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La question de rester ou de quitter l'OPEP ne se pose plus pour l'Algérie

par Reghis Rabah *

Bien que plus de 72% des Algériens, si l'on compte les réponses neutres, n'en voient pas l'utilité de cette organisation (01), un rappel chronologique de ses différentes actions nous confirmera sa décadence, depuis la création de l'Agence Internationale de l'Energie.

Dans les années succédant à la crise de Suez, en 1956, il y a un excès de l'offre, au niveau mondial et les compagnies décidèrent, en 1959, une baisse des prix de 8 %. Les pays producteurs s'en inquiétèrent. Les pays arabes représentant, alors, 40 % des exportations mondiales sont, au premier rang. La Ligue des Etats arabes réunit un Congrès du Pétrole arabe où l'Iran et le Venezuela sont représentés en tant qu'observateurs.

Ainsi germa l'idée d'une entente entre pays producteurs. Lorsqu'en 1960 les compagnies baissent, à nouveau leurs prix postés, cinq pays producteurs: l'Iran, l'Irak, le Koweït, l'Arabie Saoudite et le Venezuela se réunissent en septembre à Bagdad et créent l'Organisation des Pays Producteurs de Pétrole, l'OPEP.

Les cinq membres fondateurs sont rejoints ensuite par huit autres pays: le Qatar, en janvier 1961, la Libye et l'Indonésie, en juin 1962, Abu Dhabi, en novembre 1967, l'Algérie, en juillet 1969, le Nigeria, en juillet 1971 et l'Equateur, en novembre 1973 ainsi que le Gabon qui est membre associé jusqu'à juin 1975 où il acquiert le titre de membre à part entière.

1-QUELS EN SONT LES OBJECTIFS FIXES ?

Cette organisation s'est fixée trois grands objectifs, tous pervertis par le royaume wahhabite

- Coordonner et harmoniser les politiques pétrolières de ses membres pour sauvegarder leurs intérêts.

- Stabiliser les prix sur les marchés internationaux.

- Stabiliser les revenus de ses membres en stabilisant, notamment, l'approvisionnement des pays consommateurs et l'investissement.

Les représentants des pays membres se réunissent en Conférence, deux fois par an. La conférence « définit la politique générale de l'organisation et détermine les voies et moyens propres à la mise en œuvre de celle-ci ». L'OPEP dispose de structures permanentes:

- Un Conseil d'Administration, nommé par les pays membres et agréé par la Conférence. Il est l'organe supérieur entre deux conférences.

- Un Secrétaire général qui a la responsabilité de « diriger les affaires de l'organisation conformément aux directives du Conseil »

- Une Commission économique qui est un organe spécialisé.

- En 1968 a été créé un Comité de Coordination des Sociétés nationales des pays membres.

2- LA RECENTE POLEMIQUE SECRETARIAT/MINISTRE DE L'ENERGIE ALGERIEN, A BALAYE CES OBJECTIFS D'UN REVERS DE LA MAIN.

