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Le règne des présidents

par Kamel Kacher

« Nul ne peut prétendre détenir la vérité absolue. La nécessité de la recherche de la vérité est absolue. Par contre, le mauvais usage de l'histoire est un mal absolu.»(1)

Cette contribution n'a nullement la prétention d'être un opus historique, ni encore moins un réquisitoire contre une quelconque personnalité ayant participée de loin ou de près, ou agi en bien ou en mal dans l'exercice du pouvoir en Algérie depuis l'indépendance à nos jours. La recherche de la vérité, par des faits tangibles, l'analyse comparative des modes et des méthodes de gestion des présidents algériens dans l'exercice du pouvoir et les résultats obtenus. Voila l'objet, unique, de cette contribution.

Les chefs d'Etat sont plus exposés que la moyenne de la population aux maladies chroniques et handicapantes. La très forte pression nerveuse et psychologique qu'ils subissent au quotidien, la lourdeur de leur charge de travail, le poids des responsabilités et la solitude de la fonction s'unissent pour altérer les centres de régulation sanguine et de leur santé générale.

Evoquer l'homme et son œuvre, disséquer le règne d'un président, pour dire les choses sans fioriture. Il s'agit d'analyser avec lucidité le parcours de ses prédécesseurs et ensuite d'essayer objectivement de décrire les actions de ce que sera le règne Bouteflika et son legs. Pour le moins, les 16 années depuis qu'il est aux commandes. Si, en effet, le parcours de l'homme est pertinent à plus d'un titre, il nous offre aussi le prétexte de penser et de s'interroger sur son règne en tant que président.

Trois présidents de l'Algérie indépendante, qui ont marqué l'histoire politique contemporaine de l'Algérie, dont l'actuel, feront l'objet d'une analyse comparative plus approfondie que les autres présidents. Cette contribution ne traitera que furtivement le parcourt d'Ahmed Ben Bella, de Mohamed Boudiaf, d'Ali Kafi et de Liamine Zerroual. Leur passage temporel fut relativement éphémère, bien qu'il soit important. En ne diminuant en rien leurs apports respectifs dans le paysage politique algérien.

Les trois présidents sont respectivement Houari Boumediene, Chadli Bendjedid et l'actuel président, Abdelaziz Bouteflika. Ils ont marqué l'Algérie contemporaine par un fait, commun aux trois : la longitude de leur règne, plus de treize années. Abdelaziz Bouteflika est, par ailleurs, dores et déjà entré dans l'histoire comme le président qui a régné le plus, à l'heure actuelle, parmi tous les présidents passés. Ils ont aussi un autre point commun, leurs noms de famille commence par la lettre B : Boukharrouba (Boumediene), Bendjedid et Bouteflika.

Notre histoire est truffée de passages à vide qui ont permis aux conquérants de fendiller les autodéfenses éparses. Bien avant la régence ottomane, l'Algérie multitribale n'a jamais créé une nation. Le pays a été politiquement une contrée à caractère centrifuge ; il n'a pu se structurer en un Etat centripète. Son point faible, depuis les temps les plus reculés, se trouve dans la dispersion de ses forces. Chacune des tribus vivait en autarcie.

Le concept du nationalisme va apparaître en Algérie avec la création en 1926 du premier parti politique nationaliste par Messali Hadj. A ce titre, il va accentuer la requête pour la décolonisation, pour l'indépendance, qui va l'emmener à la constitution d'une nation et donc de l'Etat moderne. Cette mission était longue, difficile et périlleuse. Le mérite de Messali Hadj est d'avoir créé un parti, l'Etoile Nord-Africaine, qui répondait aux aspirations des masses ; celui du Front de Libération Nationale est d'avoir récolté un fruit mûr pour regrouper tous les partis en un seul front.

HOUARI BOUMEDIENE 19 JUIN 1965- 27 DECEMBRE 1978

Un fait historique nous interpelle dans la prise de pouvoir, depuis la crise de l'été 1962. Les présidents algériens, tous, sans exception, sont ramenés par le pouvoir militaire, sauf un, Houari Boumediene qui, lui, a ramené le pouvoir militaire et l'a institué.

