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Le papier hygiénique d'air Algérie

par El Yazid Dib

Un autre aéroport. Le chemin du retour. La fin de l'étéentraîne toujours de la mélancolie. A cela s'ajoute un minimum de calvaire, d'attente, de retard et de non information.

La compagnie, la nôtre, celle de notre label, de notre étendard est, semble- t-il, gé-rée ailleurs par des mains qui n'ont pas le cœur dans cet étendard. Cela s'appellerait l'universalisme ; la gestion en délégation ou la banale sous-traitance. Ici, dans cet aéroport, air Algérie n'est qu'un guichet presque toujours fermé, sinon ouvert à moitié. La chaîne est plus grosse, plus forte que le nombre d'agents mis en service. Une dame pour tout un avion. Une longue attente pour un simple renseignement. Une éternité pour une validation de départ. Dans les coulisses, sur les bancs de fortune, par-devant ses chariots les langues se délient : « c'est la plus chère compagnie au monde » « pour deux heures de vol extérieur, l'on paye 10 fois le prix pour le même temps accompli en vol intérieur ». Ainsi, l'on ne saura jamais comment pouvoir embellir l'image de ce pavillon. L'on suggère, l'on chuchote, l'on espère.

Oui c'est formidable que dorénavant la compagnie soit désignée sous ce label «Algeria Air Lines » ce qui est d'ailleurs une fidèle traduction de son expression en arabe. « Air Algérie » est devenu un référentiel altéré et obscurci de retard, de files d'attente, d'à-peu-près. Oui, pour une nouvelle image dans tous les propres sens. Oui, changer de visage, de logo, de tenues, de slogan, de démarches reste l'unique acte révolutionnaire que puisse faire le new-boss de la boîte. Sinon, le reste est une question de management d'entreprise. À la décharge du pouvoir, l'on vient de confier le destin de tous ces vols à un « gestionnaire ».

L'occasion est dans l'opportunité de cette nouvelle nomination. L'homme qui vient d'un horizon loin des cieux et de leurs turbulences doit différencier les méthodes et les moyens. De l'acte autoritaire qu'il exerçait dans les instituions étatiques à l'acte commercial qu'il est tenu de faire pour un gain, il y a toute une panoplie d'esprit d'adhésion et de risque à prendre qui vont provoquer le changement. Loin des réservations qui ne le sont pas et des retards qui ne se rattrapent pas. Il est un œil neuf, une main étrangère?au secteur. Et c'est ça, toute la plénitude de ses atouts. Il est venu sans préjugés, sauf ceux que l'opinion publique lui offre. Il est venu tel un missionnaire chargé de redresser un gouvernail dans un cockpit houleux et trop brouillant. La compagnie est une fierté nationale. Elle emmagasine d'innombrables expériences considérées comme les plus performantes dans le monde. Elle est, sans compter sur les visées malveillantes qui la guettent, l'une des meilleures sociétés du service public algérien. C'est un pavillon national qui ne doit pas mourir comme un double-six entre les mains de Bouderbala. C'est pour cela que le Monsieur parle déjà de stratégie dès son installation. Ce docteur en droit, gestionnaire émérite, dégage à bon endroit une vision claire de la destination vers laquelle il tend. Tranchant dans son verbe, rassurant dans son geste, il transcende la gestion en une approche managériale à même de contenir tous les défis qu'arbore l'exigence moderne et flexible d'une bonne gouvernance. Il va avoir des turbulences d'une autre manière. Le changement d'esprit reste le plus dur à faire.

