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Une fausse polémique pour occulter un véritable échec

par Abed Charef

Le duo Lamamra-Messahel a occulté le départ de la paire Yousfi-Djellab. Pourtant, le changement des ministres « économiques » aura beaucoup plus d'impact sur le pays que la polémique sur l'organisation de la diplomatie.

La polémique qui a entouré la réorganisation de la diplomatie algérienne lors du remaniement du 14 mai a éclipsé l'innovation, la seule, qui touchait deux grands ministères économiques, ceux de l'Energie et des Finances. Peu d'analystes ont mesuré l'ampleur de la décision de se passer de MM. Youcef Yousfi et Mohamed Djellab, alors que le côté spectaculaire de la brouille supposée régner aux Affaires étrangères a focalisé toute l'attention.

Erreur ? Négligence ? Lutte de clans ? Guerre de compétences ? Tout a été dit. Pourtant, ce qui s'est passé aux Affaires étrangères n'avait pas de signification particulière, ni d'impact significatif. Le même attelage qui gérait le secteur a été reconduit, avec des promotions honorifiques pour les titulaires, Ramtane Lamamra et Abdelkader Messahel. Elever le second au rang de ministre pouvait-il créer de la confusion? Oui, dans un environnement algérien, où le fonctionnement institutionnel est défaillant. Il fallait donc rétablir une sorte de préséance, en élevant M. Lamara au rang de ministre d'Etat, tout en délimitant le domaine de compétences des uns et des autres. Ces approximations ont donné la fâcheuse impression que les hauts responsables algériens se soucient plus de marquer leur territoire respectif que de travailler dans la même direction, y compris quand il s'agit des relations extérieures du pays.

Cela ne semble pas pour autant justifier le battage suscité par cette affaire, ni le rétropédalage de la présidence de la République, contrainte d'apporter les clarifications après la confusion créée par le remaniement. Affirmer qu'un ministre des Affaires étrangères à deux têtes a été mis en place ne se justifie pas. Beaucoup de pays nomment en effet des ministres chargés de dossiers extérieurs spécifiques. Ainsi, nombre de pays européens ont un ministre des Affaires européennes. Cela n'a jamais posé problème, même s'il s'agit de pays normalisés, avec un fonctionnement institutionnel qui fait cruellement fait défaut en Algérie.

PREMIER CARRE

En focalisant l'attention, cette affaire a occulté l'évènement du mois. Le président Bouteflika s'est en effet séparé d'un homme qui l'a accompagné depuis son arrivée au pouvoir, Youcef Yousfi, et de celui qui était chargé de trouver des solutions face à la chute des revenus extérieurs du pays, Mohamed Djellab. M. Yousfi a été le premier chef de la diplomatie choisi par le président Bouteflika, qui l'a ensuite chargé du secteur de l'Energie pour faire oublier les frasques de Chakib Khelil. M. Djellab a été administrateur de la banque Khalifa, un des plus gros dossiers de l'ère Bouteflika. C'est dire la confiance dont bénéficiaient les deux hommes dont le chef de l'Etat a été contraint de se séparer.

Aujourd'hui, le chef de l'Etat les juge inadaptés à la nouvelle conjoncture. En les condamnant, il prononce en fait un désaveu de ses propres choix économiques antérieurs, longtemps basés sur une doctrine aussi primaire qu'inefficace : utiliser à fond la distribution de la rente pour acheter la paix sociale et préserver son pouvoir.

M. Yousfi était rassurant. M. Djellab restait discret. C'est là leur force. Mais cela ne fait pas une politique, particulièrement en cette période où la conjoncture s'est retournée. Et comme s'il voulait appuyer là où ça fait mal, pour bien montrer qu'il a misé sur les mauvais chevaux dans le passé, le président Bouteflika a choisi, pour les remplacer, deux hommes qui sont aux antipodes.

Alors que M. Yousfi était un partisan convaincu de l'énergie fossile, privilégiant la prospection pour augmenter la production d'hydrocarbures, et envisageant l'exploitation du gaz de schiste -ce qui n'est pas un mauvais choix dans l'absolu-, le nouveau ministre de l'Energie privilégie plutôt l'économie pétrolière. Yousfi était préoccupé par l'amont, son successeur semble porté vers un traitement de l'aval.

REFERENCES NEGATIVES

Quant à M. Benkhalfa, il a un profil encore plus marqué (Voir Le Quotidien d'Oran, mardi 19 mai). Son discours économique est si tranché par rapport à ses prédécesseurs que sa nomination apparaît comme une remise en cause de tout ce qui a été dit et fait jusque-là par différents gouvernements du président Bouteflika, aussi bien dans le domaine de l'investissement, des transferts sociaux que dans la gestion de la rente.

Cet énorme virage économique constitue le fait majeur du remaniement du 14 mai. Cela ne signifie pas que la démarche va aboutir. Mais cela montre que tout un pays peut se focaliser sur le secondaire, quand l'essentiel est là : que signifie ce changement de cap économique? Est-ce le signe qu'on entre dans l'ère post-Bouteflika? Le pouvoir est-il prêt à assumer et à accompagner les changements politiques et institutionnels qu'il induit? Est-il prêt à assumer le modèle de gestion sur lequel pourraient déboucher les mesures prônées par M. Benkhalfa ?

C'est difficile à imaginer. Il est plus probable que M. Benkhalfa est perçu comme un simple technicien chargé d'appliquer de nouvelles mesures qui vont permettre de passer un cap difficile, sans rien changer sur le fond. D'autant plus que le nouveau ministre des Finances a montré, par le passé, des aptitudes certaines à s'adapter. Comme beaucoup de ministres, il pourra toujours faire des promesses, et dire plus tard qu'il a été empêché d'aller au bout. En tout état de cause, il ne fera pas pire que le duo Khelil-Temmar. Dans un pays où les références sont si désastreuses, M. Benkhalfa a de la marge.