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Réformer pour mieux déformer

par Fatiha Reghis

Combien de réformes plagiées, inspirées, importées, ramassées, imaginées, rêvées, sabotées, la malheureuse école algérienne a subi depuis l'Indépendance ? Sans rire et sans surprise on parle d'une énième miraculeuse pour booster les résultats d'un bac traficoté à l'arôme du méchoui et tonalité des youyous.

Un système indétrônable qui se réveille en oubliant de vérifier si sa montre n'a pas sombré avec lui dans les bras de Morphée. Il affirme avec sérieux que l'Education reste sa priorité absolue. « L'Etat algérien poursuivra ses efforts en faveur du secteur de l'éducation malgré la baisse du prix du pétrole?». Le lien entre les efforts et la rente est fait. Conclusion, les enseignants ne pouvaient qu'être des grévistes de la mangeaille. « Si nous voulons avoir une économie forte, le défi qui s'impose est la formation de la ressource humaine? ». L'Exécutif, depuis plus d'un demi-siècle, reconnaît que l'économie est faible parce que la formation de la ressource humaine a été bâclée malgré ses impressionnants chiffres : 9 millions d'élèves, 450.000 enseignants, 26.000 établissements et 1,5 million d'étudiants. Des chiffres jugés insuffisants puisqu'on parle de 70 % de réussites au bac à l'avenir. Chaque ministre joue papa Noël à 10 % de prime. Au programme, une école « intelligente » avec de la technologie, des loisirs, du sport, du théâtre, du dialogue constructif, enfin du professionnalisme à tous les niveaux. Sans oublier des écoles privées qui doivent éviter « dérapage et décadence » et être bien respectueuses du « partenariat de la responsabilité et la confiance ». Et dire qu'il y a des parents qui se ruinent pour envoyer leurs « petits Einstein » à de tels goulags !

En conclusion : « Revenir aux fondamentaux.» Quels fondamentaux ? C'est les Martiens qui ont enlevé le sport, le professionnalisme, la technologie, le théâtre, les loisirs, la poésie, le rire et l'intelligence à l'école algérienne. C'est vrai que l'attaque reste la meilleure des défenses quand le cancre occupe par la ruse le bureau du maître. On se croirait dans un asile de fous où les malades ont mis la camisole de force à tout le personnel. Discours subliminal, sourire ironique s'il n'est pas méprisant pour remplir définitivement le néant. On comprend pourquoi les enseignants s'abrutissent plus vite que leurs élèves et quand ils craquent, ils demandent à bouffer.

Un moyen moderne bien efficace pour avaler son extrait de naissance face au petit écran qui anesthésie, console et flagelle tout à la fois. Une bouffe-malbouffe quand les services de contrôle estiment approximativement à 50.000 tonnes/an les produits avariés consommés par les ménages algériens?

La Régence d'Alger n'y est pour rien dans le fiasco encore moins le Raïs de 2015 présent en 1962 lors de la chute de la première pierre. C'est la faute à ces ratés d'enseignants qui se prennent pour des professionnels, c'est la faute aux parents qui ne savent pas éduquer leurs rejetons et exigent des programmes archaïques, périmés ; c'est la faute à ces millions de mauvaises graines s'ils ne sont pas délinquants, dealers ou terroristes, sont des idiots génétiquement, des pollueurs et saboteurs dans l'âme. Le coupable idéal bien sûr restera le mauvais œil dans la main étrangère. Logique, le juge n'est pas l'accusé. Dans ces millions, c'est 100 % de progéniture-populace. Avant même de savoir ce qu'allait donner l'arabisation, les dieux d'Alger avaient pris la précaution de délocaliser la scolarisation de leurs héritiers. Il a fallu la baraka de la chute des prix du pétrole pour que les décideurs s'aperçoivent que l'école algérienne était bête et naviguait à la dérive sans fondamentaux. On souhaite bien du courage à la ministre si elle pouvait faire un petit miracle et égaliser avec la Tunisie. Mostafa Lacheraf, ministre de l'Education dans les années 70, avait écrit avec rage comment son collègue tunisien est venu se plaindre que des lycéens médiocres franchissaient la frontière pour décrocher le bac algérien avec mention. Lui, qui avait tout compris, parlait déjà de « l'Algérie des dupes ». « ?l'Algérie, brisée?est devenue à perte de vue et dans tous les secteurs de l'activité humaine, un pays rudimentaire d'éternels apprentis. » Qu'aurait-il dit aujourd'hui avec une Algérie où ne subsiste aucune brisure, aucun apprentissage, bien recollée à la Frankenstein où à perte de vue et dans tous les secteurs de l'activité humaine « libre et intelligente », un pays de vrais mercenaires et faux experts étrangers ? En France, le pays dont on a détruit l'héritage pour mieux importer des « déformes », on parle de reconstruction, de créer une autre école, d'autres écoles. Chevènement, avec ses 80 % de réussites au bac, c'était hier.

