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Dialogue courtois à Bruxelles

par M'hammedi Bouzina Med : Bruxelles

Curieuse absence de débat sur le projet de révision de la Constitution chez la communauté immigrée, alors que les journalistes étrangers basés à Bruxelles s'y intéressent et nous questionnent, nous journalistes algériens.

Vu d'Europe, le débat qui a lieu autour de la révision de la Constitution étonne, intrigue, paraît surréaliste aux nombreux collèges journalistes étrangers basés dans la capitale européenne au point où certains d'entre eux posent cette question inattendue : « Mais que se passe-t-il chez vous ? » sous-entendant ainsi leur crainte d'un péril imminent ou quelque bouleversement politique qui compliquerait davantage leur compréhension de l'actualité maghrébine caractérisée par la succession de nouvelles alarmantes, chaotiques, souvent dramatiques (Libye entre autres). Ce sont les journalistes qui s'intéressent à l'Algérie, suivent son actualité et estiment son poids et rôle politique comme décisifs dans la région méditerranéenne. Et la réponse à leur questionnement nous étonne nous-mêmes tant elle est brève et limitée : « L'Algérie prévoit la révision de sa Constitution nationale ».

Des amendements et révisions constitutionnels, il y en a tout le temps dans bien des pays à travers le monde, sans que cela donne l'impression ou laisse croire à des risques et périls éminents. Alors pourquoi tant d'inquiétudes et d'interrogations pour l'Algérie ? Allez-y expliquer les attentes du pays pour ce projet de révision constitutionnelle : la durée du mandat présidentiel, l'avenir de la langue amazighe, la réorganisation et l'équilibre des pouvoirs, etc. Non pas que l'explication souffre d'outils pédagogiques ou intellectuels, mais tout simplement par « l'absence » de l'objet ou sujet de tant d'interrogations : le projet de révision lui-même. Personne ne sait exactement, car il s'agit d'être précis pour un « sujet » aussi capital pour la vie du pays, que va-t-on changer, réviser, abroger ou révolutionner. Du coup, l'autre question non moins intrigante surgit : « mais sur quel aspect et chapitre le débat met-il aux prises les partis et courants politiques et surtout pourquoi ? ».

La seule échappatoire aux questionnements des collègues étrangers, amis et adversaires : « sans l'objet -texte- soumis à débat, la société politique algérienne précède l'initiative du pouvoir, pose ses demandes et en débat ». Une sorte d'attitude « proactive » avec le secret espoir d'influer sur les « auteurs » du texte qui sera soumis au vote. Quel vote ou plutôt qui va voter le « futur » texte sur lequel tous les espoirs du peuple algérien reposent ? Là, l'échappatoire offre un soulagement non feint : «apparemment, ce sera le Parlement national qui décidera». Il reste entendu que notre Parlement, Assemblée et Sénat, est considéré comme la représentation fidèle et légitime du peuple. Bien sûr, cela serait plus moderne, révolutionnaire si le texte du projet constitutionnel est soumis à débat populaire, mieux, à un référendum populaire. Il consacrerait l'Algérie comme porte-voix du chemin vers la démocratie et la modernité. Il n'y aurait pas que la Tunisie voisine à être citée comme référence démocratique pour les pays arabes.

