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En l'absence d'un pouvoir, les pouvoirs se déchirent

par Abed Charef

« La question n'est pas, aujourd'hui, de savoir qui va remporter cette bataille au sein du pouvoir. Il faut surtout se demander si la situation ne risque pas de dégénérer, pour devenir incontrôlable ».

Un ancien général du DRS, chargé de la lutte antiterroriste, mis en détention dans des conditions opaques; un ancien chef de maquis terroriste annonce son intention de lancer un parti; une ministre qui ne maîtrise pas l'arabe classique voudrait introduire le dialectal à l'école ; le prix du pétrole, qui tient tout le pays par le ventre, continue de plonger; le gouvernement n'a pas encore décidé si le pays est en crise ou pas: l'Algérie, de cet été 2015, semble chavirer. Elle n'est plus en mesure d'apprécier les faits de manière lucide, ni d'agir de manière raisonnée. Elle a perdu tous ses repères, à un point tel qu'il faudrait se demander si elle a, encore les ressorts et la possibilité de se ressaisir lorsqu'une opportunité sera offerte.

Les errements du gouvernement, face à la crise, n'émeuvent plus personne. C'est, désormais, admis : l'exécutif n'est pas taillé pour affronter les difficultés du pays. On n'en attend pas des solutions, on souhaite juste que ses maladresses, ses mauvais choix et son absence de choix n'aggravent pas la situation. Car en termes de mauvais choix, le gouvernement s'est révélé en véritable virtuose. Que vaut, aujourd'hui, la proposition de M. Amara Benyounès de mettre en place des bons pour la distribution de carburant? Que devient son projet de mettre en place des licences d'importation ? Ces absurdités constituaient, il y a quelques mois, une politique gouvernementale. Apparemment abandonnées, elles sont, aujourd'hui, la risée des économistes et des spécialistes du Commerce.

LE POIDS DU GOUVERNEMENT DEMEURE ANECDOTIQUE

Ces mesures ne sont pas évoquées parce que leur promoteur a quitté le gouvernement, mais parce que le gouvernement qui les a étudiées et avalisées admet, implicitement, leur absurdité. Mais dans ce que prône le gouvernement, aujourd'hui, de très nombreuses démarches sont, tout aussi, archaïques. Ainsi, le ministre des Finances Abderrahmane Benkhalfa espère, grâce à des incantations, attirer l'argent informel vers les circuits officiels.

De son côté, M. Sellal annonce une réduction drastique des investissements publics, mais affirme, dans le même temps, sa prétention de parvenir à un taux de croissance de 4.6%, supérieur à celui de 2014 !La plupart de ses ministres affirment que leurs secteurs ne connaîtront pas de restrictions. Cette cacophonie confirme bien que s'il y a des ministres, il n'y a pas de gouvernement. Il n'y a pas une politique élaborée, avec une démarche cohérente et des objectifs déterminés. Du reste, le gouvernement n'est plus en mesure d'influer sur le cours des choses. Ses décisions restent, souvent, sans impact réel.

Mais malgré leur gravité, ces dysfonctionnements, côté gouvernement, apparaissent comme anecdotiques face à ce qui agite le cœur du pouvoir. Là, une guerre sourde, destructrice, sans règles, oppose des forces opaques, pour des enjeux de pouvoir sans lien avec les intérêts du pays. Seul un aspect de cette guerre est apparent, et il est, particulièrement, inquiétant. Des institutions dont la vocation est de vivre dans une discrétion totale sont, publiquement, exposées, leur organigramme évoqué dans les discussions de café, et les titulaires des principaux postes jugés à l'aune de leur appartenance clanique ou régionale. Tout ceci, dit-on, a pour but d'éjecter un homme des cercles du pouvoir. Pour y arriver, des pans entiers des services spéciaux sont liquidés, selon la logique américaine du tapis de bombe : pour abattre un homme, on rase le quartier, et si ça ne suffit pas, on rase la ville.

ABSENCE DE POUVOIR

Cette furie est l'un des résultats de l'absence de pouvoir. Jusque-là, le pays a toujours eu un pouvoir, plus ou moins légitime, plus ou moins contesté, mais c'était un pouvoir exercé et assumé. Le détenteur de ce pouvoir était accepté, et les autres cercles faisaient preuve d'une certaine discipline. Cela permettait, au pays, de fonctionner de manière, plus ou moins, cohérente. En cas de crise, des cercles de médiation et de concertation existaient, et des arbitrages étaient assurés.

Depuis la maladie du Président Bouteflika, ce centre de pouvoir n'existe plus. Désormais, il n'y a pas un pouvoir, mais des pouvoirs, éparpillés, émiettés. Le chef de l'Etat n'est plus en mesure d'exercer son pouvoir, mais il refuse de voir un autre centre de pouvoir émerger et prendre le relais. C'est sa seule garantie de rester en poste. Il freine des quatre fers, et tente, peut-être, de pousser à la porte celui qu'il considère comme la principale menace, le faiseur de rois, rab dzayer. M. Bouteflika doit savoir de quoi il parle, car c'est grâce au général Toufik Mediène qu'il est arrivé à la présidence.

La question n'est pas, aujourd'hui, de savoir qui va remporter la bataille en cours. Il faudrait plutôt se demander si la situation ne risque pas de devenir incontrôlable, et combien de temps le pays peut encore fonctionner, en dehors de la constitution et en dehors des institutions.