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AUDIOVISUEL : L'IMPASSE ET LE POURRISSEMENT, JUSQU'A QUAND ?

par Belkacem Ahcene-Djaballah

La télé dans les prisons : ils avaient déjà les barreaux, maintenant ils ont les chaînes (Coluche, 2002)

Première loi (libérale) relative à l'Information (presse écrite et audiovisuelle) : avril 1990. Deuxième loi relative à l'Information : 2012.

Première ( ?) loi relative à l'Audiovisuel : février 2014.

Aujourd'hui : (Seulement) un Président (de l'Autorité de Régulation de l'Audio-Visuel, l'ARAV) installé (et non encore nommé officiellement si l'on s'en tient aux Joradp? publiés).

Entre-temps... notre ciel se retrouve surchargé de chaînes de télévision satellitaires ( une trentaine ou bien plus) nageant dans un statut bâtard (sièges sociaux ou boîtes à lettres à l'étranger, diffusion à partir de l'étranger, des bureaux (5 seulement) «acccrédités-agréés» à Alger, produits réalisés, pour la plupart, en Algérie à travers des sociétés de production bel et bien nationales, du personnel local rémunéré par les sociétés de production ou par les maisons mères (pour les chaînes proches, ou appartenant aux actionnaires propriétaires de journaux), une publicité nationale empruntant des chemins tortueux et pas clairs du tout?et, peut-être même de la «chkara»? Bref, c'est la bouteille à l'encre !

Entre-temps, les contenus se font et se défont dans une totale liberté et une incontrôlable anarchie avec tout ce que cela charrie comme dérives et déviations, comme clown(erie)s, charlataneries et pitre(rie)s, politiques et religieuses surtout (car ce sont deux domaines pouvant facilement être étrangers à la raison et à la science), et comme effets désastreux, pour la plupart non perceptibles immédiatement, sur les attitudes politiques et les comportements sociétaux. Des vieux et des jeunes, des femmes et des hommes. Certes, les réussites informatives (chaînes et émissions) ne manquent pas, il faut le préciser?mais sur ce point, chacun voit «midi à sa porte». Les «sondages» effectués pour l'instant, en l'absence de tout texte réglementaire, étant peu crédibles, on se contentera des premières impressions et des «sondages-trottoirs».

En fait, cette situation d'espace ouvert internationalement mais nationalement «fermé à l'entrée et ouvert seulement à sa sortie» perdure depuis près de 25 ans. Un quart de siècle ! La moitié d'une vie moyenne, celle la plus créative et la plus productive.

POURQUOI DONC ?

Une raison objective, car générale : on l'a rencontrée dans tous les pays... démocratiques ou non, ouverts ou non à la liberté d'expression. Mis à part les Etats-Unis d'Amérique (qui ont su, tout de même, mettre en place des barrages intelligents et non violents, faisant croire à la totale liberté), aucun autre pays n'a accepté d'ouvrir, volontairement, son paysage audiovisuel national (télévision et radio). Il a fallu, à partir des années 70 et 80, les offensives des radios off-shore et des radios clandestines, suivies par les télés, pour forcer les barrages étatiques. On retrouve encore, dans bien des pays occidentaux, des secteurs publics bien assis et dominant les marchés. Ils se sont même renforcés avec l'apparition de chaînes satellitaires à financement total étatique? même aux Usa. Une démarche ou une mentalité monopolisatrice consubstantielle à tout «pouvoir» politique. Qui s'est même assez renforcé, ces dernières décennies, avec l'accès aux fauteuils décisionnels politiques du grand capital et d'hommes d'affaires parfois eux-mêmes propriétaires de médias puissants. «Deux fers au feu ou plus valent mieux qu'un seul». Conséquence de la «convergence des pouvoirs» ! C'est bien pire en situation de «confusion des pouvoirs» : exemple de Berlusconi qui, devenu président du Conseil italien, a tout fait pour mettre sous sa coupe les chaînes publiques de télé ; idem pour Sarkozy devenu président de la République et dont les grands amis, hommes d'affaires et d'argent, sont devenus propriétaires de grands médias....et qui a fait et défait des rédactions. Chez nous, la tendance, tant dans la presse écrite qu'audiovisuelle (les télés satellitaires) est de plus en plus nette ; les organes médiatiques appartenant, tout ou partie, à des professionnels de la communication, sont une petite minorité....et les noms les plus évoqués dans les salons des grands hôtels sont ceux d'affairistes connus (de notre nouveau «grand capital») et de politiciens en activité.