A cet argumentaire, l'attitude des collègues journalistes, particulièrement les Européens d'entre eux, devient moins contraignante et moins pressante vis-à-vis de nous autres Algériens. C'est qu'ils vivent, eux aussi, quelques « entorses » et « abus » politiques de leurs gouvernants lorsqu'il s'agit de questions éminemment politiques relevant, comme dirait l'autre, de la « raison d'Etat ». Ils se souviennent encore du hold-up électoral du vote sur la Constitution de l'Union européenne en 2005. Aux refus des peuples hollandais et français par la voie légale du référendum populaire, les gouvernants de ces pays ont tout simplement ignoré le vote populaire et adopté le texte constitutionnel par voie parlementaire. Cela revient-il à en déduire que les élus européens ont trahi leurs propres électeurs ? Logiquement oui. Mais y a-t-il une logique, mathématique ou rationnelle, en politique ? C'est tout le mystère qui enveloppe la vie politique et qui donne tant de hargne, de convoitises et de surenchère dans le verbe aux compétiteurs politiques dans tous les pays du monde. L'Algérie ne fait pas exception. Tiens, l'exemple du pays -capitale de l'Europe- la Belgique, illustre très bien les « mystères » et « incongruités » du fonctionnement politique. Le parti qui a gagné l'année dernière les élections législatives chez les francophones, soit le parti socialiste, est dans l'opposition alors que celui arrivé en deuxième position, soit le parti Mouvement réformateur, gouverne le pays. Comment cela est-il possible ? Par le jeu des alliances et de l'obsession du pouvoir.

Encore un exemple européen ? La Grèce a choisi, en toute liberté démocratique, un gouvernement de gauche authentique qui promeut une politique de solidarité entre les Grecs et combat la logique ultralibérale imposée par le monde de la finance et les régimes d'austérité imposés aux plus faibles. Et bien, tous les autres « frères » européens le lui reprochent et l'accusent de fainéantise et de ne pas tenir sa parole de payer ses dettes. Ce que dément le gouvernement grec, arguant qu'il ne fait que demander un étalement dans le temps pour payer ses dettes. Un échéancier classique comme en accordent souvent les créanciers à leurs débiteurs. L'affrontement entre la Grèce et le reste de l'Europe n'est pas prêt à livrer tous les secrets et « mystères » qui se jouent dans les coulisses des institutions européennes. Et donc, pour en revenir à ce qui nous concerne, le projet de révision de la Constitution, l'Algérie n'invente rien de nouveau : elle vit son temps politique et c'est tout à fait naturel que le débat soit animé, intense. Même si « l'objet et sujet » de tant d'intensité dans le débat demeure inconnu dans ses détails. Peut-être que c'est le « pouvoir » lui-même qui le veut à escient : il annonce la révision de la Constitution sans rien d'autre et attend de récolter, peser et juger de ce que veulent les partis politiques, un peu aussi le peuple, et expose enfin son texte qui contiendrait une bonne partie des revendications de l'opposition politique. Ou peut-être pas, car le pouvoir politique chez nous est habitué à réserver au peuple des surprises qu'il n'attendait pas, coupant l'herbe sous les pieds des partis politiques de l'opposition qu'il considère sans réel poids politique dans la société. Si comme en Algérie, il y avait trois mondes vivant sur trois planètes différentes : le pouvoir, les partis politiques d'une manière générale, y compris ceux adoubés par lui, et le peuple. Chacun vivant à sa manière dans une « troisième dimension », sans jamais se croiser. Et lorsque cela arrive, la rencontre entre les trois dimensions, cela finit en général très mal. La partie qui s'en tire à bon compte dans cet affrontement est toujours la même depuis toujours : le même pouvoir revient habillé sous un autre costume, donnant l'illusion d'un vrai changement. Le peuple algérien a compris la « logique » de ce cycle interminable.

Alors, des amendements dans le texte constitutionnel, il les voit lui aussi comme un jeu, un « mystère », une énigme qui le concerne un peu ou pas du tout. Il regarde, lui aussi, avec étonnement et curiosité les joutes verbales auxquelles se livrent les leaders politiques sans se faire trop d'illusion sur la capacité des partis politiques à changer son présent et surtout son avenir. C'est pour cela, chers collègues journalistes étrangers, que vous n'êtes pas les seuls à vous interroger sur l'étrange situation politique que traverse mon pays, l'Algérie. Nous aussi Algériens, nous nous interrogeons sans avoir de réponses malgré que cela nous concerne directement. Et si nous prenons un verre et parlons d'autre chose, s'il vous plaît ?