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L'accord nucléaire iranien est politiquement anodin mais accélérera la chute des prix du pétrole

par Reghis Rabah*

Les deux leaders politiques, iranien et américain, ont laissé entendre la semaine dernière que l'accord nucléaire de l'Iran avec les grandes puissances ne changera pas la ferveur de l'Iran face à l'arrogance américaine.

Dans son prêche du samedi 18 juillet dernier, le guide suprême iranien l'ayatollah Khamenei est allé très loin en précisant que l'accord en question n'est nullement une réconciliation et que Téhéran ne compte certainement pas s'aligner sur la politique de Washington vis-à-vis des pays du Moyen-Orient. Il rassure à l'occasion la Palestine, le Yémen, la Syrie, l'Irak, le Bahreïn et le Liban sur leur soutien indéfectible tout en insistant sur la diamétrale et persistante position américaine entre l'Iran et les Américains envers ces pays. Rappelons que quelques jours auparavant, les diplomates iraniens et leurs interlocuteurs du groupe P5 +1 (USA, Chine, Russie, Grande-Bretagne, France et Allemagne) sont parvenus à un accord qui prévoit un encadrement des activités nucléaires de l'Iran en échange d'une levée progressive des sanctions internationales à son encontre. Pour le guide suprême de la révolution iranienne, si l'accord constitue une avancé considérable, il reste sceptique quant à la chance de la réussite de sa mise en œuvre. Il considère comme euphoriques les analyses qui annoncent le prélude à une nouvelle donne géopolitique au Moyen-Orient. Ces déclarations virulentes sont venues juste après que l'agence Reuters publie une vaste enquête sur la fortune contrôlée par le guide suprême iranien évalué à près de 100 milliards de dollars. L'organisation secrète dite SETAD est celle qui gère ces fonds et opère indépendamment du parlement et du budget national. Il utilise cet artifice organisationnel pour prémunir la République islamique d'une complexe lutte au pouvoir, selon les analystes de cette agence. De l'autre côté, pour les Etats-Unis et leurs alliés, l'accord est un pari: celui que l'ouverture de conversations avec Téhéran va permettre de pacifier la région et de donner davantage la parole aux modérés du régime. Si l'accord ne change pas aussi radicalement la donne politique des pays de la région du Moyen-Orient, il reste quand même une tentative pour espérer désenclaver la situation dans cette région, c'est du moins un risque à prendre.

1- POURQUOI CET ACCORD N'A PLUS LA MEME AFFLUENCE

Il faut dire que lorsque les pourparlers entre les diplomates iraniens et le leader américain des grandes puissances ont commencé durant l'été 2012 avec une totale discrétion, le Proche-Orient était dans une situation politique totalement différente de ce qu'elle est aujourd'hui. D'abord les derniers groupes américains ont quitté l'Irak croyant avoir assaini la situation politique mais n'imaginaient pas la tournure de la violence entre les différentes factions pour la prise du pouvoir vacant. La mort de Ben Laden devait donner un espoir d'une déstructuration Al-Qaïda mais peu se douter d'une alliance avec les Irakiens pour se rebaptiser Etat Islamique avec un pouvoir et une portée beaucoup plus importante que celle qu'a connu le terrorisme jusqu'à maintenant. Mohammed Morsi, issu des Frères musulmans, venait tout juste d'être élu en Egypte, un poste qu'il allait occuper un an avant d'être écarté dans des circonstances sanglantes mettant les grandes puissances dans l'embarras. La chute de Bachar al-Assad, combattu par les rebelles syriens, semblait à l'époque n'être plus qu'une question de temps mais elle a pris une tournure gênante dans la région avec le soutien de l'Iran qui demeure de facto partie prenante dans le conflit. Abd Rabbuh Mansour Hadi, pro-américain fanatique, n'a plus d'influence au Yémen et ceci sans compter les attaques contre le consulat américain à Benghazi et les manifestations contre le film L'Innocence des Musulmans qui restent de l'histoire ancienne. En termes plus simples, il y a trois ans il était raisonnable de considérer que la question du nucléaire iranien et d'une éventuelle guerre régionale à son sujet, était le sujet le plus préoccupant du Proche-Orient. Le président des Etats-Unis évoque à présent l'accord comme un moyen de «voir si cette région qui a connu tant de souffrances, tant d'effusions de sang, peut emprunter une nouvelle voie.» L'accord sur le nucléaire iranien semble presque dérisoire. En affichant leur défiance mutuelle, les deux parties en conflit depuis plus de deux décennies, n'arriveront jamais à renouer l'ancienne alliance de l'époque du Chah.