C'est fini avec la « réformite ». L'école de Jules Ferry gratuite et obligatoire pour tous se retrouve classée régulièrement comme la plus inégalitaire des pays de l'OCDE. Pourtant, Claude Allègre a bien prôné « l'égalité dans la diversité », Jack Lang le collège « un et pluriel, sans oublier la « théorie du genre » de Najat-Vallaud Belkacem. Résultat, plus de 80 % des beurs votent socialistes bien ancrés dans le social avec toute la smala, 80 % des cas sociaux sont des femmes, les élèves ne maîtrisant pas la lecture est passée de 15 % à 20 % depuis la décennie 2000 (discours d'Hollande à Carcassonne), les enfants d'ouvriers qui représentaient 14 % de l'école Normal sup. ou de l'ENA ne sont plus que 4 % malgré la discrimination positive etc. Certes, l'échec n'est pas spécifiquement français, une enquête en Suisse a révélé qu'un habitant sur dix est incapable de lire correctement une notice alors que pour la comprendre, il faut rêver au bac plus 13 et une vision de 10/10. Partout, on peine à recruter des policiers capables d'écrire un procès-verbal. Des philosophes invités à repenser l'école ont démissionné, aucun sociologue aux ordres n'osera nier l'échec sans se ridiculiser. Logiquement, quand un chemin nous égare de plus en plus, on revient au point de départ. Au collège français on fait le programme du primaire, au lycée celui du collège et au primaire on continue avec la méthode globale dénoncée par toutes les études sérieuses. On est loin des années 50 où un élève en fin d'études se retrouve recalé ou réorienté à cause de 10 fautes en dictée malgré son 10/10 en calcul et autres matières. Aujourd'hui, avec le bac pour tous, on a transformé les disciplines de base : maths, littérature en « savoir, savoir-faire, savoir-être ». Traduction je sais, je fais, je suis. Résultat, le cerveau de l'enfant de 12 ans, au lieu d'atteindre naturellement son maximum, atteint par la force son minimum. Pour 40 fautes au bac français, le correcteur ne peut priver le chanceux candidat que de 2 points. Que dire de l'école algérienne lorsqu'on sait que l'école française a toujours conservé le sport, les loisirs, la poésie, le théâtre, la technologie, un certain professionnalisme, un minimum d'intelligence et surtout des ministres de l'Education nommés par des présidents élus au suffrage universel. Car, on la comprit, l'école publique moderne est conçue pour servir la politique pas l'inverse. On parle de la « crétinisation de l'école » en faisant remonter le complot au 17e siècle. Une naissance au bon pedigree du couple église-usine ce qui a donné à l'Institution ses couloirs, sa sonnette, ses notes. L'inceste y est : l'église a fait l'usine. Il suffit de voir le nom des inventeurs anglais qui ont industrialisé la planète. Des pasteurs ou d'enfants de pasteurs. On l'a compris, l'Empire de sa Gracieuse majesté exigeait d'abord des hommes de Dieu d'être des hommes de sciences. Au moment où se préparait l'école publique à des milliers de kilomètres, en Algérie on avait la medersa sur terre battue animée par un taleb, payé par la famille, pourvu du bâton et des tablettes remplies de sourates sous fond de chiisme. Quand la France a envahi l'Algérie, elle avait déjà ses universités, ses lycées, ses journaux, ses savants dans tous les domaines, ses découvertes, ses laboratoires, son parlement élu, son opinion publique, etc. Mais à la Régence d'Alger, le Dey, entretenait une correspondance d'égal à égal avec ce qu'il appelait les sultans des « gens du Livre ». Il avait compris comme ses prédécesseurs et ses successeurs que la vraie instruction ne devait pas quitter l'enceinte du sérail. C'est bien les indigènes fréquentant l'école coloniale qui ont chassé les colons. C'est les dirigeants post-indépendance qui ont fermé les portes scolaires aux langues et livres étrangers. C'est facile de détruire, un peu moins de construire, mais pratiquement impossible de reconstruire. Pour la simple raison qu'entre le temps de la démolition et l'envie de reconstruire, on a perdu la main, on est devenu moins intelligent. Aujourd'hui, on ne sait plus faire des Newton, des Aristote, des Socrate, des Ibn Sina, des Voltaire, etc. On ne sait plus construire des pyramides avec tous les satellites et les régiments du Prix Nobel qu'on a cumulés. En Grèce, depuis 30 ans, avec l'argent et la matière grise de la communauté internationale, on peine à réparer le Panthéon que les Grecs de l'antiquité ont construit en 6 ans seulement etc. Si le rôle du politicien est d'enfumer sa proie, il faudrait qu'il s'adapte à elle. Si le ridicule ne tue pas, il ne croule pas sous l'efficacité. Aujourd'hui, l'école algérienne est dans un tel état qu'on se demande s'il ne faut pas d'abord panser les plaies de la « mariée » avant de la maquiller. Si l'argent pouvait éduquer, tous les génies et les saints auraient eu des princes et des rois pour papa. Il y a à peine quelques années en Algérie, un paysan pauvre pouvait rêver de voir son fils devenir médecin, aujourd'hui c'est impossible. Il faut les cours particuliers, l'internet haut débit sans coupure d'électricité, l'aide de la famille, les livres avec les solutions et minimum de fautes, sans oublier l'inévitable piston pour réaliser n'importe quel rêve surtout le plus convoité. La jeunesse tunisienne, la jeunesse arabe la mieux scolarisée, la plus connectée, qui a déclenché le Printemps est aussi celle, dit-on, la plus nombreuse à servir Deach. Or, c'est aussi le cas de sa voisine, la jeunesse algérienne, la plus prometteuse au début des années 60, sombrant dans le terrorisme de masse jusqu'à contaminer, chuchote-t-on, tout le voisinage. C'est la première règle en physique apprise à l'école : plus c'est haut et lourd plus grande est la force d'attraction, de destruction. On peut dire que chaque bled a l'école qu'il mérite et qu'il désire. En Allemagne par exemple, chaque collège peut choisir son système éducatif, il y a même les statistiques ethniques taboues en France qui permettent de mettre des spécificités en faveur d'enfants d'émigrés. On s'en fout du % de réussite au bac, par contre on tient aux 100 % d'employabilité. Le « moteur de l'Europe » revient de loin. En étudiant les secrets du succès militaire de la Prusse de 1870-1871, Ernest Lavisse a découvert que le système d'éducation concocté par Bismarck a permis la montée du Reich ( Causeur 25).  

