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Consommons algérien, oui mais?

par Cherif Ali

Une campagne de promotion du produit national a été lancée dimanche dernier par le département d'Amara Benyounès. Elle durera une semaine, annonce-t-on.

Cette campagne procède, a priori, d'une bonne intention. Elle témoigne de la volonté du gouvernement de stopper l'hémorragie des devises et la chute des prix du pétrole. Elle a, au moins, ce mérite d'éveiller les consciences sur l'impérieuse nécessité de réduire les importations qui ont dépassé le seuil du tolérable.

Si nous ne consommons pas algérien et n'accordons pas la priorité à nos produits, nous allons avoir de sérieux problèmes économiques, a commencé à avertir le ministre du Commerce qui, en plus, a déploré le fait que le consommateur préfère acheter des produits importés alors que le produit local existe. Lui emboîtant le pas, celui de l'Industrie invite les entreprises «à améliorer la qualité de leurs produits pour garantir la compétitivité». Et pour ne pas être en reste, le ministre de l'Agriculture en appelle au «sursaut patriotique» pour sauver l'économie nationale !

Est-ce à dire que notre gouvernement a enfin trouvé la «recette miracle» à même de nous faire «gagner la bataille de la production nationale», si chère à Sidi-Saïd, le secrétaire général de l'UGTA ?

Pas si sûr. Déjà, il faut savoir que le slogan «consommons algérien» n'est pas une trouvaille locale (tiens, tiens !)

En effet, dès octobre 2012, Arnaud Montebourg, ministre français chargé du Redressement productif, apparaît à la «une» d'un grand hebdomadaire, fier de porter vêtements et accessoires de fabrication française. Cet encouragement à la consommation de produits «made in France» fait du bruit, mais n'est pas pourtant une première.

Entre 1977 et 1988, dans un contexte de désindustrialisation, le Parti Communiste Français fait du «fabriquons français» un de ses slogans phares, largement utilisé par Georges Marchais durant la campagne présidentielle de 1981.

En 1993, tous les Français découvrent les vertus de l'achat local avec la campagne télévisée «vos emplettes sont nos emplois». Les produits d'origine française se retrouvent, ainsi, sous les feux des projecteurs.

Ce qui a changé ? L'information au consommateur. Plus organisée, plus lisible, elle tente aujourd'hui de le guider vers ce qui est français.

La problématique du consommateur algérien est plus complexe qu'il n'y paraît et la question du «made in Algeria» ne peut se résumer à cette vision un peu simpliste de l'offre rencontrant la demande dans des conditions idéales.

Les ménages algériens ne rechignent pas à consommer le produit local, dans l'absolu, mais quand ils hésitent, c'est parce que l'offre pêche par l'absence de qualité aux normes universelles et peine à soutenir la concurrence étrangère.

Parmi les autres questions soulevées figurent aussi la capacité réelle des industriels et de nos entreprises à produire «national» tout en restant compétitifs et performants ou l'impact d'un prix plus élevé sur le budget des Algériens et les conséquences que cela peut avoir sur d'autres pans de l'économie nationale.

Il existe, en définitive, très peu de chiffre concernant le «made in Algeria». Peut-on, vraiment, dire qu'on assiste à son retour, comme le clament, d'une même voix, Benyounès, Bouchouareb, Nouri et Sidi-Saïd, ce quatuor de responsables qui ont bien voulu quitter leur tour d'ivoire pour nous inviter, à travers un clin d'œil qui se veut complice, de «consommer algérien» ?

Une campagne de ce type ne peut réussir et soulever l'adhésion populaire que si elle réunit certaines conditions objectives en amont et en aval du marché de la consommation. Le patriotisme et le sens de l'abnégation ne se décrètent pas à coup de slogans auxquels même les initiateurs de cette opération ne croient pas. A-t-on déjà croisé un ministre ou un responsable algérien dans un marché populaire ? A-t-on vu tel autre responsable s'habiller et se nourrir «algérien» ? Ou passer ses vacances en Algérie ? Se soigner au pays ? Inscrire ses enfants dans les universités locales ? Ou plus encore, opter pour la «Symbol» fraîchement sortie de l'usine de Tlélat ? Ceci, pour dire que ceux qui doivent donner l'exemple pour que cette campagne ait un sens, pêchent eux-mêmes par manque de patriotisme !

Il est certes vrai que dans l'ensemble, les consommateurs algériens se disent prêts à acheter «local» ; seulement voilà, de l'autre côté, des industriels ne font rien, ou pas grand-chose, pour les satisfaire et, partant, pérenniser leur propre activité. Le tout, avec l'indifférence des autorités qui ne réagissent que sporadiquement pour porter des slogans sans plus.

Il est tout aussi vrai que l'initiative lancée par Benyounès et consorts irrite plus d'un, devant une économie nationale basée à 90% sur les hydrocarbures.

Certains se sont même révoltés sur ce slogan «consommons algérien» au moment même où la disponibilité et la qualité des produits peinent à suivre. Sans compter les prix. Quand on sait, par exemple, que la viande bovine est importée d'Inde et d'Argentine quand ce n'est pas du Brésil, et que l'oignon nous arrive tout droit des Emirat arabes unis, l'urgence serait plutôt de diversifier notre économie et de nous consacrer à l'agriculture, plaident les experts.

