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Le naufrage de l'Europe

par M'hammedi Bouzina Med : Bruxelles

Entre immigration choisie, immigration clandestine et « quotas » de réfugiés, l'Europe se « radicalise » à sa façon et verse dans un discours trouble et dangereux pour elle et pour le reste du monde.

L'Europe échappera-t-elle à son propre naufrage ? En arriver à débattre du destin d'êtres humains désespérés avec un vocabulaire mercantile de producteur agricole ou industriel en quête de parts de marché est en soi cynique, pathétique, révélateur par-dessus tout d'un risque élevé de la fin de l'idée même du « rêve » des pères fondateurs du projet européen : union, paix, liberté et humanisme. «Quotas», et en plus pas d'accord sur leurs poids, tailles et part de chacun des membres de la famille européenne. 20.000 sur deux ans pour les 28 pays de l'Union. Cela fait 10.000 par an, moins que le nombre de croisiéristes d'une seule compagnie de voyage sur la seule mer Méditerranée au cours d'un seul été. A peine annoncée, la proposition du nouveau président de la Commission européenne a provoqué une dispute honteuse des dirigeants européens : «Non aux quotas de réfugiés !», a crié le Premier ministre français. «La Grande-Bretagne n'est pas concernée par les quotas !», réplique David Cameron, fraichement réélu. Jusqu'au Hongrois Victor Orban qui répond lui aussi qu'il n'est et ne sera jamais question pour son pays d'accepter des lots de réfugiés chez lui. 10.000 réfugiés à accueillir au milieu de plus de 500 millions d'Européens et le reste à refouler, à abandonner au ventre de la mer ou à «couler» sur les rives de la Libye et celles de tout le sud méditerranéen, et l'Europe estime que c'en est trop.

Mais pour se donner bonne conscience, l'Europe veut prendre à témoin le reste du monde et l'impliquer pour légitimer ce projet fou de piraterie moderne : elle saisi le Conseil de sécurité de l'ONU pour « l'autorisation » de lancer ses frégates et navires de guerre à l'abordage contre des rafiots, barques et chaloupes bondés de moribonds, de misérables êtres humains en détresse, à la recherche d'une aide, d'un geste de générosité, d'un secours, d'une main tendue.

Prévoyant le refus de la Russie de Vladimir Poutine, le Conseil de sécurité a opposé un niet. Même pas l'effort de discuter d'une telle résolution. En souvenir, aussi et sans doute, de la précédente résolution sur la Libye terminée en invasion militaire et le chaos en cours qui déverse ses flots de réfugiés contre lesquels l'Europe veut encore « guerroyer ». Du coup, comme alertée sur la folie de son projet, l'Europe charge ses ministres des Affaires étrangères, lors de leur réunion au Luxembourg de lundi dernier, de convertir le projet de piratages des rafiots de réfugiés en un autre projet si répété par le passé, si « vague » et incertain : «démanteler le modèle économique des trafiquants et passeurs » annonce le communiqué du Conseil des ministres. Il ajoute «déployer un effort systématique pour identifier, capturer les bateaux et équipement utilisés par les trafiquants. »

Comment, par qui et à quel prix ?

En renforçant l'opération « Triton » menée par L'Italie et celle dite « Poséidon » aux mains de la Grèce. L'Agence « Frontex » n'a pas été évoquée. L'UE s'est donné jusqu'à la fin juin prochain pour évaluer, lors du Sommet européen, le bilan de ces opérations en mer. Au final, ce seront les mêmes pays du sud méditerranéen, particulièrement l'Italie, la Grèce et Malte qui devront se débrouiller avec les réfugiés. Face à la problématique du siècle, c'est-à-dire le déplacement des populations en raison des guerres, sécheresses, violences politiques et les effets d'une mondialisation économique menée et imposée par les Occidentaux, l'Europe n'a de réponse autre que celle de la fermeture, de l'égoïsme, de la force et de la violence. Autrement dit, l'Europe et les Occidentaux d'une manière générale détruisent les frontières économiques pour la libre circulation des marchandises au nom de la mondialisation, imposent leur modèle financier et économique et érigent dans le même temps des frontières et des forteresses contre la circulation des êtres humains qui fuient les conséquences désastreuses de cette même mondialisation. Mieux, menacée par une inversion de la pyramide des âges, un vieillissement de sa population active, l'Europe affirme un besoin urgent de 20 millions d'immigrés pour les 20 prochaines années et refuse 10.000 réfugiés par an. Calculons : 10.000 X 20 = 200.000. Il restera à l'Europe de trouver 19 millions et 800.000 mille autres « étrangers » pour les 20 ans à venir afin de sauver son actuel modèle économique. Etrange fin de courses : l'immigration si décriée attendue en sauveur futur du modèle social européen. Etrange discours politique ambiant sur les « étrangers ». Enfermés dans des surenchères politiciennes, obsédés par les rendez-vous électoraux, les leaders européens cultivent et engraissent les terreaux des idéologies nationalistes, révisionnistes, racistes et désespèrent leurs concitoyens du projet commun d'une Europe ambitieuse, sereine, solidaire et fraternelle et surtout engagée pour une paix chez elle et avec les autres. L'image offerte par l'Europe en Méditerranée se répercute à l'autre bout du monde : en Asie du Sud-est. La Malaisie, les Philippines, l'Indonésie abandonnent des naufragés birmans et bangladeshis fuyant la misère et la violence. Excepté quelques centaines de réfugiés recueillis en Indonésie par des habitants et des associations, les rafiots et chalutiers à la dérive sont repoussés au large. Personne ne sait ce qu'ils sont devenus. Les Européens, si prompts à donner des leçons d'humanisme aux autres, se sont tus. Silence.

Ils ne peuvent pas cette fois-ci ; ils font pire et donnent l'exemple en Méditerranée. Qui va sonner l'alerte sur ces drames quotidiens qui se répètent et s'intensifient ? Où vont finir tous ces malheureux et ceux qui suivront ? Le département de l'immigration (OIM) de l'ONU ? Ce «forum» mondial qu'est devenu l'ONU semble impuissant face à la multiplication des tragédies à travers le monde. 70 ans après sa fondation, les injustices dans le monde n'ont jamais été aussi violentes contre les plus faibles, les plus pauvres et démunis. 70 ans après la création de l'ONU, les Occidentaux n'ont jamais été aussi riches, puissants et les plus pauvres plus pauvres. Entre les désastres des guerres au Proche et Moyen-Orient, l'anarchie et le chaos en Libye, l'instabilité politique et risques de conflits dans les pays du Sahel, les flots de survivants et de réfugiés submergeront l'Europe. Une raison suffisante pour qu'elle change sa conception « agressive » de la géopolitique et en reconnaissant sa part de responsabilité dans le désordre mondial.

A commencer par, vite, bannir ce discours stupide sur la question migratoire en évitant de confondre des êtres humains avec des produit manufacturés ou agricoles.