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Faut-il s'indigner des propos de Nicolas Sarkozy ?

par Salim Metref

Nicolas Sarkozy est l'ancien président français. En tant quel tel, il exprime des opinions relatives aussi bien au contexte politique de l'hexagone qu'aux relations internationales. Il inscrit sa démarche dans une stratégie de reconquête du pouvoir qui a pour point focal le retour au Palais de l'Elysée en 2017. Ce rappel qui ressemble à une lapalissade nous semble nécessaire. Et ses propos de Tunis concernant cette anomalie géographique qui a fait que la Tunisie soit «malheureusement » enclavée entre l'Algérie et la Libye, son appréciation de l'avenir de l'Algérie et son affection personnelle pour le Maroc relèvent de sa liberté de pensée, de ressentir et d'expression et ne doivent en aucun cas être amplifiés par des réactions naïves de médias qui oublient que l'ancien président français excelle dans l'art d'entretenir l'ambiguïté.

Essayons de décrypter ce non-évènement provoqué en Tunisie qui s'inscrit incontestablement dans un contexte politique franco-français en profonde mutation qui ne révèlera sa véritable nature qu'à l'occasion des prochaines échéances présidentielles françaises.

L'élection de 2017 est déjà proche et le centre de gravité politique de l'hexagone dérive inexorablement vers l'extrême droite. Cette dernière qui fait aussi sa mutation tant sémantique qu'idéologique puisque de la matrice antisémite qui l'a historiquement fondée, elle a trouvé en l'islamophobie un nouveau corpus idéologique de substitution, réorganise autour d'elle les différents pôles politiques français à venir. La France se droitise et c'est un fait vérifié à chaque élection.

El ce nouveau Nicolas Sarkozy qui arrive module son image en tenant compte de ces mutations et se décline en ne s'attaquant sur le plan français qu'au locataire actuel de l'Elysée qu'il considère comme étant son seul et unique challenger pour 2017, balayant au passage tous les autres prétendants y compris ceux issus de sa propre formation politique, et en multipliant des conférences extrêmement rémunératrices et des visites dans de nombreux pays pour entretenir un carnet d'adresse étoffé par son précédent exercice à la tête de la République française.

Cette «pique» à l'endroit de l'Algérie prononcée en Tunisie, qui n'a d'ailleurs pas encore condamnée officiellement ce glissement sémantique de l'ex- président français, vient après l'offre de services du président tunisien au président Obama pour que ce pays ami et voisin de l'Algérie devienne un membre non actif de l'Otan, c'est-à-dire qu'il puisse offrir des facilités en termes de déploiement et même d'installation d'infrastructures militaires atlantistes sur son territoire.

Le deuxième élément qui mérite d'être mentionné est que l'ancien président français inscrit ses propos dans un agenda déjà entamé par l'opération de désintégration de la Libye. Ce pays a subi, grâce à l'abattage médiatique du duo Sarkozy-Bernard Henry Levy qui a réussi à décrocher un mandat onusien pour le faire, une intervention militaire foudroyante qui a anéanti les fondements même de cet Etat qui peine actuellement à se reconstruire et à préserver son intégrité territoriale.

D'autres éléments aussi expliquent cette attitude.

La proximité de Sarkozy avec l'extrême droite française et plus particulièrement avec les nostalgiques de l'Algérie française n'est plus à démontrer. Sa complicité avec Patrick Buisson, ancien conseiller à l'Elysée et tête pensante de l'extrême droite française ne démontrera pas le contraire.

L'affection de l'ancien président français pour le Maroc, qu'il qualifie de moteur du Maghreb, participe d'une volonté bien française de semer la discorde entre pays voisins pour maintenir une influence et une hégémonie en Nord-Afrique décidément malmenée par les nouveaux conquérants de ce continent, notamment la Chine. Il est vrai aussi qu'une bonne partie de l'establishment français raffole de ses séjours au Maroc et cultive un goût prononcé pour un exotisme d'une époque peut-être révolue mais cela ne doit en aucun cas susciter ni envie, ni jalousie et ni ingérence. Le peuple marocain frère a le droit de diversifier ses relations et de développer ses secteurs économiques les plus porteurs avec les partenaires de son choix.

Un autre élément, franco-français, qui mérite aussi d'être mentionné, est cette volonté de l'ancien président français de dévaloriser tous les faits et gestes de l'actuel locataire de l'Elysée dont il n'est toujours pas remis de ce débat qu'il a perdu à la loyale devant une opinion française qui ne l'a pas choisi. Et ces joutes auxquelles s'est greffée la trahison de certains proches ont laissé des traces, de l'amertume, de la rancune et même de la rancœur.

Enfin, un dernier élément, algéro-algérien celui-là, doit être aussi dit. Nous devons nous aussi apprendre à gérer notre susceptibilité et à réserver notre forte réactivité émotionnelle aux défis qui nous attendent, c'est-à-dire gagner la bataille de l'après-pétrole, de l'éradication de la corruption et de la construction d'un véritable Etat de droit pour espérer gagner la guerre contre le sous-développement économique et pour l'émergence de notre pays.

Quant à tous ceux dont l'histoire a figé la générosité et ankylosé le cœur, ils seront toujours libres de nous haïr. L'Algérie compte en France de nombreux amis.

Et malgré certaines réminiscences algériennes, l'Algérie de Papa est bel et bien finie.