De nombreuses analyses se sont focalisées sur une polémique, entre le nouveau ministre de l'Energie et le Libyen Abdallah Al Badri, l'actuel secrétaire général de l'Organisation des Pays exportateurs du Pétrole (OPEP), autour d'une éventuelle réunion de ce cartel, donnant ainsi l'espoir qu'une telle rencontre influencerait le marché confronté à une rechute des cours du Brent qui risque de perdurer, mettant, ainsi, en difficulté de nombreux pays dont l'économie en dépend. Le ministre algérien qui s'est appuyé sur les statuts de l'organisation, pour rappeler que c'est le niveau ministériel qui décide de la marche à suivre pour réajuster les quotas et tenter ainsi d'agir sur l'offre que le secrétariat général veille à son application. Il a rappelé que la baisse des prix a atteint des niveaux qui devraient inciter à une réunion extraordinaire. Ceci semble logique étant donné la mission même de l'organisation dont l'objectif est de défendre les prix pour limiter les pertes conséquentes pour ses membres, sinon à quoi servirait une adhésion à ce cartel pétrolier ? Il faut peut-être dire que les membres, fortement, touchés par la baisse de leur recette ont déjà entamé une démarche à l'initiative de l'Algérie et du Venezuela pour tenter de contrecarrer, en vain, d'ailleurs ,le statu quo imposé par les pays du Golfe, sous le leadership saoudien. Malheureusement le cartel a maintenu inchangé son plafond de production et le baril a perdu, depuis, près de 15 dollars passant de 62 à 47 dollars. Selon des rumeurs l'Algérie, après la visite du Président vénézuélien, est favorable à des contacts avec les producteurs non OPEP pour parvenir à rétablir les équilibres du marché. Pour ces deux pays les équilibres internes se sont effondrés, depuis déjà, plusieurs mois. Le président Nicolas Maduro a donné l'exemple, fortement suivi par l'exécutif et le parlement de diminuer son salaire. Des représentants de pays membres de l'OPEP ont, déjà, fait part de leur opposition à toute intervention sur les prix. Plus grave, des pays de l'OPEP, dont l'Arabie Saoudite et l'Irak, pompent, bien au-delà de leurs quotas respectifs, portant la production globale de l'OPEP à près de 32 millions de barils/jour, contribuant ainsi à la situation de surabondance, de l'offre dont souffre le marché. Aujourd'hui, il a suffi qu'un ministre rappelle les missions statutaires d'une organisation que de nombreux titres ont en fait un débat comme s'ils avaient attrapé un lion par sa queue. Combien même ce cartel tienne sa réunion et qu'il décide de réduire son offre, une telle réduction sera-t-elle capable d'influer sur le marché ? On est en droit d'en douter étant donné l'ampleur de la baisse des prix.

3- LE PETROLE DE SCHISTE AMERICAIN A FAUSSE LES CALCULS DE L'OPEP

La production américaine de pétrole de schiste a provoqué un déséquilibre de l'offre. Ce déséquilibre a fait que même le charbon arrive bon marché en Europe et reste préférable à un gaz plus cher, même s'il est reconnu polluant. Il faut peut- être, signaler qu'après la révolution des gaz de schiste, les États-Unis vivent, depuis 2010, une deuxième révolution avec le développement très rapide des Light Tight Oil (LTO) ou pétroles de schiste. Ce développement a permis d'augmenter la production de pétrole et de liquides du pays, faisant des États-Unis le premier producteur au monde, devant l'Arabie Saoudite et la Russie. La production des LTO représente maintenant 55 % de la production américaine de pétrole et a permis aux États-Unis de diminuer leurs importations de pétrole, d'augmenter leurs exportations de produits pétroliers. Elle a, aussi, des répercussions importantes sur le marché pétrolier mondial, les flux échangés et plus récemment les prix du pétrole.

 Tout comme les gaz de schiste, cette production a un impact très positif sur l'économie des États-Unis, en particulier sur sa balance commerciale, mais aussi, sa sécurité d'approvisionnement pétrolier. Elle a permis, au pays, de réduire la dépendance de sa consommation pétrolière vis-à-vis des importations de 60 % en 2005 à moins 27 % en 2015. Il convient, également, de noter les conséquences industrielles importantes de ce développement, dans le secteur du raffinage américain, qui réalise des marges importantes, grâce au différentiel de prix entre le Brent et le WTI.