Logique que l'on évoque en premier lieu celui qui a institué ce système-pouvoir, Houari Boumediene. Extrait du discours du putsch du 19 juin 1965 : « Quelle que soit la forme que peut prendre la confusion des pouvoirs, elle ne peut permettre de disposer du pays et des affaires publiques dont on a la charge comme d'une propriété personnelle et privée. Une mauvaise gestion du patrimoine national, la dilapidation des deniers publics, l'instabilité, la démagogie, l'anarchie, le mensonge et l'improvisation se sont imposés comme procédés de gouvernement. Le pouvoir personnel aujourd'hui consacré, toutes les institutions nationales et régionales du parti et de l'Etat se trouvent à la merci d'un seul homme qui confère les responsabilités à sa guise, fait et défait selon une tactique malsaine et improvisée les organismes dirigeants, impose les options et les hommes selon l'humeur du moment, les caprices et le bon plaisir.. La mystification, l'aventurisme et le charlatanisme politique ainsi démasqués, Ben Bella aura compris que nul n'a le droit d'humilier la nation, de prendre la générosité de notre peuple pour de l'inconscience, ni d'usurper d'une façon indécente la caution politique de ses hôtes illustres pour faire avaliser son inqualifiable forfait et sa haute trahison. »(2).

Houari Boumediene n'a fait partie ni des historiques, ceux qui ont déclenché la révolution du 1er Novembre 1954, ni du PPA/MTLD qui avait pensé et élaboré le projet nationaliste de l'indépendance. Malgré cela, il fait une percée remarquable dans le commandement en devenant l'adjoint d'A. Boussouf, chef de la W.5, après la mort de Larbi Ben M'hidi en mars 1957 et premier responsable de la W.5. En 1959, il est désigné chef du Com. Ouest (Oujda), conjointement avec Mohamedi Said comme chef du Com Est. Le 01 janvier 1960, Houari Boumediene est nommé par le Comité interministériel de la guerre (A. Boussouf, L. Bentobbal, B. Krim) chef de l'EMG- troupes armées aux frontières. Il avait comme adjoints les commandants Azzedine, Kaid Ahmed et Ali Mendjeli. (3)

Cette armée des frontières, forte de plus de 30 000 hommes, mise sous ces ordres, sera renforcée à partir du milieu de 1960 par l'enrôlement des DAF (déserteurs de l'armée française). Elle jouera un rôle décisif en 1962 à l'installation d'Ahmed Ben Bella au pouvoir contre les prétentions du trio B. Krim, M. Boudiaf et H. Aït Ahmed et les dirigeants légalistes du GPRA sous la férule de B. Benkhedda. La force est revenue à la force. La légitimité attendra.

Pour sa part, Ahmed Ben Bella aura les coudées franches pendant trois années pour appliquer les recommandations du Congrès de Tripoli de juin 1962, le Congrès de la discorde. Ahmed Ben Bella, imprévisible, autoritaire, multiplia les décisions arbitraires, mit entre parenthèses la Constitution de 1963, un mois seulement après sa promulgation et légiféra par ordonnances 20 mois durant, conduisant tout droit l'Algérie vers le mur.

Deux faits précipitèrent la chute inéluctable d'A. Ben Bella le 19 juin 1965, en pleine préparation de la Conférence afro-asiatique à Alger, le limogeage programmé du 28/05/ 1965 du ministre des AE, Abdelaziz Bouteflika et le rapprochement avec Hocine Aït Ahmed, en signant le 16/06/1965 avec le FFS un communiqué commun. Sur les blindés est arrivé à Alger, A. Ben Bella est arrêté par les représentants des blindés, à la Villa Joly à Alger, à leur tête le chef d'état-major, fraîchement désigné par A. Ben Bella, Tahar Zbiri, du groupe de Constantine.

Houari Boumediene, avec sa politique de l'homme fort du clan d'Oujda, ses dérives totalitaires, son goût de l'intrigue et sa conception régalienne de l'Etat, qui le poussera à s'adjuger, par le glaive et le sang, le monopole de l'autorité et l'exercice solitaire du pouvoir, ne se différencie guère notablement de son prédécesseur.

Que de cadavres jalonnent, en effet, le parcours de l'ancien chef de l'EMG avant et après l'indépendance dans sa course au pouvoir, avant d'instaurer un ordre spartiate et sans partage, qui sera sa marque de fabrique et son style de gouvernance. (4)

Beaucoup d'échecs cuisants jalonnent la période de son règne, en commençant par le choix des hommes, dans son entourage direct, jeunes et inexpérimentés, tous assoiffés de pouvoir absolu et personnel, d'où les rivalités caractérielles, intriguant l'un contre l'autre et nuisant à l'extrême à la réalisation des programmes. Ensuite l'éviction des politiques expérimentés, compétents, parfois l'exil ou la résidence surveillée et même la liquidation physique.