2- CET ACCORD PERMET AUX IRANIENS DE POMPER DU PETROLE

Par contre, l'accord intervenu le 14 juillet entre l'Iran et les grandes puissances occidentales sur le dossier nucléaire va automatiquement avoir des répercussions sur le marché mondial des hydrocarbures. Déjà l'offre est supérieure à la demande sur le marché pétrolier. Certains pays veulent augmenter leurs exportations quand les besoins pourraient plafonner. L'accord était déjà intégré dans les cours du baril. Après une légère reprise depuis début mars, ils sont en effet repartis à la baisse pour revenir en juillet à environ 50% de leur niveau de juin 2014. La signature de l'accord était en quelque sorte anticipée par les marchés. En revanche, la levée des sanctions économiques contre Téhéran à partir de début 2016 va se traduire par une augmentation des exportations de pétrole iranien. Les autorités ont déjà indiqué que l'outil de production iranien pourrait extraire un million de barils de plus par jour dans les six mois qui suivront la levée des sanctions, lorsque l'intégralité des capacités de production aura été reconstituée. Un million de baril/jour dont la plupart viendront grossir les exportations, tombées pour l'Iran de 2,2 millions de barils/jour il y a trois ans à 1,2 million aujourd'hui. D'autre part, le royaume wahhabite d'Arabie saoudite n'a aucune raison de laisser ses parts de marché se réduire au profit de son adversaire chiite, pourtant partenaire au sein de l'OPEP. Le bras de fer entre Riyad et Téhéran est toujours aussi tendu, chacun voulant élargir sa zone d'influence au Moyen-Orient et considérant l'autre comme son principal rival. Même si la géopolitique reste écartée des discussions de l'OPEP, la solidarité qui a fait la force de l'organisation (qui fournit toujours plus du tiers du pétrole mondial) a des limites. L'Arabie saoudite, traditionnel allié des Etats-Unis dans la région, n'a pas apprécié l'activisme de Washington pour parvenir à un accord avec Téhéran, et Riyad ne ménagera pas non plus les Etats-Unis qui, en l'occurrence, n'ont pas tenu compte des intérêts de l'Arabie saoudite. Dans ces conditions, il n'est pas question pour l'Arabie saoudite de réduire sa production d'or noir. C'est pourquoi, au niveau mondial, la production actuelle de 96 millions de barils/jour est de 3 millions de barils plus élevé qu'un an plus tôt, selon l'Agence internationale de l'énergie. Alors que l'offre est excédentaire de 1,5 à 2 millions de barils/jour. Le marché international va être d'autant plus approvisionné que Bagdad a également annoncé que l'Irak, autre membre de l'OPEP, compenserait la baisse des cours du pétrole par une augmentation de la production et des exportations. Et ce n'est pas le seul producteur à réagir au manque à gagner sur un baril en ouvrant les robinets. La Russie, également dépendante de ses recettes en hydrocarbures pour la moitié de son budget, suit la même stratégie. C'est ce qui explique que, aujourd'hui et compte tenu de la montée en puissance de la production de pétrole non conventionnel aux Etats-Unis, l'offre sur le marché mondial soit à ce point excédentaire, tirant les prix vers le bas. Or, compte tenu de la hausse programmée l'an prochain des exportations de l'Iran comme de l'Irak ou de la Russie et si l'Arabie saoudite refuse maintenant de jouer le rôle de régulateur parmi les pays de l'OPEP, l'excédent risque d'augmenter encore. Ce qui, en théorie, pourrait amplifier la chute des cours ou au moins les maintenir à leur niveau actuel

3- MISER SUR UNE REPRISE DE LA CROISSANCE MONDIALE, C'EST SE LEURRER

Les mécanismes de fixation et d'évolution des prix sont extrêmement complexes. D'une part, la demande dépend de la croissance dans des pays comme la Chine et les Etats-Unis, ainsi que dans l'Union européenne. Actuellement, elle manque de vigueur, même vue de Pékin. Mais si elle se raffermissait et si les pays importateurs relevaient les achats, ils contribueraient à relancer les cours du baril.

