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87-bis, subventions, quand le FMI s'en mêle !

par Cherif Ali

Nonobstant les assurances de Mohamed Ghazi, le ministre du Travail, qui a tenu à rassurer son monde en déclarant « les augmentations salariales induites par l'abrogation de l'article 87-bis entreront en vigueur en juillet ou en août prochains ! », les travailleurs concernés sont gagnés par l'inquiétude.

Et pour cause, le retard pris pour la mise en œuvre de cette disposition est, selon ces derniers, révélateur, peut-être, des difficultés techniques voire de problèmes de trésorerie qui empêcheraient l'entrée en vigueur de cette mesure qui, rappelons-le, devait être effective fin 2014.

Les experts, pour leur part, ne démordent pas, le coût global de cette dépense donne à réfléchir ; il avait été estimé à plusieurs dizaines de milliards de dollars, ce qui est susceptible de fragiliser, davantage, la situation financière du pays, déjà mise à mal par la baisse des revenus pétroliers.

Il y a aussi les réserves, fondées ou pas, émises par certains économistes comme Amar Belhimer, qui a tenu à marquer son désaccord, à l'occasion d'une conférence-débat qu'il a eu à animer, il y a quelque temps, en disant « que l'amendement de l'article 87-bis consacrera, comme en France, le passage du CDI au CDD ; cela participe de la précarisation de la condition du travail dans notre pays ! ».

Il n'est pas question, ici, de refaire le débat, mais la position de cet économiste tranche, radicalement, avec tous ceux qui dénonçaient un article scélérat, le 87-bis, imposé dans la foulée du plan d'ajustement structurel dicté à l'Algérie par le FMI, dont les représentants persistent et signent « nous avons pris acte de la décision des autorités algériennes d'abroger l'article 87 bis, mais si l'Algérie veut améliorer sa compétitivité, elle doit faire attention à ce que les ajustements salariaux soient liés à des gains de productivité ».

Le FMI profite de toutes les occasions pour s'inviter dans le débat national. Il n'a de cesse de distiller ses conseils à l'Algérie, pays ami, qui a été jusqu'à lui accorder un prêt de 5 milliards de dollars, soit 3,8 milliards d'euros !

Pour Alger, certes, l'opération était gagnante sur tous les tableaux : les 5 milliards de dollars ne sortent pas de la comptabilité des réserves du pays ; ils sont rémunérés et l'argent prêté par l'Algérie sera remboursé, avec un emprunteur aussi fiable que le FMI ; le pays contribue à éviter que la crise de la zone euro ne s'aggrave, ce qui aurait pu nuire à ses exportations énergétiques.

Les algériens qui avaient tant ergoté sur cette opération, pensaient en avoir fini avec cette institution, jusqu'à cette visite de Mme Christine Lagarde début mars 2013. Pour l'Algérien lambda, la directrice du Fonds Monétaire International vient à Alger « pour encore une fois, nous soutirer de l'argent ! ».

Il a fallu attendre, pratiquement, quelques jours, pour découvrir dans la presse nationale, cette déclaration de l'intéressée : « Je ne suis venue, ni pour solliciter un deuxième prêt, ni pour demander une rallonge sur le premier prêt accordé au FMI par l'Algérie ». Propos, reconnaissons-le, dits sur un ton aussi réactif que cinglant et qui auraient pu être, non seulement évités, mais aussi expliqués à la population, en termes moins incisifs.

Mais, comme à l'accoutumée, nos gouvernants ont raté le coche en matière de communication ; à croire qu'ils sont toujours dans une sorte d'interrogation sur ce qu'ils doivent dire ou taire à la population.

Les Algériens sont, finalement, restés sur leur faim, convaincus qu'ils étaient que Christine Lagarde était venue spécifiquement à Alger pour faire pression sur le gouvernement pour qu'il dépose davantage d'or dans les coffres du FMI » ; il faut savoir que la charte du fonds exige qu'une partie des quotes-parts des pays membres soit réglée en or.