Un début d'embourgeoisement avec les Messaoud Zeggar et l'affaire « Abdelmadjid Aouchiche », ministre de la Construction. Le désaveu du programme de la généralisation de l'arabisation, menée par A. Taleb-Ibrahimi et poursuivie par A. Benmahmoud, la débâcle de la révolution agraire, menée par M. Taïbi Larbi, l'aberration de l'industrie industrialisante, menée par B. Abdesslam. Les pénuries récurrentes des produits alimentaires dans les fameux Souk el Fellah, de l'alimentation en eau potable, la crise aiguë de logements. Boumediene qui disait qu'il n'y a que ceux qui n'entreprenaient pas qui ne se trompaient jamais. Certes, nul n'est infaillible. Mais, il disait aussi que la politique étrangère algérienne est le reflet de notre politique intérieure !

Cela étant dit, il faut reconnaître que son parcours est aussi jalonné par des succès retentissants : la généralisation de l'enseignement et la gratuité de la santé, le début de l'industrialisation, la nationalisation des ressources naturelles et des hydrocarbures, la politique étrangère avant-gardiste, la création et la pérennisation des institutions étatiques, la proposition d'un nouvel ordre économique mondial.

Boumediene a été le reflet même de ce pouvoir autocratique. Il a incarné plus que tout autre président de l'Algérie indépendante, l'expression vivante du pouvoir militaire appliquant la politique de la main de fer. (6). A la tête de la République algérienne, il instaure les fondements d'un régime basé sur la suprématie du militaire sur le politique, à l'inverse des décisions prises par le Congrès de la Soummam du 20 août 1956 et sa charte, élaborée et conçue par Abane Ramdane et ses camarades, et jamais concrétisée à ce jour par les successeurs de Boumediene.

Le boumediénisme ainsi institué, constitué d'une organisation s'appuyant sur la police politique, réprimant toute velléité d'opposition. Boumediene, tout comme Ben Bella, se confondait avec l'Etat, mais avait en plus l'armée.

Que retenir donc de Boumediene sinon qu'il avait la gâchette particulièrement facile pour éliminer physiquement tous ceux qui bougent dans le sens opposé au sien. L'histoire retiendra que le président Houari Boumediene a érigé l'assassinat politique en mode de gouvernance dans la pure tradition du chef du clan de Oujda qu'il fut.

A la disparition, le 27 décembre 1978, de celui qui incarnait le règne de tous les pouvoirs, un autre colonel, Chadli Bendjedid, lui succédera. Coopté par ses pairs, le chef de la 2é Région militaire, celui en fait que personne n'attendait, deviendra officiellement président de la République le 7 février 1979. La réalité est qu'il y eu un coup d'Etat à blanc et l'armée a imposé le colonel Chadli Bendjedid.

Le principal artisan fut le lieutenant-colonel K asdi Merbah, chef de la Sécurité militaire. Chadli Bendjedid, dans une interview à El Watan le 27 novembre 2008, déclarait qu'il n'a jamais cherché à être chef. Toutes les responsabilités qu'il a exercées lui ont été imposées.

On peut reprocher beaucoup de choses à Boumediene, notamment sa conception des libertés individuelles et publiques, sauf qu'il n'était pas un visionnaire nanti d'un patriotisme ardent. Il a toujours cherché à anticiper sur les évènements pour mieux les maîtriser au lieu de les subir. Il n'a pu réaliser ses utopies, faute d'un « casting » et d'une conception claniques dans le choix des hommes. Au lieu de bâtir un « Etat qui survive aux hommes », il a laissé des hommes aux rivalités féroces pour la succession au pouvoir d'un Etat vidé de sa meilleure sève.

Chadli Bendjedid 07 février 1979- 11 janvier 1992

Après sa désignation à la succession de Boumediene et son intronisation par la direction de l'armée et du FLN comme candidat unique à la présidence de la République où la confusion des pouvoirs était à son comble, C. Bendjedid, ayant été président de la République, secrétaire général du FLN et ministre de la défense nationale, il plaça ses hommes aux postes stratégiques. Il rattacha aussi la sécurité militaire à la présidence.