Importations ubuesques, devises dilapidées en gadgets inutiles et dérisoires, fortunes colossales érigées grâce à «l'import-import», à l'ombre de responsables peu regardants quand l'or noir coulait à flot.

Maintenant que les sources viennent à tarir, on en appelle au patriotisme ! Au point de dire que la campagne lancée avec le slogan «consommons algérien» vise à exploiter les potentialités locales de production, juguler les importations et suffirait à inciter les ménages à consommer algérien, est un non sens !

Il s'agirait aussi d'amener les importateurs à importer ce qui n'est pas offert par la production nationale. Tout un programme !

Etonnant de constater, par exemple, que les importations de chips atteignent les 2 millions $ par an, ou celles de la mayonnaise de l'ordre de 36 millions $, soit l'équivalent des exportations algériennes de dattes !

Et le plus révoltant, c'est qu'on nous «balance» à la figure ces sommes astronomiques comme si c'était la faute des consommateurs !

Consommons algérien ! Dans un passé récent, on nous invitait à goûter au «mentoudj bladi», un flop qui a fait long feu !

Avons-nous à faire, en définitive, à une opération de com préméditée par le gouvernement, qu'on dit en instance de départ ? Ou serait-ce un coup du ministre du Commerce pour faire oublier son revers concernant le retrait de la vente libre d'alcool. Allez savoir !

Le problème d'Amara Benyounès, c'est qu'à chaque fois qu'il monte, publiquement et médiatiquement, au créneau, il crée la polémique. L'homme, reconnaissons-le, assume son interventionnisme, tous azimuts, et n'hésite pas à s'afficher et à parler aux médias. Il s'est dit, lui-même, s'attendre à des résistances, notamment de la part des lobbys des importations qui feront tout pour faire capoter l'opération.

Si Amara Benyounès, comme d'autres avant lui, s'est emparé du sujet, c'est qu'il représente un enjeu, à la fois économique et social, et par conséquent politique.

1. Enjeu économique, car encourager la consommation nationale, c'est aussi et surtout, donner un coup de pouce aux PME/PMI et tous les artisans qui font tourner l'économie et luttent pour rester en course. Assez logiquement, le «consommons algérien» trouve donc une résonnance encore plus forte en période de crise, où chaque emploi sauvé, où chaque entreprise créée sont autant de bonnes nouvelles !

2. Sociale, car les Algériens manifestent l'envie de consommer «local» et cela pour deux bonnes raisons au moins : donner un sens à leur acte d'achat et faire des économies même substantielles

3. Politique, aussi, car encourager l'économie nationale, en temps de crise pétrolière comme celle qu'on vit aujourd'hui, est au cœur de la mission d'un gouvernement et plus généralement de la classe politique tout entière. Même s'il est vrai qu'il s'agit là d'un autre débat.

L'objectif d'Amara Benyounès et du gouvernement est donc d'amener les citoyens à privilégier les produits algériens dans leur consommation courante. Ils se sont donnés une semaine pour convaincre, allant jusqu'à relayer leur appel par la mise en place «du crédit à la consommation» pour donner un avantage comparatif à la production nationale, pour ce qui concerne les produits lourds comme l'électroménager, l'automobile et l'électronique. Pour le reste, c'est-à-dire l'agroalimentaire, l'habillement et autres produits à usage courant, c'est surtout la publicité et la sensibilisation qui en feront la preuve.

Les producteurs nationaux sont prêts, nous affirme-t-on, à redoubler d'efforts pour mettre sur le marché des produits compétitifs sur le plan qualité/prix et pour satisfaire le consommateur algérien de plus en plus exigeant.

Le problème pour l'Algérie réside dans la faiblesse de l'offre, et les experts se sont accordés pour dire que «le modèle keynésien de relance de la production par la consommation qui part de l'hypothèse de l'existence d'une offre sous-utilisée n'est pas transposable à l'Algérie qui souffre d'absence de facteurs de production compétitifs en termes de coût/qualité, et non pas d'un refus de consommation locale exprimé par les Algériens».

La tâche d'Amara Benyounès et consorts n'est pas aisée, car le «made in là-bas», est toujours associé à la qualité. C'est même le premier critère cité spontanément ! Très «design», les produits «made in» ont du style ! Ils sont élégants, créatifs, et ont une véritable personnalité, une espèce de «je ne sais quoi» d'étranger qui fait la différence !

Arnaud Montebourg a porté son slogan «consommons français» en allant jusqu'à apparaître dans les médias vêtu d'une symbolique marinière ! Cela lui a valu quelques quolibets mais aussi l'admiration, y compris de ce côté-ci de la Méditerranée où il aurait, décidément, fait des émules !

Seulement voilà, les riches ne changeront rien à leurs habitudes de consommation. Quant aux bourses modestes, elles n'ont pas attendu cette campagne pour consommer algérien. Pas forcément par patriotisme, mais par réalisme. Et aussi par dépit !