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Stratégie de développement : propositions d'un programme commun

par Zahir Fares

La poursuite du modèle de croissance et de développement est une utopie

C e modèle a fait son temps, car il s'est employé à répondre à une accumulation du capital au détriment de l'humain, en outre, compte tenu de l'accroissement de la population mondiale, ce modèle d'accumulation est source de tensions nationales, régionales et universelles. (harraga et tragédie d'embarcation). Certains disent qu'il est conforme aux intérêts des pays développés, cherchant à consolider leur influence et leurs marchés. Mais, les disparus dans la mer Méditerranée sont la preuve des limites du modèle de développement notamment que :

Sans développement, l'inflation urbaine continuera, démunie des ressources financières qui permettrait de corriger ses conséquences négatives: chômage, hypertrophie de l'économie souterraine, qui peut représenter jusqu'à 50% des activités. Développement de la criminalité, pollution, bidonvilles.

Au-delà de 500 000 habitants, les avantages économiques d'une plus grande taille des villes disparaissent. C'est le cas d'Alger Constantine ou Oran. Or plus de la moitié de la population mondiale vivait dans des villes de plus de 1 million d'habitants, en l'an 2000. Mexico aura plus de 30 millions d'habitants, São Paulo, Bombay et Calcutta plus de 20 millions, etc.

Sans développement, il ne sera pas possible de payer les dépenses de formation pour les jeunes, qui constituent plus d'un tiers de la population des pays. Sans développement, les pays en développement (Tiers monde ou Quart monde) n'arriveront pas à nourrir et à soigner la population, l'aide des pays occidentaux ne pouvant être, sur ce sujet, que marginale et ne profitant qu'à une minorité.

Les modalités du système monétaire international pénalisent, par les variations erratiques de change et de taux d'intérêt, auxquelles s'ajoutent la corruption, le gaspillage, l'absence de stratégie, les ?effets de démonstration' (imitation effets) qui font préférer la consommation à l'épargne sont, autant, de facteurs qui entravent le développement et qui sont de la responsabilité des pays considérés. Cela implique un inventaire des moyens mis en œuvre, par les équipes qui se sont succédé au pouvoir, de regarder les réalités et de préconiser une approche nouvelle courageuse qui tire les leçons des stratégies passées et surtout de veiller au consensus sur les nouvelles stratégies, par ceux qui auront la charge de leur application. La question du développement n'est plus, simplement, économique, elle est politique et morale, et on a eu tendance à omettre cela. Car, toute politique de développement suppose des choix privilégiant le devenir de la communauté au détriment de la satisfaction de certains intérêts particuliers. Et le bilan des décennies passées, malheureusement, est là pour nous pousser à nous interroger sur les raisons du choix, conscient ou inconscient, de privilégier en « catimini » certains, tout comme si on avait besoin de pauvres pour avoir des riches! Face à ces contraintes que peut-on attendre de la politique de développement et de la recherche de voies et moyens d'un développement autre que celui préconisé par les modèles néo-libéraux et la mondialisation ?

Les pistes de recherche semblent privilégier cinq priorités.

Première priorité : l'Agriculture. La réussite de l'industrialisation dépend du niveau de vie des populations rurales. Le développement de l'agriculture vivrière est crucial, non seulement parce que celle-ci doit fournir l'alimentation et les revenus nécessaires à l'investissement, mais parce qu'il évite un surcroît de chômage et une trop grande dépendance, par rapport aux pays développés.

La deuxième priorité est le freinage démographique. Plus que des campagnes de sensibilisation, l'amélioration du niveau de vie et l'éducation des femmes sont les conditions d'un résultat dans ce domaine.

La troisième priorité est l'investissement humain. Celui-ci se heurte au verrou des pays développés sur la Technologie et sur la Recherche fondamentale. Un tel monopole provoque l'exode des cerveaux. Mais l'exode n'est pas inévitable, comme le montre l'exemple de l'Inde qui abrite, aujourd'hui, des centres de recherche avancés. Encore faut-il qu'il ne soit pas favorisé, du côté des pays riches, par une politique de « chasseur de têtes » ou « d'immigration sélective », et du côté des pays pauvres, par des restrictions budgétaires ou des gaspillages qui interdisent tout investissement éducatif.