Il prône le « changement dans la continuité », il prend des mesures populaires, comme la suppression de l'autorisation de sortie du territoire national, la libération du président Ben Bella et l'invitation aux exilés politiques de rentrer. Il libéralise le commerce extérieur, il affiche une volonté de débureaucratisation de l'agriculture, la restructuration des exploitations autogérées et un intérêt au secteur agricole privé.

Dans l'industrie, il pensait que l'Algérie avait besoin d'un mouvement de restructuration organique pour doter les entreprises d'une plus grande souplesse de fonctionnement dans le cadre d'une plus large décentralisation des responsabilités.

Par ailleurs, le pouvoir à l'ère de Bendjedid commença à songer à un nouveau code pétrolier en sorte que les compagnies pétrolières étrangères puissent intervenir comme partenaires économiques. Il pense aussi à doter l'Algérie d'un programme de développement de toutes les ressources alternatives.

En 1986, le service de la dette atteignait 20 milliards de dollars. Là aussi, il faut souligner la dépendance accrue de l'économie algérienne vis-à-vis de l'extérieur : 60% des besoins alimentaires, la quasi-totalité des biens d'équipement, plus de la moitié des produits industriels. La baisse des revenus d'hydrocarbures de l'Etat, estimée à 45%, est passée par là et que, de surcroît, la dette accaparée 50% des revenus pétroliers.

C'est ainsi qu'i fût, sous la contrainte de la conjoncture, soumis à la libéralisation de l'économie qui s'est traduite par un certain nombre de mesures, parmi lesquelles la suppression de l'agrément administratif de tout projet d'investissement, la levée des limitations des crédits bancaires, l'autorisation des comptes devises ouverts aux citoyens et la création de huit fonds de participation qui a procédé à la délimitation entre les pouvoirs de propriétaire du capital de l'entreprise et les prérogatives de gestion. Ainsi disparaît la tutelle de gestion à travers le code des marchés publics, la commission des marchés internes et externes.

Les sociétés mixtes et la codification des investissements étrangers en Algérie parachèvent la fin du capitalisme d'Etat périphérique au profit de l'ouverture vers un capitalisme dit libéral ou économie de marché afin d'aider à la substitution des recettes provenant des hydrocarbures. Quoi qu'il en soit, sitôt nommé, M. Hamrouche présenta son programme où il s'agissait, pour l'essentiel, d'améliorer les dispositifs de démocratisation, de lutte contre la gestion administrative de l'économie et de la volonté d'une justice sociale.

Il est vrai que depuis son indépendance, l'Algérie, peut importe le président en exercice, ne cesse d'être le champ d'expérimentations : l'autogestion sous Ben Bella, les industries industrialisantes et la révolution agraire sous Boumediene, le libéralisme spécifique sous Bendjedid, les privatisations et les partenariats sous Bouteflika.

Cela dit, après l'adoption de la loi sur la libéralisation des investissements privés nationaux ou étrangers, celle de la monnaie et du crédit et la consécration juridique de l'autonomie de la Banque centrale vis-à-vis du Gouvernement, on constate vite que la nouvelle stratégie économique du pouvoir se révèle de type monétariste : autonomie à l'entreprise publique, non fixation administrative des prix, introduction de la concurrence dans le secteur public, restauration du commerce de gros, réforme bancaire et création d'une Bourse, suppression du monopole d'Etat sur le commerce extérieur, accueil des investissements étrangers, adaptation du taux de change et convertibilité de la monnaie.

Le constat de l'échec ne se fait pas attendre : l'inefficacité de l'appareil de production, la persistance des déséquilibres macroéconomiques, l'évolution négative des comptes extérieurs et la non-maîtrise des concepts inhérents à l'économie de marché. La situation se dégrade encore davantage en 1989-1990 car la priorité a été donnée à la sphère commerciale au détriment de l'appareil productif national, puis par l'arrêt des investissements, la dévaluation du dinar algérien, le mode malheureux du choix des responsables, basé sur le favoritisme, l'esprit de clan et la cooptation.

A cette situation peu reluisante, au « gap » en ressources extérieures, est venue, en 1991, l'idée « farfelue » d'A. Ghozali de vendre le quart des gisements pétroliers algériens. Le danger de cette proposition est de créer un précédent sérieux, puisque, sur la base du même raisonnement, on pourra vendre d'autres richesses.