La seconde raison est, peut-être, la plus importante. Notre «Pouvoir» d'Etat, enfermé, depuis 62, dans sa «bulle de puissance» s'est construit tout un monde d'illusions basé sur des réalités malléables et corvéables à merçi. De ce fait, sa gouvernance des choses de la vie publique s'est cantonnée à la fabrication de textes «sur mesure» pouvant la perpétuer sans difficultés... et toujours au service des hommes de l'Etat et de leurs intérêts (politiques, économiques, financiers, affairistes..) bien plus que de l'intérêt général ou public.

Hélas pour lui (le «Pouvoir»), si les choses de la vie publique étaient assez simples hier, se suffisant d'une gouvernance simpliste (textes et management), le trop-plein d'argent aidant, aujourd'hui, depuis près de deux décennies, elles se sont compliquées, complexifiées, avec l'ouverture des citoyens sur le monde et l'universel et la présence incontournable d'une communication numérique mondialisée-globalisée.

Il en est ainsi de notre nouveau paysage médiatique en général et audiovisuel en particulier. De plus en plus important, de plus en plus large (avec l'internet et les réseaux sociaux), de plus en plus complexe, de plus en plus insaisissable et incontrôlable. Il avance à une allure folle, bien souvent anarchique?et le «Pouvoir» lui court après. Non, il fuit devant, bien loin, se contentant de menaces, de promesses, d'avertissements et d'imprécations. Les textes eux-mêmes, élaborés il y a si longtemps, tenant compte d'autres critères et d'autres intérêts (parfois étroits, à court terme et mesquins) sont presque, désormais, impossibles (ou très difficiles) à appliquer.

Voilà donc une problématique difficile à résoudre pour un système qui, croyant diluer (ou dissoudre) une situation nouvelle par la non-application rapide de textes pourtant officiellement adoptés, n'a fait que la rendre extrêmement difficile à résoudre. Plus de trente chaînes (35 ?) qui «attendent». En raison de textes réglementaires, dès le départ, à leur conception même, faits sur mesure et totalement obsolètes, donc difficilement applicables?De plus, les compétences désormais nécessaires pour la résoudre (la problématique) sont rares (avec tout le respect que je dois aux amis et frères déjà en lice ou pressentis ou déjà écartés ; les listes se faisant et se défaisant, semble-t-il, au gré des humeurs et des rapports de force ) doivent être d'une autre trempe, d'un autre niveau? international, sinon mondial. Existent-elles? encore, ces compétences capables ? Bien plutôt, qu'en reste-il ? Que faire ? Revenir à la méthode Boudiaf qui n'avait pas réussi à trouver, disait-il, de quoi remplir un Cnt et qui s'est contenté de listes d'amis, de proches et/ou de sympathisants à la renommée parfois surfaite ? Ou alors, faudrait-il revenir au temps des coopérants techniques importés des années 60 (Rida Nadjar, l'ami tunisien qui est venu dernièrement, invité par le ministère de la Communication, nous entretenir d'éthique et de déontologie, pourquoi pas) ? Ou alors sous-traiter et externaliser (avec les Conseils ou autres Hautes Autorités? français ou canadien ou burkinabé ou tunisien ou marocain ou malien, pourquoi pas) ? Ou alors, adopter la solution de l'équipe nationale de football avec des bi-nationaux installés à l'étranger (Rachid Arab, Fouad Benhalla et Hervé Bourges, venus, déjà, eux aussi invités par le même ministère, nous entretenir de la bonne communication), pourquoi pas ?? En attendant, c'est l'impasse. Avec un pourrissement de la situation? pour le plus grand bonheur des nouveaux «affairistes du ciel», de la «chkara», de l'informel, des beaux parleurs et autres hâbleurs, des gardiens barbus ou imberbes de notre «prison» à ciel ouvert et? des «mains de l'étranger»... Jusqu'à quand ? Ras-le-bol !