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Comment améliorer notre formation universitaire post-graduée

par Ahmed Houari *

En tant que membre de jurys de soutenance de thèses de physique, je constate depuis les quelques dernières années de grosses lacunes en physique de base chez les candidats.

Ces lacunes se manifestent d'une façon flagrante lors de la soutenance des travaux. Cette tendance s'affirme de plus en plus avec le temps. Bien que des fois, les candidats arrivent à montrer une certaine maîtrise technique de leurs sujets, il arrive des fois qu'un(e) candidat(e) échoue complètement dans les réponses à la série de questions sur des généralités en physique relatives à son thème. Vu aussi que les bacheliers orientés vers les sciences exactes ces dernières années au sein des universités du pays ont un niveau scolaire très proche, je suppose que ce problème est assez général touchant toute la formation universitaire en physique à l'échelle nationale. Donc, il y a évidemment un sérieux problème dans la formation en physique dans les cycles de graduation et de post-graduation.

Comme conséquences néfastes de cette situation inquiétante, je cite particulièrement les retombées sur la qualité d'enseignement de la physique générale en graduation et la préparation académique des futurs thésards en physique. On peut facilement imaginer quel serait l'apport pédagogique d'un diplômé en physique qui sera recruté comme enseignant présentant des difficultés avec le b.a.-ba de la discipline.

Dans cette contribution, mon objectif prin- cipal est de mettre en évidence quelques raisons que je juge particulièrement responsables de cette situation. Par la même occasion, en me basant sur mon parcours d'ancien thésard et mon expérience professionnelle d'encadreur et examinateur de thèses, je propose quelques idées et démarches afin d'améliorer notre formation universitaire post-graduée en sciences fondamentales.

Il y a d'abord des raisons évidentes qui sont connues de tout le monde à l'université. En premier lieu, il y a la répercussion de la qualité de formation en graduation sur le niveau de la post-graduation. La quasi-totalité des candidats aux concours d'accès en postgraduation sont des jeunes ayant fraîchement décroché leur diplôme de graduation, en l'occurrence leur licence. Vu qu'on constate, depuis plusieurs années maintenant, une désertion notable des sciences exactes par les meilleurs bacheliers, la filière des sciences exactes, qui sont traditionnellement des disciplines d'excellence, est devenue avec le temps le parent pauvre des spécialités à l'université. Malheureusement, beaucoup de bacheliers orientés vers les sciences exactes ces dernières années sont académiquement mal préparés et peu motivés pour des études scientifiques. Ceci explique en grande partie la dégringolade qui en résulte en formation post-graduée. Donc, il est clair qu'il faut inverser cette tendance en valorisant les sciences exactes et surtout en encourageant les meilleurs bacheliers à opter pour ces disciplines en usant de différentes incitations. Ceci exige naturellement une forte volonté politique de la part des responsables de l'enseignement supérieur. De plus, il ne faut pas oublier de résoudre la question épineuse concernant la préparation linguistique des étudiants. Je crois qu'il n'est pas inutile de répéter ici que le bagage linguistique des bacheliers actuels est très insuffisant particulièrement en français qui reste la langue d'instruction dominante dans l'enseignement des sciences et techniques à l'université. Pour une réussite académique actuelle en sciences exactes et celles de l'ingénieur au sein de l'université algérienne, il est primordial qu'un bachelier doive être capable de comprendre, lire et rédiger correctement en français. Pour cela, il est évident qu'il faut une préparation linguistique adéquate des apprenants tout le long des cycles de scolarité.

D'un autre côté, afin de diagnostiquer davantage l'état de notre formation universitaire post-graduée, il est utile de rappeler ici qu'elle constitue une étape de formation où il est exigé du candidat d'approfondir ses connaissances et de s'initier aux méthodes et techniques de la recherche scientifique relatives à la discipline de sa spécialité. Donc, par définition, cette formation post-graduée est une étape sélective. Seulement, le filtre de sélection doit être juste et transparent c'est-à-dire basé uniquement sur l'ordre de mérite. On ne devrait accepter que les candidats ayant une base solide dans leurs spécialités avec une forte motivation pour leurs études post-graduées. D'ailleurs, l'expérience montre très bien que cette sélection offre de grandes chances aux candidats admis d'achever leurs travaux de recherche avec succès et dans un délai acceptable. Par ailleurs, une formation post-graduée est une formation par la recherche et principalement pour la recherche où le contact entre le thésard et son directeur devrait jouer un rôle très important tout le long de la formation. Particulièrement, ce contact est nécessaire pour prodiguer des conseils et des orientations au thésard durant toute la période de la formation. Ce contact offre aussi un cadre et une occasion uniques au thésard pour qu'il s'approprie les attitudes et les réflexes d'un chercheur scientifique à partir de l'expérience de son directeur. Afin de donner le maximum de chances à ce que ce transfert de compétences se fasse effectivement, il faut bien sûr que le directeur de recherche soit disponible pour cette tâche en n'encadre en même temps qu'un certain nombre de thésards qu'il peut prendre réellement en charge. De plus, la formation universitaire post-graduée est par nature pointilleuse. Le thésard doit cerner une problématique pour se pencher sur un thème très précis. En cours de sa formation, il doit impérativement montrer une certaine aptitude à mener un travail de recherche d'une façon autonome et éventuellement avec une contribution originale au domaine de recherche choisi. Quelle que soit la qualité des résultats de la recherche, c'est l'acquisition des compétences et les qualités d'un chercheur scientifique qui importent le plus dans cette phase de la formation.