Le règne de Chadli a été marqué par beaucoup de péripéties historiques, capitales, pour le devenir de l'Algérie moderne et qui ont marqués à jamais le peuple algérien, autant que la guerre de Libération contre l'occupant étranger, sinon plus, puisque le pays se retrouva en feu et en sang, dans une guerre, qui ne dit pas son nom, fratricide, pour le pouvoir. Justement, laissant à l'histoire de nous conter un jour le rôle joué par chaque personnalité responsable pendant cette période, 1979-1992. Ils seront, de toute manière, comptables, tous devant cette même histoire.

A la décharge de Chadli Bendjedid dans la fonction de président de la République, il ne pouvait faire plus que ce que lui permettait sa compétence originelle. Un militaire de carrière. L'échec de l'homme est surtout l'absence d'un projet. Le processus de démocratisation n'étant pas du goût de tout le monde, l'histoire retiendra qu'il a été l'initiateur de la démocratie en Algérie.

L'opinion publique, ingrate, été indifférente au devenir d'un homme qu'elle n'a porté dans son cœur que le temps des fameux Programmes anti-pénuries. « Le président Bendjedid a démissionné, après une appréciation des données, et après avoir jugé que la poursuite du processus démocratique était porteuse de menaces pour le pays?Le président a réalisé que les élections allaient conduire à une grave scission dans la société algérienne et que, par conséquent, sa démission aura été une tentative de sauvegarder l'unité du pays. »(7).

Si Chadli Bendjedid n'a pas pu réussir dans son entreprise de démocratisation de l'Etat, puisqu'elle a été génitrice de heurts sanglants, l'histoire retiendra qu'il a été le promoteur des libertés individuelles et d'expression.

Abdelaziz Bouteflika 15 avril 1999-

Au soir du 15 avril 1999, Abdelaziz Bouteflika, 62 ans, devient le 7é président de la République. Ce moment, il l'attendait depuis vingt longues années. Une victoire contre tous ceux qui lui ont barré la route en janvier 1979.

Que peut-on dire d'Abdelaziz Bouteflika l'homme ? C'est qu'il est d'un charisme certain et doué d'une diplomatie innée. Ce n'est pas rien d'être choisi et chargé, par son mentor, H. Boumediene, à 24 ans, en 1961, de parlementer avec les détenus du château d'Aulnoy et exécuter une mission, néanmoins décisive et périlleuse.

Il a aussi connu les affres de la vie et les long ues « traversées de désert ». Il n'a pu terminer ses études, pour rejoindre en 1956 les rangs de l'UGEMA, puis l'ALN-FLN, l'exil, un peu forcé, de 1982 à 1998, les maladies, en 2005 et en 2013.

De toutes les manières, les livres d'histoire de l'Algérie contemporaine en parleront assurément. De l'homme et de son parcours d'abord, mais surtout, du président de la République et de son exercice du pouvoir.

Abdelaziz Bouteflika est devenu président de la République pour la première fois un 15 avril 1999. Le 17 avril 2014 il a entamé son quatrième mandat à la magistrature suprême, qui court jusqu'à 2019. Son règne est déjà entré dans l'histoire des présidents algériens, comme le plus long. Maintenant essayons de voir comment s'est exercé ce pouvoir, depuis 1999 à ce jour et d'analyser, le plus objectivement possible, les réalisations faites, les échecs subis et les chantiers qui doivent trouver solutions.

Il faut dire qu'en 1998, l'image de l'Algérie était au plus mal à l'international et le régime avait un besoin vital d'une personnalité civile expérimentée, aux capacités personnelles et n'ayant aucun rapport avec la tragédie des années 1990. A. Bouteflika était la candidature idéale. Il faut souligner qu'en 1994 déjà, A. Bouteflika a reçu cette proposition pour remplacer A. Kafi, en fin de mandat à la tête du HCE.

Après mure réflexion, A. Bouteflika se rétracte. Certainement ne voulant pas jouer le rôle dédié à feu M. Boudiaf, à juste titre, et pire, finir comme lui. En 1994, il faut le souligner, l'Algérie était à feu et à sang, et beaucoup de personnalités politiques furent tuées, comme A. Boudiaf, Kasdi Merbah et autres.

