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Quand le mythe s'effondre

par El Yazid Dib

Hélas pour ce Front de la première heure. Patrimoine immatériel sans démenti, il est la propriété morale de tous les Algériens. Il ne peut demeurer une possession de quelques autoproclamés éternels détenteurs.

Le FLN est condamné à assurer sa propre survie. Fort de ses référentiels et surtout de ses jeunes cadres, arrivera-t-il à sauver l'histoire ? Le parti vacillera d'une rive à l'autre lorsque la vantardise empêche le bon sens d'unir la saveur du mythe à la réalité du nouveau paysage politique. La présence structurelle du parti semble donner entre deux échéances électorales l'impression d'un néant dynamique ou l'illusion de la coquille vide. Ce grand parti libérateur et rédempteur, ne serait-il plus habité par ces élans rassembleurs et unitaires de la composante patriotique ? Aurait-il subi, à l'instar d'autres corporations, le syndrome de l'usure et du vieillissement fonctionnel ? Cet métachronisme qui ne devait point sévir au sein des forces vives de la nation serait pourtant devenu une nature essentielle pour le fonctionnement de tout l'appareil tant central que local.

Si la libération du pays avait exigé l'utilité d'un front unique il en serait un peu autrement après la période post-indépendance. Le parti se transformant en un appareil de propagande commençait à se faire sortir de l'option politique et travaillait un régime. Il produisait plus de la démagogie que de la persuasion politique.

L'unicité du parti n'avait rien apporté comme élément fondateur d'une nation si ce ne fut cette discipline quoique honnie, mais qualifiée d'indispensable pour éviter toute dérive. Le moindre vent de vouloir dire ou faire des choses en dehors d'un « cadre organisé » s'assimilait de facto à un acte contre-révolutionnaire. Ca continue de l'être à moindre degré. La démocratie n'avait qu'une signification occidentale au moment où l'appropriation de l'outil de travail, la justice sociale et l'égalitarisme rimaient avec la négation des classes. L'embourgeoisement condamné à plus d'un titre sera, une fois la démocratie mise sur scène, un mode apte à appâter les foules et gagner, croit-on, l'estime de la populace. Les slogans d'à bas l'impérialisme et la réaction se tairont et les vociférateurs feront la chaîne devant les ambassades des pays qualifiés ainsi.

L'édification nationale formée de tâches de grandes envergures tels que le barrage vert, la transsaharienne, le volontariat dans la campagne, devait se partager par tout un chacun sans quoi les idéaux majeurs d'une révolution jeune et ferme n'auraient point eu les mérites dignes de la grandeur d'une nation à peine sortie des affres séculaires de la dépendance colonialiste. Que fait-il ce FLN, actuellement pour l'effort solidaire national ? Ce fut un temps où l'engagement politique ne variait nullement de l'ardeur à pouvoir continuer la révolution autrement et sur d'autres fronts. L'école, la rue, l'usine et tout espace de la vie active ne pouvait être extrait à un militantisme qui ne cesse de déborder jusqu'aux fins de tous les rouages institutionnels.

Le parti se trouvait au fur de sa sénescence coincé entre les envies d'un système qui voulut en faire un mécanisme de règlement de compte historique. Tantôt il prêchait la bonne parole au profit d'un pouvoir, tantôt il faisait dans l'éloge et la déification de personnes. Il était ainsi devenu au regard des foules le réceptacle de l'échec de toute politique. Il jouait le rôle sans avoir en finalité le mot ou l'ultime mot. Dans cette lancée le FLN ne pouvait demeurer intact suite aux grands maux qui le rongeaient. Les figures de proue commençaient à lui causer une sérieuse hémorragie pour voir d'autres noms s'élever et s'ériger à l'avenir en des symboles incontournables dans l'échiquier politique algérien. Manœuvrant à distance, voire publiquement depuis peu, les caciques ne lâchent pas les rennes qui les ont traînés aux zéphyrs de la gloire du jeune Etat.

C'est ainsi que l'on s'aperçoit au fur et à mesure de l'effilement de toutes les étapes que les batailles dans le parti n'ont jamais pris l'allure de courants idéologiques contradictoires. Les conflits opposaient les personnes, les clans et les familles et non les idées ou la nature de projets sociaux. L'opportunisme est confectionné grâce à l'octroi d'une carte ou le renouvellement d'une autre. La lutte n'apparaît qu'autour de l'échéance de vote qui fera, croit-on toujours savoir, des hommes publics pour ceux qui ne sont que de quelconques noms usuels.

Avec un personnel des années du parti unique, le FLN n'ira pas vers le fond philosophique de la démarche qu'il semble préconiser. Il demeurera otage des hiérarques et de groupes corporatistes fort jaloux envers toute « pénétration » flnement étrangère. Faisant dans une nébuleuse volonté, sa propension de changement, il n'arbore qu'une démocratie de bavardage dénuée de toute logique propre à un parti où le centralisme démocratique est une règle d'or.