Pour rappel, l'Algérie, dans le classement des pays détenant les plus importantes réserves d'or, occupe la 24ème place avec 173,6 t du métal précieux comme réserves, loin derrière les Etats-Unis (8133,5 t), l'Allemagne (3391,3 t), l'Italie (2451,8 t), la France (2435,4 t), et la Suisse (1040,1 t).

L'or, en fait, a toujours suscité les pires convoitises. En 1830 par exemple, la France coloniale a mobilisé 104 navires de guerre et 535 navires de commerce pour faire main-basse sur le trésor de la Régence d'Alger.

Parenthèse fermée, et bien après le départ de Mme Christine Lagarde, directrice générale du FMI, que reste-t-il de sa visite, si ce n'est un goût d'inachevé d'abord, un manque de visibilité économique ensuite et enfin, beaucoup d'appréhensions. Sans compter l'hostilité manifestée par l'Institution de Bretton-Wood, concernant la mise en œuvre de l'article 87-bis, et ses impacts sur les finances du pays.

Franchement, les Algériens les plus avertis n'avaient pas besoin des conseils du FMI pour faire le constat de ce qui empêche «un réel décollage de notre économie» et «le manque d'engagement des IDE» qui prennent l'allure de l'arlésienne, pour le moment, pour causes :

- d'économie dépendante des hydrocarbures.

- de méthodes de gestion à revoir.

- du manque d'attractivité des affaires et du climat à revoir.

- d'inflation et de chômage des jeunes.

- de bureaucratie et de corruption.

- de pléthore de textes réglementaires.

- d'absence chronique de foncier qui décourage plus d'un investisseur.

- et des dépenses publiques incontrôlées.

Quant aux observations des experts du FMI, il y a de quoi se mettre martel en tête ; notre système de subvention des produits de base et de première nécessité a été longtemps critiqué par le FMI, assez pour faire réagir, normalement, nos responsables qui doivent plancher sur ce sujet, qui prend aujourd'hui l'aspect d'un dilemme cornélien :

1. les subventions qu'elles soient budgétisées (lait, céréales, pain) implicites (eau, électricité, carburants), qu'elles prennent l'aspect d'aides (logement, santé) d'exonération de droits et taxes (sucre, huile), bénéficient tant aux ménages qu'aux importateurs qui réalisent des bénéfices monumentaux.

2. les réduire ou les abandonner n'est pas sans risques sur la paix sociale.

3. la question qui taraude nos gouvernants, pressés par le FMI et l'OMC, est celle-ci : un retour vers la vérité des prix sera-t-il bien perçu par la population, même s'il doit s'accompagner d'une augmentation des salaires ?

Il faut l'admettre, nos rapports avec le FMI seront toujours entachés de crainte, tant il symbolise la crise et nous renvoie à la face notre mauvaise gestion, la faillite de nos politiques et la limite des compétences de nos gouvernants !

A contrario, il faut aussi reconnaître que les thérapies du FMI ne sont pas sans douleur pour les populations.

Regardez la Grèce par exemple, qui n'en finit pas de manger son pain noir, allant de P.A.S à P.A.S (Plan d'ajustement social) et de prêt en prêt, avec, planant sur sa tête, la menace d'une exclusion de la zone euro et l'appauvrissement de ses couches sociales.

Il y a aussi l'exemple de l'Argentine, où le désamour s'est confirmé entre ce pays et le FMI, le premier accusant l'institution extra-financière d'être responsable de sa faillite, même si, depuis 2006, il est parvenu à rembourser sa dette de 95 milliards de dollars, déjouant ainsi toutes les recommandations de cette instance et renvoyant, au passage, les experts de l'institution à leurs chères études. A ce jour, d'ailleurs, les relations FMI/Argentine sont réduites à l'échange de convenances, imposées pour la nécessité de coopération avec l'institution.

L'autre exemple se trouve à Chypre qui avait défrayé la chronique financière suite au tsunami qui a frappé, durement, ses banques. Dans ce pays en effet, l'Europe des riches a fait un pas de plus dans l'expérimentation des mesures dures, visant à tester les réactions internes, celles des populations locales, notamment.

