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Moteur !

par El Yazid Dib

La voiture est un produit économique. Est-elle, cependant, un indice de confort social, une rente juteuse ou un mobilier domestique mobile nécessaire ? Moteur ! La route est longue.

Il est de principe économique, tout à fait élémentaire, qu'une production ne peut survivre sans stratégie de consommation. Ni une industrie sans distribution. L'Algérie, s'offre-t-elle, à cet effet, comme plate-forme industrielle ou un simple espace de satisfaction de besoins?

Si c'est comme l'on se trouve dans un restaurant où seule la salle à manger semble fonctionner. Les cuisines, là où se concoctent les recettes de mets exotiques, se trouvent à des distances incroyables.

Qui ne connaît pas maintenant comment fonctionnent les succursales des concessionnaires automobile ? Les espaces en show-rooms ne traduisent toujours pas la transparence qui caractérise les transactions qui s'y font loin des regards des futurs acquéreurs. Quoiqu'au vu de la férocité qui s'aggrave, de jour en jour, dans le quotidien, la place est à quiconque. Presque tous courent pour attirer les sous et encombrer davantage l'asphalte.

Considérée comme une attraction commerciale inouïe, l'Algérie demeure, en fait un espace fructueux, dans la consommation de produits finis. Elle ne saurait, pour certains, être vue telle une ouverture de champ de manœuvre important pour un quelconque investissement. Pourtant. Ce constat demeure, amplement, valable pour toutes les autres marques, sous marques ou simples sigles célébrement inconnus. Ce même constructeur, après de longues années, passées en tergiversations, semble avoir fini par se décider à s'installer à Alger. Juste un vœu. L'avenir matériel dira la suite. Derrière l'Afrique du Sud, le marché domestique algérien est le second du continent. Personne ne se soucie, outre mesure, de la capacité de « résistance » et la compétence de « réception » de tout ce que débarquent quotidiennement les gros navires, aux ports de Jijel et Mostaganem.

La circulation en milieu urbain relève d'un défi de patience quand la patience tend à perde tous ses repères. Le brouhaha, les vrombissements de moteurs puissants ou paradoxalement ceux à la limite de l'agonie, en plus de l'embouteillage qui fait maintenant partie du décor naturel des voies rapides ou secondaires, sont acceptés, involontairement, comme un signe de progression sociale. La voiture n'est plus qualifiée d'objet de luxe. Elle est, dit-on, nécessaire, un besoin vital, voire indispensable. La politique commerciale qui se laisse s'instaurer chez les propriétaires de marques, à la faveur, évidemment, de l'inertie des pouvoirs publics, fait que la possession est facilitée au maximum. Elle est suscitée et provoquée. Avec ou sans apport personnel, développant ou non le goût pour ça, l'acquéreur soumis aux charmes d'entrée en jouissance aux plaisirs de la conduite, fait vite de désenchanter lorsqu'il s'apercevra que le surendettement meurtrier le guette. L'appât est tendu de diverses façons. La réclame nationale, dans les rues, dans les journaux, fait ravage. Seule l'automobile et la téléphonie font, à voir les encarts, la survie du créneau publicitaire des medias et des medias lourds. Le mirage de faire une bonne affaire en s'octroyant des avantages de marketing, par des réductions aguichantes fait, vite, désenchanter les nouveaux acquéreurs. L'on ne cesse de voir des milliers de véhicules, tous presque neufs, sinon du millésime en cours, accrochant un bandeau « à vendre » se déambulant dans nos artères à la recherche d'une aubaine de rétrocession, avec en bout, toujours une perte sèche, le plus souvent très conséquente. En plus, dans chaque coin de wilaya, à longueur d'année, des salons et des salons s'érigent et se dédient, en grandes pompes, à l'automobile. Dans le temps le citoyen intéressé se conventionnait d'un crédit bancaire, le plus souvent contracté chez des banques étrangères venues pour ça, et paraissant rentable, payable à mensualités, mais qui se consomme vite avec l'usure de la voiture qui ne verra, une fois rétrocédée, son prix que se grignoter âprement. Le compte à rebours de l'appauvrissement commence bien avec la descente aux enfers, une fois l'envie et la tentation se seraient estompées. Avec la surpression des crédits, l'on assiste à un phénomène alambiqué. La multiplication des acquisitions. Voilà qu'un regain, au retour au crédit de consommation, pointe son nez. Il se pratique pourtant bien chez d'autres succursales étrangères, sous une forme locative.

