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Quand la France sera un pays civilisé !

par Abed Charef

Comment ne pas reconnaître comme des crimes le fait de priver un peuple de sa liberté, de le spolier de son pays et de ses biens, et de détruire ses structures économiques et sociales ?

Le gouvernement français a accompli un petit geste « mémoriel » dans ses relations avec l'Algérie. A la veille de la commémoration des massacres du 8 mai 1945, le secrétaire d'Etat aux anciens combattants, Jean-Marc Todeschini, a effectué une visite en Algérie, et s'est rendu à Sétif où il a rendu hommage aux victimes algériennes. Cette attitude tranche un peu avec celle adoptée jusque-là, côté français, et qui était faite d'un double refus : ni excuses, ni repentance, même si les dirigeants français reconnaissaient l'horreur du système colonial.

La démarche française est jugée insuffisante côté algérien, particulièrement, dans certains cercles spécialisés dans la surenchère, qui exigeaient une repentance et des excuses de la part de la France, et la criminalisation du colonialisme, éventuellement, par le biais d'une loi. Un groupe de députés a, d'ailleurs, déposé une proposition de loi, ensuite abandonné, sur la condamnation du système colonial.

Côté français, on répondait, invariablement, à ce type d'incantation par un discours similaire, très rodé. La tragédie coloniale devenait « une histoire commune » ou « un passé très dense ». La presse française voyait, systématiquement, dans l'évocation de la repentance, une manœuvre politique destinée à obtenir quelque chose de la partie française ou mobiliser l'opinion interne, en période difficile. Au pire, on mettait en cause des « caciques » accrochés au passé et incapables de se tourner vers l'avenir. Avec le temps, une sorte de langue de bois, avec une mécanique bien rodée, s'était mise en place : des deux côtés. Des amabilités étaient échangées, à intervalles réguliers, particulièrement dans les moments de tension.

« Les bienfaits de la colonisation »

Cette langue de bois n'est pas l'apanage des Algériens. Les Français aussi y excellent. Cette semaine encore, la visite du secrétaire d'Etat français a été accompagnée de commentaires acides de la part de l'opposition française. Sans même parler de l'extrême droite, dont l'attitude ne mérite même pas d'être évoquée, la droite dite républicaine s'est montrée, assez haineuse, pour que cela mérite d'être signalé. Laurent Wauquiez, patron du principal parti de droite, l'UMP, a reproché au gouvernement français gauche de faire des concessions inutiles, sur le terrain de la mémoire. « Aujourd'hui, je trouve qu'on a trop basculé dans un seul sens, il n'y a plus de fierté de notre histoire », a déclaré M. Wauquiez. « On est le seul pays à passer notre temps à nous excuser de notre histoire », a-t-il ajouté, déplorant ce qu'il considère comme une « repentance à sens unique». Comme s'il invitait les Algériens à se repentir. Se repentir de s'être libérés?

La déclaration de M. Wauquiez est dans le même ton que la fameuse loi du 23 février, dans laquelle le parlement français saluait « l'œuvre civilisatrice » de la colonisation française. Alors que les relations algéro-françaises semblaient s'orienter vers un apaisement, ce texte avait révélé, une France officielle aussi stupide qu'archaïque. Il a, aussi, montré que la classe politique française n'hésitait pas à manipuler des sujets brûlants pour de sordides jeux internes.

Immuniser le pays

Pour l'Algérie, la blessure restait béante. Et la question est toujours posée : quelle attitude adopter sur ces questions? Sur la repentance comme sur la criminalisation de la colonisation, ce qui se fait ou se dit en Algérie semble, hors de propos. Non, parce que la colonisation ne serait pas un crime. C'est même, avec l'esclavage, l'un des grands crimes contre l'humanité, non encore reconnu, ni réparé. La colonisation a coûté à l'Algérie plusieurs millions de vies humaines. Pour se débarrasser du système colonial, il a fallu sacrifier un million d'autres vies. Y a-t-il besoin de faire une loi pour qualifier cela de crime? Le défi n'est donc pas d'imposer à la France une quelconque repentance ou d'exiger d'elle des excuses. Si le peuple d'une ancienne puissance coloniale continue de considérer que la colonisation est une œuvre positive, tant pis pour lui. Ça montre l'état de la pensée politique, dans le pays en question.

La repentance est, quant à elle, une conviction intime. Une sorte de foi. Celui qui arrive à la conviction qu'il a commis un crime, qu'il a mal agi, qu'il a causé des torts immenses aux autres, peut avoir des regrets, et demander pardon à ses victimes. Ce n'est, visiblement, pas le cas de la France. Là, il s'agit, clairement, d'un problème français, non d'un problème de l'Algérie. Comment, en effet, au 21ème siècle, peut-on, encore, considérer que « l'œuvre » de Bugeaud, Pélissier, Saint-Arnaud, Massu, Naegelen, Aussaresses, comment peut-on encore considérer que le 8 mai 1945 et le 17 octobre 1961 ne sont pas des crimes?

Faux débat

Il n'y a, donc, pas à demander à la France de présenter des excuses, ni de lui demander de faire preuve d'une quelconque repentance. C'est un faux débat. Quand la France, de droite ou de gauche, sera un pays civilisé, porteur de valeurs humanistes universelles, elle réalisera ce que fut le système colonial. Elle fera alors les gestes nécessaires, et adoptera, d'elle-même l'attitude adéquate.

Pour l'Algérie, ce qui est important, c'est de rétablir les valeurs qui ont permis de détruire le système colonial. Cela inclut beaucoup de choses : immuniser le pays contre tout risque de type colonial, mettre la mémoire du pays à l'abri de tout marchandage, et élaborer une démarche nationale sur la question. Ceci exige des préalables, impossibles à réaliser, aujourd'hui. Comment immuniser un pays quand ses dirigeants confient leur santé à l'ancienne puissance coloniale, y installent leurs enfants et y placent leur argent?