D'autre part, l'état des stocks notamment aux Etats-Unis est un paramètre suivi de près par les opérateurs pour anticiper les achats pour maintenir les réserves au niveau voulu par la réglementation. Or, si les réserves d'essence et de produits distillés ont augmenté aux Etats-Unis, les stocks de brut ont baissé et devront être reconstitués. Ce qui soutiendra les cours. L'accord sur le nucléaire iranien a eu tendance à occulter la situation des stocks à la mi-juillet, mais cette baisse aura immanquablement des répercussions. Enfin, même après s'être hissés en tête des pays producteurs de pétrole avec leurs hydrocarbures non conventionnels (avec 11,6 millions de barils/jour l'an dernier contre 11,5 millions pour l'Arabie saoudite et 10,8 millions pour la Russie), la production américaine reste fragilisée par des coûts de production élevés. Toutefois, d'importants gains de productivité ont permis d'abaisser le point d'équilibre, diminuant le seuil au-dessus duquel le pétrole américain reste compétitif. Ce qui ne peut que soutenir la reprise américaine même si, comme le remarque La Fabrique de l'Industrie dans une étude sur le rebond américain, cette reprise outre-Atlantique a bien d'autres ressorts que le prix de l'énergie.

Reste qu'avec un prix du gaz pour les industriels américain qui a baissé de 36% entre 2006 et 2010 grâce au gaz de schiste, et des tarifs quatre fois moins élevés qu'au Japon et 2,5 fois moins qu'en Europe, les industries gazo-intensives profitent d'une baisse significative de leurs coûts de production. Quant aux huiles de schiste, même si leur extraction est moins déterminante que pour le gaz, elles permettent aux Etats-Unis d'être deux fois moins dépendants de leurs importations que par le passé. Ce qui les autorise à envisager de nouvelles stratégies dans la sécurisation de leurs approvisionnements énergétiques; on l'a vu à travers le traitement du dossier du nucléaire iranien, et le rafraîchissement des relations avec l'Arabie saoudite. Ainsi, pour le marché mondial du pétrole et les relations géopolitiques au Moyen-Orient, cet afflux de pétrole non conventionnel américain a des conséquences capitales.

Reste enfin l'intégration du réchauffement climatique dans les stratégies énergétiques et les engagements que pourraient prendre les pays émetteurs de gaz à effet de serre pour réduire leurs émissions et, par là, leur consommation d'hydrocarbures. Jusqu'à présent, la lutte contre le réchauffement a eu des effets confidentiels. Mais elle pourrait, dans un avenir proche, avoir des conséquences plus importantes sur la demande en pétrole. C'est le souhait des écologistes pour qui la baisse du prix du baril, qui n'incite pas à réaliser des économies d'énergie, n'est pas forcément une bonne nouvelle.

4- POUR 2016, IL FAUT S'ATTENDRE A UN PETROLE BON MARCHE

Le marché du pétrole est à rebondissements. Qui, à l'été 2004, aurait prédit que le prix du baril quadruplerait en quatre ans pour atteindre 140 dollars début juin 2008 ? Juste auparavant, quand éclata la crise économique, le seuil des 150 dollars ne semblait plus infranchissable pour aller tester les 200 dollars.

La crise fit s'envoler en six mois les hausses accumulées en quatre ans, avant que les cours du pétrole ne reviennent en avril 2011 à un pic de 113 dollars. Et après avoir oscillé entre 90 et 100 dollars le baril pendant trois ans, une nouvelle chute les ramène aujourd'hui autour de 50 dollars. Pour les pays importateurs, la facture est moins lourde. Mais combien de temps? Les enjeux inhérents aux recettes pétrolières dont dépend l'avenir économique de nombreux pays, interdisent d'établir des projections de long terme sur les cours du pétrole. Trop d'incertitudes et d'intérêts politiques. Pour 2016, toutefois, la cause semble entendue. Il y aura plus de pétrole sur le marché, la croissance mondiale (de 3,8%, selon les prévisions de l'OCDE) ne sera pas phénoménale, et les mesures pour enrayer le réchauffement climatique ne seront pas encore en place. Sauf évènement imprévisible, le pétrole devrait être au moins aussi bon marché qu'aujourd'hui.

*Consultant, économiste pétrolier