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Ressusciter le patriotisme !

par Larbi Ghrieb

De tout temps, on n'a cessé de dire que le malheur de l'Algérie venait de ses richesses. Il n'y a pas si longtemps, le Premier ministre, s'adressant aux parlementaires, en donnait encore le ton en ces termes: « Nous avons grâce à Dieu de quoi manger et vivre pendant les années à venir ».

La rente des hydrocarbures permettant de couvrir la demande alimentaire, nos responsables de toute époque ne pouvaient que bénir la providence de masquer leur incompétence à sortir le pays du sous-développement vers un système productif, seul à même d'assurer la création de richesses renouvelables. D'année en année, la corruption l'a disputé à la léthargie aussi bien politique qu'intellectuelle et la violence sournoise de ce règne de l'ignorance autant que celle du terrorisme a poussé des femmes et des hommes des plus brillants à fuir leur pays. De fil en aiguille, l'école puis l'université ont vu leurs niveaux décroître considérablement puis s'effondrer. Y ont pompeusement contribué des politiques aliénées basées sur l'idéologie rétrograde qui a tronqué l'intelligence du réel, ayant fait la gloire de la lutte pour la liberté, contre l'imaginaire de la superstition intégriste exporté de pays n'ayant offert à l'humanité que leur course à l'obscurantisme.

Qu'attendre d'un tel bouleversement, sinon son impact direct sur la ressource humaine de l'administration dont l'indigence morale ne cesse de se creuser et plombe l'ensemble de l'Etat ? Où désormais, la parcimonie dans les idées contre la gabegie pour seule action publique s'érige en toute naïveté en savoir-vivre et en toute ignorance en indice de développement ? Malgré le flot de ressources, les chantiers tardent à sortir de terre, les autoroutes s'effondrent avant leur livraison, la malfaçon règne sans partage sur tout projet, la corruption gangrène tous les secteurs et les affaires de la compagnie pétrolière, principale entreprise d'Etat, n'en sont que la pointe de l'iceberg. L'Etat ainsi déficient observe béat sa crédibilité irréversiblement entamée devant les justices des pays développés qui traquent ses responsables quand la sienne ne fait que bégayer. Alors que son Trésor public est phagocyté pour créer des fortunes survenues du néant qui en font fuir l'essentiel en toute impunité et loin de tout contrôle.

Sur l'autel de la présidence de la République, feu Boudiaf affirmait : « Nous allons faire en sorte qu'il y ait des conditions d'accès aux responsabilités parmi lesquelles : la compétence, l'honnêteté mais aussi l'excellence. Quand on voit ces Etats qui nous ont surpassés? Avec quoi nous ont-ils surpassés ? Avec la science ! » Sur ces paroles crépitaient les balles qui l'assassinaient. Plus que jamais, l'Algérie souffre de sévère carence en personnel intègre et qualifié : deux conditions intrinsèquement liées qui sont les instruments de la gouvernance et les outils du développement.

Dans ces conditions, on ne peut s'étonner de voir disparaître l'autorité de l'Etat derrière le conglomérat de ces nouveau-nés de l'économie qui n'en possèdent que le nom quand ce n'est pas le modèle bannissable de la rétro-commission et de l'aberration. Car, qu'ont apporté comme force de proposition ceux qui, s'affranchissant de toute profondeur d'esprit et d'analyse, s'autoproclament comme tels, sinon de se partager les juteux secteurs de l'importation et des marchés publics réduits à la procédure extrajudiciaire du gré à gré, généralisée en droit commun et mise sous scellé du secret d'une administration qui s'exonère autant de la loi que de toute inspection ? Comme lorsqu'un terrain de 24.000 mètres carrés au beau milieu de la capitale, valant l'équivalent de 60 millions d'euros est accaparé loin des regards, et qu'au mépris de l'opinion publique, la réponse de l'attributaire aux questions des journalistes qui rendent compte à celle-ci n'est qu'un arrogant « je ne suis pas au courant ! ». La messe est dite quant à ces nouveaux tenants du pouvoir ! Car si on a jusqu'ici attribué aux services secrets la réalité de celui-ci, il n'en demeure pas moins que depuis leur récente intrusion dans les dossiers de la grande corruption, une guerre d'une rare intensité leur a été déclarée, les acculant à leurs retranchements et abandonnant l'Etat à ceux-là mêmes qu'ils ont osé défier.