Sur le plan politique, A. Bouteflika, depuis son premier mandat et à ce jour, a redonné des couleurs aux relations internationales et une certaine stature à la diplomatie algérienne, mise entre parenthèses depuis la mort tragique d'Ahmed Seddik Benyahia en 1982, jusqu'à sa prise de pouvoir en 1999. Il faut aussi le signaler, la diplomatie algérienne est revenue à sa place historique et privilégiée, depuis la désignation par le président Bouteflika à ce poste sensible, en 2012, de Ramtane Lamamra.

Pendant ses deux premiers mandats, de 1999-2004 et de 2004-2009, deux grands chantiers politiques attendaient le président et qui lui tenait à cœur : le retour de l'Algérie sur la scène internationale et le recouvrement par le pays de la paix et de la sérénité.

Le premier chantier est une réussite, presque totale, le pays n'est plus vu comme une zone de « pestiférés ». Le président A. Bouteflika enchaînait les interviews à des journaux et à des chaînes de télévision mondiales, les voyages à l'étranger et les visites de terrain. Un lobbying réussi pour l'Algérie qui retrouva sa place naturelle parmi les nations.

Le second chantier, plus délicat, le retour à la paix, d'un pays meurtri par des années de feu et de sang, en pleine crise économique avec un taux de chômage astronomique et un peuple malheureux et dépité. C'est comme çà qu'est venue la charte pour la paix et la réconciliation nationale en septembre 2005, juste après l'entame du second mandat d'A. Bouteflika.

Il faut le dire crûment, ce n'est pas une réussite, peut-être même un semi-échec. Cependant, à la décharge du président Bouteflika, l'homme à essayé, et de bonne foi, de trouver une solution à un dossier épineux et de satisfaire certains décideurs, concernés directement par ce dossier explosif. A. Bouteflika, même s'il souhaite, au plus profond de lui-même, faire comme Nelson Mandela, en 1994, instituer une Commission pour la Vérité et la Justice, ne pouvait le faire, sans voir son Projet-minimum, qui lui tenait à cœur, la charte pour la paix et la réconciliation nationale, passer à la trappe. C'était le maximum qu'on pouvait lui concéder.

Pour l'histoire et avant la venue d'A. Bouteflika au pouvoir en 1999, les décideurs, avant lui, ont trouvé un certain terrain d'entente avec quelques grandes factions islamistes armées et conclu certaines clauses, dites « secrètes » et qu'une Commission Justice et Vérité, si elle venait d'être instituée, dévoilerait. Ce qui ne pouvait arranger aucune des parties concernées, d'où la Charte pour la paix et la réconciliation nationale de 2005.

Les efforts colossaux, consentis pendant ses deux premiers mandats, ont considérablement affaibli le président A. Bouteflika, qui tombe malade pour la première fois en novembre 2005. Mais les chantiers et les défis qui l'attendent sont encore plus colossaux.

Les réalisations, sur tous les plans, faites depuis l'avènement d'Abdelaziz Bouteflika en 1999 à ce jour, nul ne peut les nier, sauf l'ingrat, ni les constater, de visu. Les gens peuvent palabrer sur la baraka, le prix du pétrole providentiellement et miraculeusement élevé, les faits sont têtus. D'autres présidents algériens, avant lui, avaient des moyens comparativement beaucoup plus consistants et ont échoués là ou A. Bouteflika, en qualité de président a magistralement réussi.

En plus des dossiers politiques, déjà mentionnés plus haut, il a réussi le remboursement anticipé de la dette extérieure, endémique de l'Algérie, il a construit des logements, des routes, beaucoup de barrages, il a endigué les pénuries d'eau et alimentaires, l'Algérie est devenue créditeur net du FMI, alors qu'il n'y a pas si longtemps, elle était un emprunteur non fiable et en redressement structurel. Il a octroyé des droits, inimaginables auparavant, bien mérités et justes, aux femmes algériennes, il a relevé le niveau de vie des citoyens algériens et enfin l'Algérie a retrouvé une certaine stabilité politique, économique et sociale et un niveau de sécurité indéniable, en comparaison avec ce qui se passe dans des pays de notre voisinage proche et de la région.

