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Bronzage à l'algérienne ou la fabrique des bougnouls

par Mimi Massiva

L'été 2015, un été comme les autres et pas comme les autres. Inaugure-t-il le bas culement miraculeux tant attendu ou le caviar servi au condamné à mort avant de l'exécuter ? Dans le doute, on flotte entre pessimisme et optimisme, bercé par les médias formatés par les génies de la manipulation : « si tu es intoxiqué c'est de ta faute ; si tu es un bougnoul c'est de ta faute, si tu patauges dans ta merde c'est de ta faute, si un séisme t'enterre ou une mer t'engloutit c'est de ta faute, si ton mari crève dans un accident ou ta femme meurt en couches c'est de ta faute, si ton gosse meurt de cancer ou d'intoxication c'est ton mektoub? Si le pays est beau et admiré par tous c'est grâce à qui ? S'il n'est pas la Syrie encore moins la Libye c'est grâce à qui ? Si les enfants se sont amusés avec des toboggans, manèges et fiesta à gogo c'est grâce à qui ? Si tu remplis ta poubelle plus que ton estomac à faire saliver affairistes et mendiants étrangers c'est grâce à qui ? Si l'Algérie est le chouchou de la France et des USA réunis c'est grâce à qui ? Si le bled est le pays arabe le moins maboul c'est grâce à qui ? Quand on fabrique un bougnoul heureux ou malheureux, il faut toujours s'en méfier. L'ingratitude et la violence y sont inscrites automatiquement. On ne prend pas la place de Dieu sans risque.

Quand la chienne met au monde ses petits, la première chose qu'elle leur inculque dès qu'ils ouvrent leurs paupières c'est de ne pas salir leur environnement. C'est instinctif, l'immédiat vital doit être propre. Jamais, la saleté qui gangrène le pays ne nous est apparue aussi morbide que cet été 2015 avec la canicule et le regard des émigrés qui voit l'anormal dans le normal. Ils ont appris à comparer. A chaque photo souvenir le charme est lézardé par la lèpre. Monsieur Poubelle a inventé la poubelle, plus d'un demi-siècle après la colonisation de l'Algérie, pour nettoyer les rues de Paris dont il était le préfet. Les impôts, c?est pour des rues propres et sereines. Certes, en Algérie, il y a des lieux d'exception, mais ils sont ou trop isolés pour être pollués ou occupés par ceux qui sont supposés assurer le bien-être de toute la communauté. Pourquoi « élire » un maire, nommer un wali, payer des gendarmes et des policiers, ouvrir des écoles, se dire humain civilisé, si la chienne est pourvue du reflexe vital qui nous est interdit. Pasteur affirmait que l'important ce n'est pas le microbe, mais le terrain. Nos autorités, analphabètes ou pas, le savent bien. Il suffit d'admirer le siège de la wilaya, celui de la mairie, de n'importe quelle administration bien en vue, ces mirifiques résidences où les jardiniers et les éboueurs à longueur de journée captent le grain de poussière et les mauvaises herbes avant qu'ils n'apparaissent. A la fabrique des bougnouls, les poumons respirent au cœur d'une décharge. Les psychologues le savent : les premiers signes de la dépression c'est quand le malade néglige les soins les plus élémentaires d'hygiène. Il n'y aura jamais d'enquêtes pour savoir l'impact psychologique de cette gangrène chronique qui envahit nos villes, nos villages, nos bourgades, mais c'est certain, personne ne sort flâner à l'air libre, à part le clochard et le mendiant. Le plastique nous étouffe et la nature ne sait détruire que ses propres déchets.