Ayant acquis les attitudes d'un chercheur qui commence à se confirmer, il pourrait affronter d'autres problématiques avec confiance et autonomie moyennant bien sûr un bagage général solide dans sa discipline. Je dois signaler ici que ce bagage scientifique est indispensable pour la réussite du chercheur dans ses tâches d'enseignement et ses futurs projets de recherche. Je dois également préciser qu'il ne s'agit nullement ici d'un savoir encyclopédique dans la discipline mais plutôt de l'assimilation des enseignements basiques de celle-ci sans lesquels on ne peut prétendre en être diplômé. Pour cela, je suggère l'instauration d'un test général couvrant les enseignements basiques dans le domaine de spécialité que tout candidat au doctorat doit passer durant la première année de son inscription. Le candidat ne pourrait être autorisé à entamer son travail de recherche qu'après avoir passé ce test avec succès. En cas d'échec, l'université lui accorde une autre et dernière chance à repasser le test. Pour rappel, ce test est largement institué dans les universités nord-américaines connu sous différentes appellations (Qualifying Exam, Preliminary Ph.D. Exam). L'idée de base derrière l'instauration de ce test est très simple. L'université délivrant le diplôme au candidat Ph.D. doit s'assurer de l'acquisition des bases de la discipline chez lui. Il y va de la réputation académique de cette université. Aussi, il ne faut pas négliger la formation pédagogique des thésards. Particulièrement, je crois maintenant que tous les thésards devraient être préalablement initiés à l'art de la rédaction scientifique qui constitue l'outil indispensable pour la communication de tout travail de recherche scientifique. Cette initiation pédagogique devrait leur faire acquérir les caractéristiques du style rédactionnel scientifique et leur procurer les normes adoptées dans la présentation d'une thèse et la structuration d'un article scientifique. Afin de réaliser cette formation pédagogique aux thésards, je suggère l'instauration d'un cours théorique et pratique en rédaction scientifique qui devrait être introduit en première année du master et assuré par un chercheur expérimenté.

Et puis, il y a l'aspect déontologique qui devrait garantir l'équité et le bon déroulement de la formation. Sans éthique universitaire, point de progrès pédagogique et scientifique. Par conséquent, il est impératif d'appliquer cette éthique et la respecter à la lettre. Ici, je me contente d'évoquer quelques manques flagrants à l'éthique universitaire qui accentuent davantage la chute du niveau de notre formation universitaire post-graduée.

Je commence par aborder la question de la désignation des jurys de soutenance. Etant donné que la valeur d'un mémoire ou d'une thèse dépend beaucoup de la qualité du jury de soutenance, il faut que celui-ci soit désigné en respectant scrupuleusement les règlements en la matière régissant sa composition. Afin d'éviter au maximum la composition de jurys de complaisance, il faut que le recteur ou le doyen comme autorité administrative de l'institution désigne au moins un examinateur externe spécialiste comme membre de jury. Les rapports d'expertise établis par les membres de jurys doivent être strictement confidentiels et rédigés bien avant la date de soutenance. L'échelle d'évaluation des mémoires et des thèses doit être aussi précise que possible reflétant à juste titre la valeur des travaux examinés. En ce qui concerne la publication des travaux réalisés au sein des laboratoires de recherche, il faut absolument appliquer les règles déontologiques en signant tout article soumis pour publication. Puisque, au sein d'un même laboratoire de recherche, tout le monde sait qui fait quoi, il est donc de la responsabilité des directeurs de laboratoires de vérifier la contribution effective de chaque membre au sein du laboratoire dans un travail collectif pour la justification du droit à ''l'authorship''. Non moins grave comme atteinte à l'éthique universitaire, il y a le phénomène de plagiat dont on parle beaucoup ces dernières années. En fait, il constitue un délit gravissime dans le milieu académique. Cette pratique scandaleuse est une forme de piratage et un détournement pur et simple de la production intellectuelle d'autrui par des pseudo-chercheurs voulant gonfler leurs CV frauduleusement ou par des intrus désirant entrer par infraction dans le club des scientifiques. Cette pratique porte de graves préjudices aux droits moraux et matériels des auteurs d'œuvres intellectuelles. Elle ne nous est pas propre. Elle existe aussi ailleurs mais avec une différence de taille qu'on lui instaure une tolérance zéro dans les universités respectées à travers le monde. Après une enquête minutieuse où tout est parfaitement vérifiable et vérifié, une fois le fraudeur prouvé coupable de plagiat scientifique, sa carrière académique est définitivement ruinée. Il est banni et suspendu à vie de toute activité dans une institution académique. Enfin, concernant l'ouverture des masters et des écoles doctorales, je crois qu'il faut plutôt concentrer les compétences et éviter de disperser les efforts. Certes, la liberté académique doit être préservée et soutenue et la diversification des programmes au sein de la même discipline est souhaitable mais à condition qu'elles n'influent aucunement sur la qualité de la formation. Pour des raisons évidentes de rendement et de performance, il ne faut autoriser des masters et des écoles doctorales que si le minimum d'encadrement pédagogique et scientifique est requis. Certainement, il vaut mieux un nombre restreint de masters performants qu'une multiplication de masters bâclés.

 Pour conclure, je dirai que les idées suggérées ici pour l'amélioration de notre formation universitaire post-graduée sont simples et réalisables. Ces idées sont tout simplement empruntées aux milieux académiques performants à travers le monde. Donc, on n'a pas à innover mais plutôt à réaliser scrupuleusement les expériences réussies ailleurs. La voie de la performance académique est unique et universelle. Elle est basée sur des invariants pédagogiques bien connus. En tête, viennent la compétence du corps enseignant et son dévouement à ses fonctions d'enseignement et de recherche et la qualité des étudiants acceptés à s'inscrire à l'université.

* Professeur