Que vaut l'Etat sans son autorité ? Des mondanités d'officiels ? De roi sans pouvoir ? Car si dans les faits, notre régime républicain, si cher aux pères fondateurs de l'indépendance, a évolué en marge de la souveraineté populaire, force est de constater qu'il a aujourd'hui dévié vers le modèle de monarchie adoubée tant par cette administration que par ce conglomérat d'affairistes. La maladie invalidante du monarque, qui viole autant la Constitution qu'elle ne paralyse les institutions en est l'expression grandiloquente. La preuve aussi que nous nous situons désormais dans le modèle des « rois fainéants », où le pouvoir réel est accaparé par des dignitaires.

Comme d'autres évoqueraient leurs exceptionnels penseurs, leurs éminents savants ou leurs grandes découvertes, le régime se gargarisait de l'ampleur géographique du pays dont le sol renfermait d'énormes richesses. Enfants, on nous apprenait déjà à l'école combien l'Algérie était en cela un grand pays. Le personnel politique, qui, durant toutes ces années d'indépendance, a ânonné à l'unisson la chanson, est aujourd'hui violemment secoué par la réalité de la décrépitude de ces ressources. Une violence telle qu'il en vient face à l'urgence d'y parvenir à reconnaître son échec de la diversification de l'économie. Sa course effrénée vers l'alternative des énergies non conventionnelles malgré les dangers environnementaux avérés, qui plus est dans un pays pauvre en ressources hydriques et en terres fertiles, n'est autrement que symptomatique de son degré d'affolement. Le roi est nu ! C'est ce qui pourrait résumer notre tragicomédie nationale avec cette nouvelle crise.

Dépourvus des ressources qui sont les nôtres, nos voisins de l'Est comme de l'Ouest ont su cahin-caha construire des économies productives et nous donnent tous les jours la preuve qu'il n'en relève pas du miracle, ni des superstitions mais de la mise en œuvre de mécanismes de développement par des Etats exerçant leur pleine autorité. Notre grand malheur systémique n'a-t-il pas atteint aujourd'hui son zénith, que la loi gravitationnelle de la chute du pétrole pousse au déclin ? Il ne faut, toutefois, point perdre de vue la loi de la causalité qui veut que les mêmes causes provoquent les mêmes effets ! L'Algérie, qui a connu les affres de la guerre civile au lendemain de la crise pétrolière des années quatre-vingt, est-elle vraiment vaccinée ? Sa démographie est l'une des plus galopantes qu'elle produit annuellement plus que l'équivalent d'une ville comme Constantine, alors que nous avons sacrifié nos outils de construction pour les loger, que nous n'avons pas de débouchés à leur offrir et qu'ironie du sort, nos richesses s'amenuisent irréversiblement. On ne saura endormir longtemps les aspirations des jeunes avec des remèdes placébos tels que l'Ansej et autre poudre à perlimpinpin. Ces jeunes, qui réclament déjà leur part de la vie et de jouir de leur pays, n'ont pas le souvenir qu'ont leurs aînés des années quatre-vingt-dix, encore moins leurs traumatismes. L'embrasement qu'ont connu et continuent à connaître les régions du Sud n'est que prémisse de ce qui pourra survenir à l'échelle nationale si les signaux d'alarme demeurent occultés.

Pour autant, l'espoir est permis car, Dieu merci, il reste encore tant dans les universités que dans l'Etat et l'administration des femmes et des hommes, intègres et intelligents?, des Algériens debout capables de relever le défi d'une transition pacifique ! Celle-ci, comme l'ont déjà formulé des hommes d'Etat, ne pourra se passer du concours de l'institution militaire, y compris les services secrets. Puisque devant l'échec consommé de l'administration, la dérive institutionnelle et le constat de désorganisation du monde politique, il en relève éminemment de sécurité nationale, de devenir de l'Etat-nation et d'intégrité territoriale. Les traumatismes récents, les expériences arabes douloureuses ne permettent, dans cette condition que le rêve d'une révolution sur le modèle de celle des œillets ! Mais encore faut-il réveiller les consciences, reforger les liens, ressouder les cœurs, restaurer l'intégrité, ressusciter le patriotisme !