La politique qui se pratique au plan de la régulation économique, dans son aspect investissement et privatisation, demeure inefficace. Quel est l'apport matériel dans la création physique de la richesse nationale qu'apportent les diverses marques automobiles qui ont été autorisées à avarier l'espace routier ? L'on a permis à toute fantaisie industrielle dans la construction de gadgets sous forme auto tractable de venir les vendre à des prix de défi.

Ces marques à la phonétique baroque ont, toutes, pignon sur rue. Les abords de nos routes à grande circulation se sont, subitement, transformés en des aires d'entreposage pour toutes les appellations : « Haytali », « intic »? on n'a pas besoin de salles d'exposition, plus que l'on aurait besoin d'unités de production. Le paradoxe c'est que l'on continue à encourager l'émergence de ces espaces de vente. Des hectares de terre à haute valeur agricole sont en train d'être bouffées ou simplement « dilapidées » comme l'aurait affirmé un architecte, pour permettre à ces « exposants » de vendre ce qui ne peut se vendre ailleurs. Car ailleurs le marché de l'automobile a chuté aux dernières statistiques de novembre de 13%. Cette baisse n'est plus atteinte, depuis l'année 1997, selon les spécialistes en la matière. Les constructeurs français ont produit plus de 2 millions d'unités durant l'année écoulée. Les méventes ont accentué la crise malgré l'apport étatique fourni, sous l'aspect de prime à la casse. Au même moment, chez nous la demande est forte à tel point que les délais de livraison sont d'une longueur inouïe. Ce qui pousse la réflexion analytique à conclure que le hic est dans le circuit de distribution. Le pays ne tire, en fait, aucun profit, en termes économiques. Pas d'emplois créés. Pas de plus-value enregistrée. Pas, en somme de richesse engendrée. Un souk à sens unique. On ne voit pas ces marques de fabrique aux grands salons de l'automobile de Paris, Madrid ou New York ni dans les circuits de formule 1 ou sur les dunes des rallyes. Et alors donc ? L'Autorité nationale chargée de la régulation commerciale aurait à remanier sa stratégie pour permettre, après négociations, le choix de quelques labels mondiaux et leaders dans la profession, contre une présence industrielle et non de revente en l'état. Avez-vous vu certaines de ces marques circuler à Tunis ou à Tanger ?

Les pouvoirs publics avaient, fin 2008, après réflexion, pris la décision quant à l'obligation de limiter à 49% la part des investisseurs étrangers dans les créations de sociétés en Algérie. Cet acte économico - politique n'a pu, bien entendu, car prévisible, entraîner une symbiose de bienvenue. D'où plusieurs représentants étrangers, en poste à Alger, se sont déplorés pour ne pas se plaindre de « l'instabilité et l'insécurité juridiques » dans le pays, après ces modifications à l'architecture d'investissement. Mais là, oublient-ils que le monde n'est qu'une équation d'intérêts? Que cet intérêt algérien, encore ne saurait être que national. Cette disposition consacrée, légitimement, par la loi de finances de 2009 persévère à constituer, pour certains, une couverture économique nationale, et pour les autres une entrave à la liberté d'entreprise.

Un soupçon de sa révision est amplement prévisible si ce n'est son abrogation.

