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Des barils et des poubelles

par Mimi Massiva

Aucune originalité en ce mois de ramadan 2015, sauf la canicule qui a fait son lot de victimes. Bizarrement et comme toujours, on n'a déclaré que celle liée aux accidents de la route dont sont responsables exclusivement les nerfs de monsieur Tout-le-Monde.

C'est comme les intoxications, quel maboul ira incriminer Sonelgaz et ses coupures ?

Au malheur des uns, la malchance des autres. Le commerçant a le choix entre vider son congélateur à chaque caprice « sonelgazienne », changer de métier ou tendre la main. Sérieusement, c'est un métier à risque. Cela implique que le pistonné, s'il est dans le domaine, n'est pas au même étage. Courant ou pas, il y a une sacrée différence entre les aliments congelés à l'étranger et ceux du bled. Il faut voir si le « hic » ne se trouve pas dans la mécanique. À moins qu'avant la congélation, l'aliment était déjà bien pourri et savamment maquillé. On se rassure, nos estomacs sont blindés. Les « no baraka » qui atterrissent en urgence à l'hôpital ou au cimetière, c'est du mektoub. Pour les chanceux la dose est microscopique, mais elle fore. Elle s'ajoute à l'autre pour faire la montagne du merdier qui creuse petit à petit la tombe. Le temps aidant, bonjour l'irréversibilité. C'est le paradoxe du TAS d'Eubulide, disciple et successeur d'Euclide.

L'exemple type : un homme de 100 kg perd 00,001 kg. Toujours gros à 99,999kg. Au fur et à mesure, il perd la même fraction : 99,998kg, 99,997kg etc. Sans changer de logique, avec les mêmes minuscules soustractions, le résultat va basculer. Quand on arrive à 49 kg, le festin vire à la famine. Loin du blabla philosophique et scientifique, nous avons plus simple : le mauvais œil. Vite le toubib, le taleb new look, le prédicateur vedette de la floraison de petits écrans halal de Nielsat. Plus on devient idiot plus on rit plus on est accro. Le ramadan est propice aux grosses couleuvres. On liquide tout ce qui est impossible à liquider durant les autres mois. À l'heure du f'tour, devant la table bien garnie, on essaye de minimiser l'arnaque.

On rêve d'imiter Djouha : éteindre la lumière et avaler sans voir les vers qui grouillent dans la chair du fruit. Prenons l'aliment phare des Algériens : le pain. Certains journaux se félicitent du travail de Facebook qui dénonce, photos à l'appui, le gaspillage. Peut-on gaspiller un aliment qui, non seulement n'apporte rien au corps, en plus il peut s'avérer fatal pour notre santé ? Nos diabétiques et nos hypertendus peuvent en témoigner avec entrain. Sans oublier les cancéreux. Grâce à l'améliorant qui a bien amélioré la fortune des fabricants de fours rotatifs. Même la traditionnelle galette bien sabotée s'offre au prix minimum de deux baguettes. Pour savourer du bon pain d'antan, il faut aller en France qui s'est débarrassée des dangereux additifs qu'elle a inventés. Le levain naturel et la farine bio reviennent en force dans l'Hexagone.

Pas en Algérie, le grenier de Rome et le zéro pointé en histoire. Les Chinois qui ne mangent que du riz nous refilent leurs fours ainsi que les Allemands jaloux de leurs 300 variétés de pains dont la star est le 100% seigle, heureux candidat pour faire partie du patrimoine universel. Quand un Allemand est invité dans un pays méditerranéen, le plus beau cadeau qu'il peut offrir : un pain frais cuit au feu de bois. La baguette française fabriquée en Algérie se retrouve donc à sa place naturelle : au fond des poubelles lilliputiennes. Un sinistre farceur, un joyeux liquidateur a choisi le modèle. Conçues à usage privé, dotées de roulettes, vertes comme le drapeau national, elles sont sommées de rafler les déchets de tout un quartier genre Casbah plus Bab-el-Oued plus le bazar et souk environnants. Du jasmin d'hier et de l'espace infini, nos narines s'obligent à humer la pourriture des aliments et des humains. Petitesse des cœurs, des dimensions microscopiques des contenants à l'explosion du nombre des survivants. La sagesse bouddhiste fait le lien entre la propreté d'un environnement et le mental de ses occupants.

C'est vrai que non seulement la saleté menace notre santé physique, mais nous déprime, nous donne cette impression qu'on ne vaut rien, augmente notre agressivité envers l'autre qui n'y est pour rien pourtant.

Nous oblige à nous terrer dans nos trous à rats alors que nous avons la chance de vivre dans un immense et magnifique pays, dit-on. Même la mer risque d'être plus dangereuse cet été. Non à cause de Daech, ni de la pollution, ni du sable volé, des dunes envolées, des vagues meurtrières, des sardines au prix des crevettes qui se prennent pour du caviar, mais du prêche de l'imam attitré du Palais, le jour de l'Aïd. Toutes les télés officielles ont retransmis le message. Aucun risque d'échapper aux oreilles dressées au combat. Après les harkis de la Kabylie, les femmes pécheresses, les non-jeûneurs, les bouffeurs de bûches de Noël, les mécréants de Ghardaïa, nous voilà avec une énième calamité : les baigneurs. Ces tarés qui préfèrent la mer à la prière. Il n'a pas parlé de bikini. Il n'existe plus à moins de momifier le corps des fillettes de 3 ans et moins. Nous ne sommes pas en Indonésie où le parlement a refusé de l'interdire et se priver des milliards que rapportent chaque année les touristes.

Même en Arabie saoudite, on n'a pas osé s'attaquer à la Grande Bleue qui finalement s'est mise à la mode wahhabite sans problème. L'imam du Pouvoir n'a pas dit vers quel pieux éden il allait se protéger de la canicule avec ses enfants. On ne sait pas quel impact ce sermon aura sur ces jeunes exaltés aux regards fiévreux qui nous font trembler à force de répudier à chaque seconde leur jeunesse. Semer la haine un jour de l'Aïd après un éprouvant mois de carême, après la décennie de terreur sur une terre qui continue à boire tous les jours le sang de ses enfants, après avoir donné les meilleurs barils aux émirs égorgeurs pour leur soi-disant repentance, c'est hallucinant, démoniaque même. Certains emmèneront leurs petits monstres barboter dans n'importe quelle eau salée et jouer avec n'importe quel sable.

Habitués à payer la sécurité au millimètre carré, ils payeront un peu plus. D'autres se contenteront de ruminer leur frustration, les paroles du mufti, de s'étourdir à moindres frais ou mieux, dépenser les économies de l'année, se faire aider par toute la smala et fuir pour s'oxygéner ailleurs? Précisons que les meilleures plages ont perdu leur indépendance depuis que le pays se targue d'avoir la sienne. À 100 ou 50 dollars le baril et même allant jusqu'à 20 euros d'après les prévisions du Figaro, les îles paradisiaques ont déjà été réservées par la Régence d'Alger. Sieste dorée bien méritée. La maison sera bien gardée?