etat, car ses intérêts économiques privés ne sont pas forcément compatibles avec les intérêts d'une république souveraine de plus de 40 millions d'habitants ! Les affairistes et les gens friqués, comme M. Baha Tliba qui a été nommé vice-président à l'APN, certes, ils ont le droit de faire de la politique dans leur pays, mais leur pouvoir financier doit être mis sous un contrôle rigoureux de la part des appareils de l'Etat et les postes de responsabilité qu'ils occupent doivent être très limités de manière qualitative et quantitative. La presse et les médias de tous genres ont le droit d'avoir accès à l'information, leur tâche doit être facilitée par les pouvoirs publics; cette même autorité publique doit communiquer sans cesse avec ses citoyens en évitant au maximum l'arrogance et le mépris du petit citoyen lambda qui aurait ignoré les « grands enjeux » des « géants » de ce monde ! Puisque ce petit citoyen s'informerait à partir d'autres sources qui ne portent pas l'intérêt et le bien du pays dans leur cœur et il risque d'être, par conséquent, manipulé contre ses propres intérêts. Dès lors, le machiavélisme, cher à une bonne partie du système, trouve ses limites et peut se révéler contre-productif. Néanmoins, « l'art de la prudence » de Baltasar Gracian est très préconisé dans de telles circonstances. C'est lui qui a écrit il y a déjà quelques siècles : « A l'ostentation, il y faut de l'art. Les choses les plus excellentes dépendent des circonstances et, par conséquent, elles ne sont pas toujours de saison ».