Malgré la survenue soudaine, le 27 avril 2013, d'un accident vasculo-cardiaque et l'entame d'un quatrième mandat, le 17 avril 2014, pas de tout repos, le changement de conjoncture des prix du pétrole, à la baisse, la situation sécuritaire dans la plupart des pays voisins et de notre voisinage immédiat, le président Bouteflika a le devoir et le pouvoir en sa possession de continuer à exercer ses prérogatives régaliennes définies dans la Constitution pour tenter de trouver des solutions à certains dossiers très lourds, mis en sourdine ou traités furtivement pendant les trois mandats précédents, ou même sont la conséquence directe de résurgence des exercices présidentiels antérieurs.

Il s'agit de trouver la solution du dossier de la corruption endémique, à tous les niveaux, pour l'endiguer au moins, mais aussi traiter sérieusement des autres dossiers de la vie quotidienne du citoyen algérien.

Il s'agit des dossiers de la construction et la réalisation d'infrastructures emblématiques culturelles et sportives, en quantité suffisante, digne de la stature de l'Algérie, pays-continent, de l'aménagement effectif de l'immense territoire, de la décentralisation et du découpage administratifs, de la réforme constitutionnelle, de la séparation des pouvoirs, de résoudre la problématique, définitivement et à la portée de l'Algérie, de l'autosuffisance alimentaire, de l'enracinement social de l'Etat, du choix des collaborateurs et des hommes qui peuvent réellement accomplir ses grandioses tâches, de créer les mécanismes indispensables pour une économie productive diversifiée, de diversifier les ressources énergétiques, dont l'Algérie est riche, de reformer le système bancaire avec la création d'un authentique marché bancaire, des banques d'investissement fortement capitalisées pour accompagner les gros projets, d'un marché des changes et d'un marché immobilier.

Le travail est ardu et l'exercice du pouvoir n'est pas une sinécure. Les échecs ne doivent pas faire peur, mais donnent plus de volonté à rectifier, modifier ce qui n'a pu être réalisé ou fait, à cause de facteurs, internes ou externes, l'essentiel est de prendre des initiatives courageuses et d'anticiper et de ne pas baisser les bras.

Malgré les critiques, parfois objectives, le message d'A. Bouteflika avant l'élection d'avril 2014, remet les pendules à l'heure. En voici quelques extraits : «... Des déclarations irréfléchies de certaines hautes personnalités publiques,? à des commentaires et des supputations?Nul n'a le droit de régler ses comptes personnels avec les autres au détriment des intérêts suprêmes de la nation?Une nouvelle étape censée permettre à l'Algérie de consolider ses acquis dans tous les domaines, qu'il s'agisse de l'Etat de droit, du renforcement de la pratique démocratique, du respect des droits de l'homme ou de la justice sociale et du développement économique?Notre objectif est la préservation de ce pays pour les générations actuelles et futures et le parachèvement de l'édification de l'Etat où prévaudra la pleine citoyenneté,?un Etat au service exclusif du vaillant peuple algérien, un Etat où il ne sera plus permis que perdure l'arbitraire bureaucratique animé par l'esprit de lucre et d'enrichissement illicite aux dépens du citoyen et de l'Etat ni de mettre les missions et les moyens humains et matériels des institutions au service de clientèles claniques ou d'en user à des fins égoïstes, partisanes ou sectaires pernicieuses.. »(7).

La messe est dite dans ce fameux message du président A. Bouteflika. Le souhait que soit réalisé dans les faits, ne trouvera pas un seul citoyen algérien opposé. Le règne Bouteflika donnera beaucoup de matière à réflexion aux historiens, intéressés par l'Algérie contemporaine, aux économistes, aux juristes, aux politologues ainsi qu'aux futurs dirigeants de l'Algérie et aux politiciens du monde entier. Son passage à la magistrature suprême de l'Algérie indépendante sera d'une grande utilité aux universitaires, passionnés de politique et de diplomatie et fera sûrement l'objet de beaucoup de thèses scientifiques et de recherche académique.

Sources :

1« Le règne des présidents », Kamel KACHER ;

2« Houari Boumediene », N° Spécial El Watan du 27/12/2008 ;

3« Histoire intérieure du FLN 1954-1962 », Gilbert Meynier, Fayard. Paris 2002 ;

4« La stratégie de Boumediene », Paul Balta et Claudine Rulleau, Sindbad. Paris-1973 ;

5« Histoire de l'Algérie depuis l'indépendance », Benjamin Stora;

6.Interview publiée par le journal libanais El Hayet, Lakhdar Brahimi, Mae, le 20 janvier 1992;

7.« Message du président Bouteflika », El Watan, du 19/02/2014.