On aurait pu vendre les sachets en plastique comme en Europe pour diminuer leur flot, c'est simple et rentable. Que faire ? Si ceux qui sont payés pour un boulot ne le font pas, s'ils sont trop puissants pour céder leur place, il faut sans doute se résigner au volontariat. Mais être volontaire nécessite un minimum de goût pour la vie, de clarté d'esprit et une liberté d'action. Pour le moment, le bougnoul accuse son voisin, son frère, ses parents, ses enfants, son conjoint et le mauvais œil de l'étranger de salir sa poubelle. On se souvient de cet ancien responsable étonné de la panique de la Régence quand Riad el Feth faisait la joie des jeunes algérois. Que dire d'une terreur suscitée par le volontariat d'une jeunesse sans la volonté du pouvoir ? Aux déchets, il faut ajouter toutes les autres calamités non naturelles devenues naturelles. Pourtant, soyons honnêtes, l'Algérie a réussi deux choses : l'interdiction de marcher pour faire tomber un régime et la couleur des blouses à l'école. Contradiction d'un peuple censé avoir le pouvoir et mendier une autorisation pour marcher. Quant au sexe de l'élève, le rose et le bleu sont là pour éviter la catastrophe de les confondre. Le problème avec ces couleurs c'est qu'en cas de tache, on ne peut les mettre dans de la javel. En tous les cas, c'est la seule reforme réussie de l'école qui ambitionne aujourd'hui d'introduire la langue populaire. On voit bien que les enfants des responsables n'ont jamais fréquenté l'école publique. Complètement déconnectés ou heureuse diversion ? A l'image du genre à l'école ou du mariage pour tous de la gauche française. Pour éviter de parler des vrais problèmes occupons-les avec le meilleur des leurres : le sexe. La « derja » trône comme une sultane sans harem dans nos maisons, nos rues, nos administrations, nos écoles, elle ne feint de céder sa place que face à la caméra. Elle existe déjà en tant que langue orale dans les classes ; pour preuve, l'incapacité des petits et grands à s'exprimer correctement en arabe classique et en français. A moins que la ministre de l'Education prévoit d'enseigner les matières en cette langue. On lui souhaite le courage des Israéliens qui ont ressuscité leur langue morte, l'hébreu, ou les Japonais suivis des Chinois qui ont réussi à séduire l'Occident avec leur impossible alphabet. Pitié pour la langue maternelle, l'école algérienne a déjà esquinté les deux poids lourds : la langue du Coran et la langue de Molière. Quand on pense que le Qatar se vante de posséder un lycée français au nom de Voltaire. Il faut se méfier quand une femme est nommée à un poste prestigieux en Algérie où elle est suffisamment codée pour ne pas inquiéter. Un peu comme les barbus quand ils mettent les femmes en avant lors d'une manifestation ou d'une attaque de l'armée? C'est curieux ce déphasage monstrueux entre les dominants et dominés, malgré les moyens de communications. C'est vrai que même l'internet made in bled a ses coupures. Des fils pourris partout même pour l'eau, l'électricité, les moteurs? les neurones des administrateurs et administrés. Le Figaro a prédit la chute du pétrole jusqu'à 20 dollars en expliquant que les stocks coûtent cher à l'Oncle Sam. À ce prix là, quel prix va payer le bougnoul ? A défaut d'une boule de cristal, on se contente de voir ce qui se passe ailleurs. Quand la mafia est aux commandes, elle ne recule devant aucune rente. Le danger ne viendra pas de la révolte des parias qui sont trop fatigués, trop abrutis, trop déchirés. Les émirs au Sahel pourtant si près des mamelles des puits sont devenus millionnaires en euros sans y goûter. C'est simple, leur or noir c'est la marchandise humaine qui ne connaît aucune pénurie, aucune chute de valeur. Des suceurs de sang, le vrai, des dévoreurs de chair fraîche vont réapparaître pour compenser l'or de l'or noir : pickpockets, détrousseurs de bus, vols, agressions, kidnapping, traite, etc. Ils y sont timidement, ils vont prendre de l'audace simplement. Non que nous soyons maudits nous les Algériens, mais c'est comme cela que ça se passe partout. La crise mondiale de 2008 a bien multiplié le nombre de milliardaires et de misérables. Que dire quand des millions d'êtres humains sont entre les mains d'une poignée de vampires depuis près de 3 générations avec pour milices l'armée et la police ? Ni le père ni le grand-père ne pourront guérir le jeune du double traumatisme. Sans parler du militaire qui malgré les armes sophistiquées continuent à payer de son sang la Repentance de ses bourreaux. Sans parler du plus proche, le policier. Lui qui a payé le prix fort au début de la décennie noire comme la femme.

On constate que tous les deux ont changé? radicalement. Ce n'est pas l'agression qui fait le plus de mal, c'est la solitude qu'elle engendre, c'est l'obligation de ne pas se plaindre, de baiser la main qui agresse pour sauver des lambeaux de peau. On estime à un million les enfants traumatisés durant cette infernale période, des enfants qui ne sont plus des enfants aujourd'hui, mais qui doivent avoir mis au monde pas mal de rejetons à l'ombre de la Reconciliation qui ne semble profiter qu'aux coupables.