 La chute des prix du pétrole, de plus de 50 % pour le WTI, entre juin et début janvier 2015, entraîne une incertitude majeure sur la capacité des producteurs américains à poursuivre l'investissement nécessaire à la continuation de cette révolution. Les dépenses d'exploitation (OPEX) de la production des LTO étant limitées, la production des puits existants n'est pas remise en question. Mais la production est caractérisée par un déclin très rapide de la production initiale par puits (entre 60 et 90 % la première année), qui requiert des investissements, en continu dans de nouveaux puits pour maintenir l'accroissement de la production. Ce déclin, très rapide, induit une forte dépendance des projets au prix du brut de la première année de production, contrairement aux pétroles conventionnels, dont l'économie est fondée sur des durées beaucoup plus longues. Ainsi, la chute des prix fait craindre un arrêt des investissements dans les pétroles de schiste et une chute de la production. Les breakeven prices ou prix d'équilibre ou point mort, nous renseignent sur le prix minimum nécessaire aux projets de forage pétrolier pour être rentables. Il convient, cependant, d'en nuancer la portée. Le coût de production des LTO est un facteur déterminant, mais il est, pratiquement, spécifique à chaque puits, tant les propriétés géologiques d'un bassin à un autre diffèrent, y compris à l'intérieur d'une même formation entre les sweet spots et les puits à la périphérie. Il apparaît que les trois formations/bassins, déjà bien développés, (Eagle Ford, Bakken et le bassin Permian), qui produisent la majeure partie de la production actuelle, ont des sweet spots offrant des prix breakeven relativement bas, surtout si l'on considère les coûts d'acquisition des surfaces et les coûts en infrastructures comme échoués (coûts « mid-cycle »). On peut, donc, s'attendre à un déplacement de l'activité de forage vers les sweet spots de ces bassins, ce que confirment les annonces faites par les opérateurs et la répartition de la baisse des forages par formation/état observée depuis décembre 2014.

4- TOUT EST QUESTION DE VOLUME

Le prix actuel du baril, comme ceux qui ont été pratiqués dans le passé, lors des chocs pétroliers de 1973 et 1979, repose, principalement, sur un déséquilibre de volume. D'abord l'embargo pétrolier qui n'est autre qu'un gel des volumes en 1973 suivi, un peu plus tard, de la Révolution iranienne, en 1979, ensuite la guerre Iran-Irak de 1980 ont conduit, aussi, à une contraction de l'offre par une baisse des volumes. Le premier événement à quadrupler les prix qui sont passés de 3 dollars le baril à plus de 12 dollars le baril. Le retrait de l'Iran et de l'Irak de la production de l'OPEP devait conduire à un triplement de ce prix pour passer de 12 dollars le baril à 36 dollars, le baril. Ceci est la preuve par 9 que les volumes du pétrole ont dicté leur règle. La situation qui prévaut depuis l'automne 2014 n'en fait pas exception et suit, à la lettre, cette règle de volume. Le volume d'offre de brut est supérieur à la demande, de plus de 1 million de barils par jour, et a continué d'augmenter, l'Arabie Saoudite n'a fait que saisir l'occasion pour suivre cette pente pour une stratégie qui n'a rien à voir avec les intérêts de l'OPEP mais confinés autour des siens. En effet, le royaume devait, coûte que coûte, maintenir sa part de marché, peu importe les conséquences sur les autres membres qui financent leurs économies avec les recettes pétrolières. Elle aurait pu opter pour une stratégie de prix à court terme, en réduisant sa production. Au lieu de cela elle a opté pour le maintien, voire même, une légère augmentation de ses volumes et cela a provoqué un prolongement jusqu'à, aujourd'hui, d'un niveau de prix autour 50 $ le baril, atteint depuis le début de l'année 2015. Il n'y a, donc, pas du tout de manipulation du prix ou de quoi que ce soit d'autre. Il y a de la part de l'Arabie Saoudite une vision stratégique, des décisions, et un but, faire baisser le volume de production de pétrole de schiste américain, en gardant des prix bas par le maintien de son volume de production.

5-CETTE STRATEGIE FAITE AU DETRIMENT DES AUTRES MEMBRES, A PAYE AU PROFIT DU ROYAUME

Le fracking qui reste le seul mode d'exploitation intensive des gisements de schiste américains, a certainement, fait d'énormes progrès dans une société avide d'énergie jusqu'à « scratcher » les puits conventionnels. Il se trouve que ce saut n'est pas encore à la hauteur d'influencer les coûts de production. La conséquence inévitable s'est traduite par la fermeture des puits et la baisse de la production. La production du pétrole américaine qui était de 9,1 millions de barils jour, en janvier 2015, est redescendue à moins que ce chiffre, en septembre 2015, alors qu'elle a frôlé les 9,6 millions de barils jour, en juin 2015. Ceci montre que les efforts entrepris par les entreprises américaines pour montrer à l'Occident que le coût d'extraction des ressources non conventionnelles aux Etats-Unis est indépendant des volumes sur le marché et en moins de la baisse des prix, demeurent un échec inéluctable. Il n'y a pas que cela pour démontrer ce déclin de la démarche américaine sous le regard heureux des Wahhabites. Le nombre d'appareils en activité aux Etats-Unis est passé de près de 1600, en 2014, à près de 600 en septembre 2015. Donc l'argument sur lequel s'appuie le gouvernement fédéral pour vanter les mérites du gaz et du pétrole de schiste par sa création d'emplois n'est plus d'actualité.