Dans ce pays, le sauvetage des banques a été décidé au prix d'une taxe, à effet immédiat, de 6.75% sur les dépôts bancaires pour les sommes inférieures à 100 000 euros et de 9.9%, au-delà. Les petites gens se sont précité pour retirer leurs maigres économies, craignant d'autres mesures plus drastiques, voire même une faillite du système banquier chypriote, ce qui signifierait, à terme, la ruine des petits déposants, le chômage à grande échelle et la précarité, tant sociale que politique.

Pendant ce temps là, on peut imaginer que les hauts responsables du FMI et de l'Euro-groupe n'ont eu aucune gêne ou scrupules à ponctionner les avoirs des déposants, même si parmi ces derniers il se trouve des spéculateurs ou des transnationaux, aux fortunes douteuses, qui, bien évidemment, s'en remettront. Business is business, affirme-t-on, en sourdine, du côté de Bretton Wood et d'autres places financières où règnent la spéculation, les affaires et la politique faite par et pour les riches.

 Plus près de nous enfin, il y a eu le cas de la Tunisie ou le FMI s'est engagé à débloquer un prêt de 1,75 milliards de dollars assorti de réformes difficiles à satisfaire : réduction des dépenses courantes (salaires, compensations, subventions), un nouveau code de l'investissement, une visibilité plus claire sur le plan politique, constitutionnel et institutionnel, une justice équitable et une réhabilitation du secteur privé. Autant dire qu'il s'agit de travaux titanesques pour ce pays qui recherche sa stabilité et qui, quelque part, risque de perdre aussi sa souveraineté pour un bout de temps.

En définitive, il n'est pas besoin qu'un pays soit endetté pour qu'il coure le risque d'une crise financière. Et ce qui nous est demandé aujourd'hui par le FMI, et même l'OMC, n'est ni plus ni moins que l'abandon de la politique sociale du soutien des prix, et le maintien de l'article 87-bis ! De quoi mettre la rue algérienne en ébullition !

Rappelons que le pays, grâce aux recettes pétrolières, réinjecte tous les ans 10 milliards de dollars en transferts sociaux : logements gratuits, assurance chômage, dépenses de santé, etc. Il est connu que la sortie d'une politique de subvention des prix est toujours problématique, surtout que l'on n'a ni le loisir d'en fixer les termes, encore moins les délais dont on dispose pour le faire.

Et M. Zeine Zeidane, qui a séjourné dans le pays, n'a pas manqué de réitérer « la nécessité pour l'Algérie d'adopter une règle budgétaire, rééquilibrer ses finances publiques et aussi réduire ses dépenses courantes ».

En clair, l'envoyé du FMI alerte nos responsables sur l'accentuation des risques qui pèsent désormais sur la stabilité macro-économique du pays, au regard notamment, du recul de la production d'hydrocarbures et de la forte consommation interne ; « si cette situation économique est maintenue, la position extérieure de l'Algérie deviendra, inévitablement, négative dans 20 à 25 ans », a-t-il dit.

Pour l'heure, Abdelmalek Sellal, tout comme Sidi Saïd, ne sont ni préoccupés par la baisse du prix du baril de pétrole, ni par l'impact qui sera induit par la suppression de l'article 87-bis, encore moins par les perspectives économiques mondiales pour 2015 établies par le FMI qui s'attend, concernant notre pays :

1. à une croissance du PIB de 4,11%, loin des attentes

2. une inflation située à 4%

3. et plus inquiétant, un taux de chômage de 11,3%

De ce qui précède, peut-on affirmer que le gouvernement actuel est en mesure de :

1. maintenir une inflation endogène incontrôlable, avec des moyens financiers qui tendent à se limiter, baisse du prix du baril de pétrole oblige.

2. répondre aux injonctions du binôme FMI-OMC appelant à l'abandon des subventions, de la règle du 51/49? Et au maintien de l'article 87-bis !