Quant à l'activité de concessionnaire automobile, il ne suffit plus de dire, combien les affaires, chez eux, vont bien. Nonobstant la crise mondiale qui fait baisser tant de rideaux à de grandes fabriques atlantiques, la demande est ici, sans cesse, croissante. L'on fait du piston chez certains groupes pour un enlèvement immédiat. Les délais de livraison, conformément au décret exécutif n° 07-390 du 12 décembre 2007, fixant les conditions et les modalités d'exercice de l'activité de commercialisation de véhicules automobiles neufs, sont fixés au maximum à 45 jours à dater de la commande. Pour échapper à ses responsabilités et au non respect de clauses du contrat, c'était si simple que l'on n'accepte plus ces commandes. L'indisponibilité, parfois voulue et planifiée, pour des marques données est prise pour mesure de rétention afin de renflouer le marché et tenter de créer une pseudo-tension.

Le marché de l'automobile constitue une ouverture, des plus juteuses, dans le service. Alors qu'à l'origine il est, par excellence, défini comme faisant partie intégrante du monde de l'Industrie. Toutes les marques se produisent, ailleurs et s'écoulent ici. Si c'est comme l'on se trouve dans un restaurant où seule la salle à manger semble fonctionner pour accueillir nos pauvres estomacs, alors que les cuisines, là où se concoctent les recettes de mets exotiques, là où se font les approvisionnements en ingrédients nécessaires se trouvent à des distances incroyables.

Le patriotisme économique doit se réaliser, d'abord, dans le monde des services. Il est aisé de produire, chez nous, nos engins de transport. Le pays est en position de force, avec la manne financière qui le caractérise, de pouvoir, en toute conviction, imposer sa loi de marché. Ce marché qui prend des allures dangereuses, tant pour la gestion du portefeuille de devises, que pour l'insuffisance du réseau routier, mais surtout pour le devenir économique national.

Et si à chaque concession l'on viendrait à y greffer une obligation de produire, au moins un certain taux, chez nous, dans le processus d'usinage ou de fabrication d'un véhicule, que l'on aurait à mettre en circulation sur nos routes ? La solution est simple et faisable. Elle nécessite, cependant, une claire prise de décision, à haut niveau. L'article 24 du nouveau décret, datant du 08 février 2015 et abrogeant le précédent stipule : «Conformément à l'article 52 de la loi de Finances pour 2014, les concessionnaires automobiles sont tenus d'installer une activité industrielle et/ou semi-industrielle ou toute autre activité ayant un lien direct avec le secteur de l'industrie automobile », reste insuffisant. Il noie ainsi toute sa substance lorsqu'il continue de prescrire « Le défaut d'entrée en production à l'expiration du délai fixé par la législation et la réglementation, en vigueur entraîne le retrait de l'agrément. Quel est ce délai ? C'est cette notion de délai fixé par « la législation et réglementation en vigueur » qui est vague et complexe. Alors que pour les infrastructures, le nouveau décret est très clément et façadier, quand il articule, dans son article 45 « Les concessionnaires, déjà installés disposent d'un délai de douze (12) mois, à partir de la date de publication du présent décret au Journal officiel, pour se conformer aux dispositions liées aux nouvelles conditions relatives aux infrastructures et à l'obligation de s'approvisionner, exclusivement, auprès du constructeur concédant ». Pour qui roule ce moteur

réglementaire ?

Ce moratoire devra permettre de penser et pondre un cahier de charges, assorti d'une offre internationale, pour l'installation de marques fiables, dans le pays. L'intégration de nouvelles technologies, en tendance dans certains pays puissants producteurs, allant vers la combustion à énergie nouvelle, les véhicules électrique et hybrides et surtout algérianiser quelques pièces d'usinage et autres tâches d'équipementier, est une nécessité. Une dernière réflexion : qu'est-ce qui empêche de réglementer, pour l'autoriser et lutter contre l'informel, le marché d'occasion chez ces mêmes concessionnaires ? Moteur !