En Algérie, Lacheraf nous explique que l'école a été travaillée consciemment dès le début au corps et à l'esprit. Le grand-père, le père et le fils, 3 générations sans interruption afin d'obtenir des malades mentaux s'ils ne sont pas des harkis, des indics, des fuyards dans la drogue, l'informel, la violence contre leur propre famille?Fuir en contradiction avec toutes les leçons officielles apprises à l'école. Un cercle de vampires séniles qui puisent leur immortalité dans le sang d'une jeunesse programmée à s'autodétruire une fois utilisée. On arrive au point où c'est l'innocence de l'élève qui devient plus dangereuse que la culpabilité du maître. C'est les jeunes qui ont fini par dire non au sport (sauf le foot) à la technologie, aux loisirs, au théâtre, à la poésie, à l'intelligence. Les janissaires ont bien détruit l'Empire ottoman. Des enfants chrétiens enlevés à leurs parents transformés en esclaves fanatisés, de vraies machines à tuer. Comme hier, la Régence d'Alger a bien formé ses « janissaires » les amadouant avec la « Réconciliation nationale » aidée d'une piraterie délocalisée au Sud. Il suffit de constater la métamorphose des hommes bleus, ces doux et hospitaliers Touaregs, pour tâter l'irréparable. Faut-il finir comme les habitants de l'île de Pâques : démolir les statues des dieux avant de crever ? Parce qu'il faut les trouver vivants et pas trop esquintés ces profs de sport, de théâtre, de poésie, de langue amazighe, de technologie, de dialogue?ces soldats intelligents, pour construire une forteresse « intelligente » alors qu'ils étaient les premiers à tomber sous les balles du FLN et les couteaux du FIS?En France, on a constaté que l'excellence pour tous et l'égalité pour tous a eu des effets désastreux non seulement sur le niveau des élèves, mais aussi sur celui des enseignants.