Par principe, par coutume « boulitique » il échoit au simple citoyen de juger juste à la lumière du mandat électif en cours, les prouesses passives et actives des élus, qui ont causé l'érosion au crédit-confiance accordé aléatoirement au FLN. Ainsi, à travers le menu offert aux électeurs, la diversité des profils présente une indigence accrue en matière de valeur politique. Le plateau électoral dévoilé lors de chaque joute a eu tout le temps un goût insipide, fade et amer tant les éléments le composant plus ou moins furent extraits des archives mouillées pour s'introniser ou introniser d'autres selon des accointances claniques ou parentales.

Surchargé de se vieux réflexes, le FLN n'entend pas se rénover en un parti moderne et politique. Il est encore respecté, car ne devant ce respect quelquefois intact que par la moralité qu'il tente d'entretenir au moyen de recours itératif à la légitimité historique. Mais en réalité que lui reste-t-il de tout cela ? Il n'est plus le représentant du mouvement national quoique s'essayant de s'inscrire dans une mouvance de démocratie et de modernisme. Développant un double discours, il tressaute tel un appareil en manque d'énergie et apporte jusqu'au fond du ridicule la preuve de la contradiction et de la discorde.

La tentative, du moins déclarée, d'opérer la décantation menant vers un assainissement progressif des rangs tenus en tête par les vieux randonneurs du FLN, n'aura certainement pas lieu. Hélas pour ce mouvement de la première heure. Patrimoine immatériel sans démenti, il est la propriété morale de tous les Algériens. Il ne peut demeurer une possession de quelques autoproclamés éternels détenteurs.

La restitution de ces trois initiales confisquées sournoisement par des potentats ou des néo-dinosaures est à réclamer par tous au nom de l'histoire, des martyrs et des profondes fibres de la nation. Il restera tout de même ce parti d'avant-garde qui a su galvaniser à un certain moment le sentiment national. Il aura été contre vents et marées le catalyseur des efforts libérateurs et de l'emploi rédempteur pour le recouvrement de l'indépendance nationale. Comme il aura l'avantage du mérite de pouvoir continuer sa trajectoire non sans faire ablation de tous les germes qui le gangrènent et faire table rase des méthodes révolues qui le stigmatisent, des groupes qui le sapent et de la duplicité qui virevolte comme une colonie autour de son histoire.

L'inquiétude du prochain conclave devant designer le futur patron ou même plébisciter l'actuel n'atteint plus tout le peuple. Seuls les plus intéressés par les privilèges continueront à se chamailler pour faire subir du tort à ce prestigieux étendard. Et s'ils venaient à le quitter tous ? pour le laisser, à défaut de musée, entre des mains juvéniles et compétentes. C'est la qualité de l'intention de ce Xème congrès qui va conditionner le succès du schéma directeur. C'est la noblesse et l'authenticité du concept politique qui va davantage mobiliser les énergies. C'est aussi l'extraction des impuretés qui va redonner toute la vigueur et le punch à ce corps-parti, bâti sur le filigrane de l'Etat. Lui, le parti d'avant-garde, porteur de l'espérance populaire, englobe à ce jour en son sein certains esprits qui ont fait de l'engagement un gage lucratif, de la compétence une force de famille et un nombre tribal. Dans certaines contrées le FLN s'assimile à des noms et à des pans de famille entière. Ses héritiers légitimes, disent-ils. L'on sait que de nouvelles énergies, jeunes et vigoureuses, épaulent dans son soubassement ce vieux parti. Mais hélas, le commandement semble bien leur échapper, pour cause que le réflexe d'appropriation subsiste encore dans la moelle sèche d'os poliomyélitiques. Encore que, à la faveur des printemps arabes, des NTIC, du facebook, du handicap managérial des tenants et aboutissants, ces jeunes militants auront à penser, dès à présent, à initier un novembre-bis. En somme, le système n'aurait pas à trouver en lui à chaque panne une simple roue de secours qui de surcroît en 1997 l'ignorant avait « fabriqué » toute une autre à partir des débris de l'initiale.

Les opportunités favorablement politiques induites par la conjoncture actuelle ne doivent pas, encore une fois, être sacrifiées dans les luttes du sérail. La faiblesse des autres partis, l'absence d'une opposition forte, la sénescence d'un régime aux abois font que besoin y est de faire arrêter l'automutilation. Le contraire fera un jour dire à la postérité que Benboulaid et les 5 compagnons, n'étant plus « membres du bureau politique », n'apprécieront jamais le chemin de l'effondrement de l'idée pour laquelle ils sont morts. D'eux aux actuels dirigeants, l'histoire devient injuste et l'avenir demeure rigolo. Quand un lion s'effondre, les hyènes accourent. Triste réalité politique.