La quatrième priorité est la réforme de l'État. Toute l'histoire du Développement prouve l'exigence d'une stratégie cohérente mise en œuvre par un État ayant l'appui de la population. Ce fut le cas du Japon sous la révolution ?Meiji' au XIXe siècle. Au XXe siècle, il faut citer l'exemple de la Corée du Sud, qui a, certes, bénéficié de l'aide américaine, mais a, également, su choisir un mode de développement adapté à ses ressources humaines et aux exigences de l'époque. Si l'histoire du Développement a montré la généralisation de l'économie de marché, par suite de l'échec de la planification réductrice d'incertitudes ou centralisée, elle a, également, révélé la nécessité d'une intervention de l'État qui doit créer, non seulement, le contexte institutionnel et juridique, indispensable à l'économie de marché, mais, aussi, les instruments de politique budgétaire et monétaire favorables, au développement. Comme le disait John Maynard Keynes dans ?La Fin du laissez-faire' , « l'important, pour l'État, n'est pas de faire ce que les individus font, déjà, et de le faire un peu mieux ou un peu plus mal, mais de faire ce que personne d'autre ne fait, pour le moment ». De ce point de vue, la stabilité politique et la cohésion sociale sont deux conditions du développement dont l'absence explique, pour partie, les mauvais résultats de l'Afrique noire au cours des années quatre-vingts. A contrario, les perspectives de démocratisation, ouvertes au début des années quatre-vingt-dix, apportent une lueur d'espoir pour l'avenir.

La dernière priorité est la rupture de l'isolement. Comme l'ont montré les pays asiatiques, le processus de Développement ne peut se réaliser, aujourd'hui, à l'écart du marché mondial. Celui-ci apporte les innovations et les informations indispensables à la modernisation des techniques, et un marché d'appoint pour les produits manufacturés. Mais l'analyse montre qu'une stratégie de développement, par la conquête des seuls marchés extérieurs, ne peut s'étendre à l'ensemble du Tiers monde, même si elle a réussi dans les petits pays.

Cependant, ces piste de recherche ne font que reculer, de quelques années, l'inévitable effondrement d'un système économique et social fondé sur le consumérisme et des choix eux-mêmes, déterminés par la loi du profit, entraînant un modèle de croissance quantitative. En d'autres termes le marché n'assure pas sa « mission » de régulation des buts individuels et de l'intérêt collectif.

Tout d'abord, si la Chine, l'Inde et les grands pays obtenaient les mêmes résultats que les quatre dragons, ils accapareraient l'ensemble du marché des pays développés pour les biens de consommation courante. L'hypothèse est donc irréaliste. Une seconde difficulté liée à cette stratégie est le niveau d'éducation qu'elle requiert pour la main-d'œuvre. Il semble, donc, que la bonne stratégie industrielle soit celle qui s'appuie sur le marché intérieur, en choisissant une voie moyenne, en matière de technologie et d'ouverture des frontières. S'ils doivent garder le contact avec le marché mondial, les grands pays sous-développés ne peuvent éviter un certain protectionnisme, sauf à voir leurs consommateurs acheter, massivement, des produits importés, comme l'illustre l'exemple récent des pays de l'ex-bloc communiste. En d'autres termes, il ne paraît pas que le libre-échange soit la voie la meilleure car ses limites mêmes entraîneraient des conflits dont le but ne sera plus celui de l'espace géographique mais une nouvelle forme de colonisation par la conquête de consommateurs. L'importation devient l'OPIUM du Peuple. Les exemples historiques des États-Unis et du Japon sont en crise, l'Europe se débat dans des questions de suprématie de l'euro. Au vrai, le modèle est confronté à une crise structurelle, mettant en cause, tous les modèles de développement qu'ils soient capitalistes orthodoxes ou keynésiens. Quant au modèle socialiste dévoyé, il a été victime de sa course effrénée pour rattraper, selon son modèle dit socialisme d'ETAT, la croissance du capitalisme. Que naissent des mouvements d'indignés par les inégalités et le consumérisme est un indice, pour l'instant, minime mais qui est significatif d'une prise de conscience sociale des dégâts consubstantiels au mode de production capitaliste. Il en ressort qu'il n'existe pas de modèle en matière de développement valable pour toutes les régions, quels que soient leur taille et leur niveau de revenu, contredisant ainsi la démarche du FMI et de la Banque mondiale. Les pays doivent, nécessairement, adapter les enseignements tirés des sciences sociales et des comparaisons internationales. Les échecs, en la matière, ont, souvent, pour origine l'inadaptation des politiques suivies aux réalités culturelles et humaines des régions considérées.

On peut affirmer, de ce point de vue, que la démarche des institutions internationales a trop souvent favorisé l'imitation des modèles occidentaux plus que la mise en œuvre de recherches ou d'expériences, en Agriculture notamment, correspondant aux besoins fondamentaux des pays pauvres. Le développement ne peut résulter, en fin de compte, que du sens des responsabilités et de l'esprit d'initiative des élites dirigeantes. Même si la bonne volonté des pays développés se traduisait par une aide en rapport avec leur richesse réelle, ce qui, aujourd'hui, n'est pas le cas, « l'aide » ne peut être que subordonnée aux efforts à repenser la croissance et le développement en un mot à renverser les concepts et leur application.

Je paraphraserai un grand penseur en notant que jusqu'ici les économistes n'ont fait qu'analyser le monde, alors qu'il s'agit, à présent, de le transformer. Le néo-libéralisme répond à une certaine idéologie et comme telle il ne saurait être qu'une construction de l'esprit.