Les politiciens le savent, mais leur objectif est de se faire élire et s'il faut passer par des classes de cancres pour faire plaisir aux électeurs, ils sont partants quitte à utiliser le star-système et colorer, féminiser, rajeunir les représentants du « mammouth ». Ils le savent, ce sont des paillettes plein les yeux. Un Noir n'a jamais rien fait pour les Noirs. Une femme encore moins pour le sexe faible. Sans parler du sourire carnassier de ces jeunes troubadours qui s'inventent des cheveux blancs pour rassurer leurs vieux mentors. L'école a fini comme tout le reste à ne célébrer que des chiffres et des lettres : 70 %, 80 %,90% ? FLN, FIS, GIA, DRS, FMI, BM, OGM, ONU, UNESCO...Parler d'une école « intelligente » ne veut rien dire. Pour un dictateur, une école intelligence c'est celle qui lui fournit son troupeau d'esclaves, pour un président démocratiquement élu c'est une école qui rapporte de l'argent à ceux qui financent son élection. Il y a bien sûr des écoles qui font exception comme les pays nordiques surtout la Finlande, certains pays asiatiques. Ces pays-là, comme de sages yogis, ne cherchent pas à briller sur une scène internationale de plus en plus mafieuse, mais à préserver une stabilité intérieure durable. C'est les bons politiciens qui font les bonnes écoles pas l'inverse. Dans les pays où il y a plusieurs politiques, il y a plusieurs écoles. En Algérie, otage d'un Cabinet Noir depuis l'an 0, il n'y a que l'école du Cabinet Noir qui continuera son œuvre de sabotage jusqu'au bout consciemment ou inconsciemment. Il n'existe pas de réforme, encore moins miraculeuse, pondue par un seul super-cerveau pour éduquer et instruire tous les enfants qui viennent au monde. Dans Outrage à chefs d'Etats, le juriste américain Lysander Spooner (1808-1887) comparait tout gouvernement à une « association secrète de voleurs et d'assassins ». Il a joué les prophètes avant l'heure. Au sujet de la Constitution américaine qui passe pour la plus belle au monde, il dénonçait l'arnaque : « La Constitution n'a nulle autorité ou obligation qui lui soit inhérente. Elle n'a nulle autorité ou obligation quelle qu'elle soit, si ce n'est comme contrat entre un homme et un autre. Or elle ne prétend même pas être un contrat entre personnes actuellement vivantes. Au plus, elle prétend être un contrat conclu entre des personnes qui vivaient il y a 80 ans?En outre, l'histoire nous l'apprend, seule une faible portion des personnes qui vivaient alors ont été consultées?Les hommes, s'il y en eut, qui donnèrent bien leur accord formel, sont tous morts aujourd'hui. Pour la plupart, ils sont morts depuis 40, 50, 60 ou 70 ans? » Le juriste précise qu'ils n'avaient même pas le droit naturel d'imposer cette constitution à leurs enfants. Une constitution doit mourir avec les hommes qui l'ont rédigée. Ce n'est pas un texte divin. Aucun homme ne peut écrire pour la postérité des droits et des devoirs sinon pour des zombies. La base d'une démocratie c'est le référendum : demander l'avis des travailleurs pour leur soutirer de l'argent, pour les envoyer se tuer eux ou leurs enfants dans une guerre, les mettre en prison pour avoir refusé de scolariser leurs gosses, les pousser au suicide parce que leur banquier a multiplié les mensualités de leur dette au moment où leur patron délocalisait, les obliger au scrutin secret qui ne peut donner qu'un gouvernement secret, parole de juriste, etc. On estime à environ 75-80 % les Américains qui ne font plus confiance dans les politiciens, pourtant ces derniers sont toujours les maîtres usant et abusant de la même Constitution. Parler de la « crétinisation » de l'école, un complot qui remonte à plus de 200 ans, on ne peut qu'y croire. Surtout depuis 2008 et la résignation qui s'est abattue sur la foule planétaire largement scolarisée. A moins que l'humanité ne se dirige vers un suicide programmé par des extraterrestres. En Algérie, on a été plus intelligent, on change de Constitution comme de chemise. Au Raïs nu, du sur mesure en tout à commencer par l'école qui rêve d'être intelligente à son tour à l'image de ses concepteurs. Si, d'après le juriste Spooner, le but de toute législation est simplement de maintenir une classe d'hommes dans la subordination et la servitude au profit d'une autre classe d'hommes, il n'y a pas de meilleur moyen d'y parvenir que l'école qui instruit et éduque.