Un nouveau sigle, un nouveau slogan

Oui, il faut oser changer ce sigle, ce logo qui n'inspire plus confiance. Changer son rouge en vert par exemple, unir de la même couleur les uniformes du personnels naviguant et de bord donnera l'impression que quelque chose est en train de bouger. La réorganisation de l'entreprise constitue un élément déterminant en vue de son adaptation à l'environnement du transport international. Des actions structurantes doivent être menées avec la même hargne qui a caractérisé son passage en douane. La compagnie ne trouve pas forcément toute sa puissance d'action uniquement dans le renforcement de sa flotte. Il est urgent qu'une dynamique volontaire d'instaurer le changement ait lieu. Cette dynamique reste déterminante pour l'avenir de la société. Le souci de sécurité et de qualité du service est aussi un objectif à court terme au regard des dysfonctionnements constatés en la matière. Bouderbala sachant ce qui l'attend, ne va pas badiner avec l'avenir d'une grosse entité du patrimoine national. Avec toutes ses expériences et habitué à l'exercice des situations complexes, son aptitude paisible de meneur d'hommes doit offrir substantiellement le profil incontesté quant à l'aisance gestionnelle due aux grands commis de l'Etat. Il saura, s'il arrive à surpasser certains clichés têtus au sein de la compagnie, atteindre ce à quoi aspire le passager sur ses lignes. A plus d'information, plus d'égard et beaucoup de prise en charge.

Le challenge du PDG

Le nouveau président-directeur général est frontalement confronté à des dilemmes et enjeux majeurs autour desquels gravite le futur de l'entreprise.

-Ne pas craindre la concurrence : est un credo qui ne doit plus faire peur à ces hommes et ces femmes. C'est dans une ambiance de pleine concurrence que tout essor saura se mériter. Le temps d'un monopole étouffant n'est plus apte à faire promouvoir les choses dans un centre commercial où la globalisation fait des siennes. Le progrès est ici, comme le vrai résultat ; dans une compétition loyale et objective.

-Mettre le passager dans le cœur de l'entreprise : c'est ce voyageur qui est le véritable produit. Son entretien est sujet à un service sans failles. Le comportement insouciant à son égard, dû essentiellement à ce monopole, doit laisser place à une considération particulière et un traitement aussi personnalisé que possible. La variété et l'innovation dans le service est une règle cardinale la compagnie. C'est ce passager anonyme, parfois furtif, toujours fidèle qui sera la cible de toute attention et de tout programme. Ce sont ses sous qui vont alimenter les fiches de paye, l'amélioration des conditions de prise en charge et la modernisation des outils de travail. Air Algérie, ceci est une réalité, n'est pas une institution publique. Elle est une entreprise soumise aux règles du marché avec ses tares et ses vertus. Ses pertes et ses profits. Ses licenciements et ses mérites.

-Mettre de coté l'esprit beylik : si l'entreprise continue à se gérer par cet esprit de « l'Etat », l'idée du « beylik », l'on ne verra pas de sitôt l'embellie projetée par les pouvoirs publics et souhaitée par le citoyen jaloux de son emblème commercial. Il est impensable de voir dans les toilettes de nos aéronefs des serviettes et papier hygiénique portant le logo de la compagnie. Le mot « Algérie » n'a pas à se placer après usage dans les cuvettes. Le personnel de bord, de sol, d'agence ou d'ailleurs, gagnerait à être plus à l'écoute, plus prompt à répondre aux doléances qu'à assurer sa défense et apporter des explications futiles. Il doit être tenu de répondre et non de justifier. De servir et non d'imputer à « sa compagnie » la responsabilité. Il fait insidieusement une différence, croyant se décharger de ses missions. Une panne d'imprimante est une erreur de l'entreprise et non rattachée à sa fonction. Une absence de jus light à bord est un oubli d'entreprise et non d'un homme, d'un responsable. Idem pour un repas froid lorsque la nature exige qu'on le serve chaud.

En effet, ce sentiment qu'appartenant à l'Etat, nul risque est à encourir en fait de perte d'emplois ou de déficit dans les résultats financiers. La sensibilisation de tout le personnel sur d'éventuels écueils est une condition sine qua non. Leur mobilisation autour d'un plan de sauvetage devient leur seule affaire. Loin de tout parrainage. De leur travail dépend leur avenir. Dans mon minuscule fauteuil, je me force de m'endormir. Ne pouvant roupiller je suppute les avenirs et égrène comme un chapelet les longues minutes qui me restent à vivre dans le ciel.