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L'Algérie révélée, la guerre de 1914-1918 et le premier quart du XXe siècle (a)

par Pr Djilali Sari

A merveille, cette magistrale thèse déjà soutenue en 1978 puis éditée en 1981 vient d'être rééditée et sponsorisée par une large et gracieuse distribution, par les bons soins de l'auteur.

A dessein, une médiatisation bien méritée, précédant de peu et coïncidant avec un triple événement au plan tout aussi bien national, la commémoration des massacres du 8 mai 1945 qu'à la suite de la double commémoration du centenaire de la Première Guerre mondiale et du soixante-dixième débarquement des Alliés en Normandie (France), - opportunément - en soulignant le rôle réellement joué par les combattants algériens, alors que dans l'imaginaire collectif, d'ici et d'ailleurs, ils n'ont été considérés le plus souvent qu'« une chair à canon».

En fait, plus que cette médiatisation au plan international, particulièrement occidental, cette thèse ne pouvait être entreprise et à atteindre les objectifs poursuivis opiniâtrement que dans des conditions bien établies. De toute évidence qu'à la suite d'efforts exceptionnels, surhumains, qu'impliquent nécessairement autant l'engagement et l'érudition que davantage la maîtrise des langues, au passé comme au présent - du latin avec principales langues et la langue arabe. Précisément, ces conditions bien remplies par le professeur émérite Gilbert Meynier eu égard à des publications de valeur, des références incontournables, au demeurant recouvrant la quasi-totalité de l'histoire de notre pays, à l'instar particulièrement de l'Algérie des origines (2007), l'Algérie cœur du Maghreb classique, De l'ouverture islamo-arabe au repli (698-1518), (2010), Repenser l'Algérie dans l'histoire (1913), Histoire intérieure du FLN, 1954-1962 (2003)?

Aussi l'histoire relative à ce premier quart du XXe siècle a-t-elle été décortiquée, de bout à bout, grâce à l'exploitation judicieuse d'une masse considérable de documentation archivistique inépuisable en parvenant à cerner les motivations profondes et l'âme de ces milliers de combattants perçus certes collectivement, mais souvent personnalisés parfois même approchés et localisés à travers l'étendue de l'Algérie septentrionale, laissant ainsi entrevoir les particularités et sensibilités rural/urbain, des nuances Est/ Ouest, notamment au niveau des deux principaux centres urbains de Tlemcen et Constantine, éventuellement d'autres villes secondaires? De surcroît, le tout appréhendé, enrichi et illustré, voire recoupé et corroboré par le vécu recueilli sur le terrain directement auprès de rescapées de la Grande Guerre, quoique difficilement repérables à plus d'un demi siècle de recul.

Quelles belles illustrations, véritables prouesses, tel un travail de fourmis, de parvenir à rencontrer de rarissimes survivants, de pouvoir déterminer rigoureusement, soit leur propre itinéraire, soit les trajectoires de leur descendance (p. 661,667 ?), bien après la guerre de libération nationale en dépit de ses bouleversements de fond en comble durant ces dernières décennies. A cet égard, édifiantes sont la lecture et la relecture, attentivement, de nombreux passages et développements, à l'instar notamment des déductions brillamment formulées par les pages 440 et 441, focalisant l'attention sur l'arrière-plan, les évènements des plus traumatisants de l'Algérie coloniale, 1830 et 1870, autrement dit savoir se battre et être vainqueur? « pour effacer Staouéli et Isly », et par là même « valoriser en eux, l'Algérien ». D'autant que «tous les rapports militaires soulignent l'engouement des Algériens pour les armes modernes, pour la technique des travaux de génie, pour la modernisation».

A point nommé, c'est bien le constat fait, sciemment, précisément par Hadj Ahmed Bey, précisément l'unique bey de? filiation maternelle algérienne d'ascendance anté-ottomane, qui a déploré durement l'absence d'artillerie, lors du deuxième siège de Constantine le? 13 octobre 1830 (encadré ci-dessous), situation tant déplorée postérieurement, à l' instar de Si La'lâ ,le meilleur stratège des Ouled Sidi Cheikh en 1869 face au foudroyant feu des chassepots.

Mémoires de Hadj Ahmed Bey (R A, 1949 :107-108)

Le lendemain de la mort du grand de l'armée, que j'ai appris depuis être le général en chef, l'artillerie des Français redoubla de fureur. Ils s'avancèrent et, battant la muraille, ils eurent bientôt pratiqué une brèche considérable. Quoiqu'on ne pût la gravir qu'avec difficulté, ils s'y lancèrent pourtant et s'établir au sommet, prêts à entrer dans la ville. Tout à coup la mine dont j'ai parlé éclata, tua un grand nombre d'assaillants mais fit en même temps périr beaucoup des nôtres. Les autres manquèrent leur effet, et je dus regretter plus tard lorsque ces circonstances me furent racontées, l'absence de gens experts dans cette partie de l'art de la guerre.

A elle seule, la focalisation tour à tour sur l'état d'esprit, attitudes et comportements des enrôlés de 1914-1918 ne peut éclipser les autres évènements majeurs du premier quart du siècle écoulé, demeurés jusqu'à présent à peine entrevus en dehors de l'émergence du mouvement Jeune Algérien ou l'insurrection du Sud Constantinois avec la révolte des Béni Chougran, la hijra de 1911, les mouvements des travailleurs en France, les lendemains de la guerre?

Assurément, la période étudiée s'est révélée très riche, d'autant que souvent elle est axée sur le socioculturel. « L'immédiat après-guerre est une période unique d'éveil de la culture populaire » (p 711). A merveille, illustrée par l'analyse lexicale fine du discours de l'Emir Khaled.

En définitive, loin d'être statique, ce premier quart de siècle s'avère très riche, voire foisonnant en ouvrant de nouvelles perspectives d'approche.

(a) Gilbert Meynier : L'Algérie révélée, la guerre de 1914-1918 et le premier quart du XXe siècle, Paris, éd. Bouchène, 784.