5- TOUS LES MEMBRES DE L'OPEP PAYENT LE PRIX DE CETTE STRATEGIE SAOUDIENNE

La stratégie gagnante de l'Arabie Saoudite a un prix à court terme, pour son budget et ses finances, mais beaucoup moins élevé que celui qu'ils veulent faire croire. Le prix du baril divisé par 2, cette année, par rapport à l'an dernier, crée, naturellement, un substantiel manque à gagner. Le ministre des Finances du Royaume saoudien, Ibrahim al-Assaf, prévoit un déficit budgétaire, cette année de 38 milliards de dollars, peut-être même un peu plus, situation, il faut reconnaître, inédite depuis 2011 mais qu'il faut relativiser eu égard à ses réserves de change qui dépasse 700 milliards de dollars, sans compter le recours, à l'emprunt pour ne pas puiser trop sur le fonds souverain que vient d'autoriser le roi. Quant au Etats-Unis, le développement des gisements de pétrole de schiste a, principalement, été, toujours, le fait de producteurs indépendants. Cette exploitation étant très intensive en capital, ces indépendants ont eu recours à la dette obligataire, afin de financer leurs opérations pour un montant total de près 285 milliards de dollars, au 1er mars 2015. En dehors de cet aspect de financement, la baisse substantielle d'activité économique, autour de la production du pétrole de schiste, explique, en partie le début d'année plus difficile que prévu, de la croissance américaine en 2015, et donc les 2,5% probables au lieu des 3,5% prévus.

6- CONCLUSION

Il faut, peut-être, noter que de très grandes manœuvres sont en cours dans l'économie mondiale et qui peuvent changer, à tout moment, en fonction de la tendance et du prochain vecteur de croissance que les Etats-Unis préparent pour redresser sa croissance. Le ralentissement de la croissance chinoise et des pays du BRICS serait-il chronique ? La grande fébrilité des bourses mondiales va-t-elle se poursuivre et jusqu'à quand ? La Réserve Fédérale Américaine va-t-elle maintenir son gel des taux d'intérêt ? C'est en fait tout cela qui va déterminer le futur de la reprise économique mondiale et, partant le redressement des prix du brut et celui du gaz. En attendant, cette crise a montré que les intérêts nationaux et l'insensibilité aux difficultés de l'autre ne font, en définitive, qu'accentuer l'ébranlement de l'économie mondiale qui fonctionne en vases communicants. En effet, si l'Europe est en difficulté, les Etats-Unis en perdent, en premier lieu, car c'est avec ce continent qu'ils pratiquent le gros de leurs échanges. Ceci pourrait être appliqué pour les pays producteurs du pétrole et ceux du BRICS ou les pays pauvres et la Chine, etc. La tendance logique appelle à un éclatement de l'OPEP en deux groupes : ceux qui recyclent les pétrodollars comme l'Arabie Saoudite, le Qatar, le Koweït etc. et ceux qui en ont besoin pour le développement de leurs économies comme le Nigéria, l'Algérie, le Venezuela et les autres. L'Algérie qui a été victime de la stratégie de l'OPEP, deux fois, en 1986 et 2014, n'a aucun intérêt à fréquenter ce club trompeur, guidé par l'Arabie Saoudite qui fait prévaloir ces intérêts sans donner la moindre considération aux membres de son groupe, sauf s'il épouse sa politique. La preuve, après près de 1.000 morts et le même nombre de blessés, dans les trois catastrophes qui ont endeuillé, la session du Hadj, cette année, voilà que le roi félicite son héritier pour la réussite de la session, indirectement pour les recettes récoltées

(1)- Sondage quotidien paru sur le soir d'Algérie du 05/10 /2015

* Consultant et Economiste Pétrolier