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Nucléaire iranien : un accord pragmatique

par Pierre Morville

L'accord-cadre nucléaire conclu le 2 avril en Suisse entre Téhéran et le groupe des « 5+1 » (Chine, Etats-Unis, France, Royaume-Uni,

Russie et Allemagne) Plutôt positif ?

Au milieu d'une situation internationale de plus en plus complexe et dangereuse -non résolution de la crise ukrainienne, poursuite des offensives de Daesh en Syrie et en Irak, multiples conflits ethno-religieux en Afrique, apparition des cyber-attaques dont dernièrement la suspension des émissions de la chaîne TV5 Monde - : « l'accord conclu à Lausanne entre Américains, Européens et Russes, d'une part et l'Iran d'autre part, est en lui-même une bonne nouvelle », note Jean-Marie Colombani dans son Bloc-notes. Pour l'ancien directeur du quotidien Le Monde, « les termes de l'accord laissent penser que l'éventualité d'un nucléaire militaire iranien est au moins repoussée d'une bonne quinzaine d'années ».

La possibilité d'un armement nucléaire iranien rapide était en effet au cœur des préoccupations, notamment dans une grande région instable où deux pays possèdent déjà l'arme suprême, Israël et le Pakistan. Téhéran a donné des gages de bonne foi dans ce domaine : l'Iran s'engage à ne plus produire d'uranium enrichi, composant fondamental de l'arme nucléaire, et à diviser par trois le nombre de ses centrifugeuses ( outil nécessaire dans ce domaine). L'Etat iranien ne démantèlera aucun de ces sites, réputés relevant du nucléaire civil mais n'en reconstruira pas de nouveau et accepte des inspections internationales.

ACCORD «DONNANT-DONNANT»

La grande contrepartie gagnée par les Iraniens est la levée des sanctions économiques internationales. Le pays, qui dispose de nombreux atouts de croissance, voyait son économie étranglée par ces sanctions. L'opinion publique iranienne a donc salué positivement cet accord. Le président Hassan Rohani avait d'ailleurs été élu sur sa promesse d'obtenir la levée des sanctions internationales par la négociation. La société civile est donc très satisfaite du résultat.

Grâce à cet accord-cadre, le modéré Rohani sort gagnant des discussions. De même que le guide suprême, Ali Khamenei, lequel a défendu et protégé ces négociations malgré son anti-américanisme. Aujourd'hui, tous deux voient leur capital politique rehaussé.

Mais « la ligne dure » domine au Parlement, et il est clair que nombre de ses membres restent profondément anti-américains et contestent les concessions faites par le Président. En dépit d'un large consensus politique, Hassan Rohani devra mener une rude bataille. D'autant plus avec la tenue des élections législatives l'an prochain », note Gilles Coville, spécialiste du Moyen-Orient.

Ce n'est pas la seule difficulté que rencontrera cet accord. Tout d'abord ce dernier doit être encore finalisé dans les trois mois qui viennent. De surcroît, le front commun qui avait plutôt prévalu depuis le début des négociations, en novembre 2013, entre Américains, Russes et Européens, s'étiole. Vladimir Poutine a signé, lundi 13 avril, un décret annulant l'interdiction faite en 2010 à la Russie de livrer à l'Iran des missiles S-300.

Cette décision de Moscou a immédiatement fait réagir Israël, premier grand opposant à l'accord réalisé sur le nucléaire iranien : Israël a en effet, immédiatement critiqué la décision du Kremlin, la qualifiant de « résultat direct de la légitimité accordée à l'Iran avec l'accord en cours de préparation, et la preuve que la croissance économique qui suivra la levée des sanctions (internationales) sera exploitée par l'Iran pour s'armer et non pas pour assurer le bien-être du peuple iranien ».Dimanche dernier, le Premier ministre israélien, Benjamin Nétanyahou, a de nouveau critiqué l'accord sur le nucléaire iranien et qualifié l'Iran d'« Etat terroriste le plus dangereux au monde ». L'autre grand adversaire de cet accord est l'Arabie saoudite, puissance sunnite dominante, qui se pose en rempart contre l'expansionnisme chiite iranien. Car l'Iran reste loin d'être inactif dans la grande région. Outre ses liens traditionnels avec le Hamas en Palestine et le Hezbollah au Liban, Téhéran soutient au Yémen, les Houtdhistes, milices rebelles chiites opposées depuis des années au gouvernement yéménite en place et qui ont intensifié leur offensive à la mi-janvier. Depuis le 26 mars, l'Arabie saoudite à la tête d'une coalition de pays arabes, notamment ceux du Golfe, mène, avec le soutien américain, des bombardements aériens contre les rebelles chiites dans une opération baptisée « Tempête décisive ».

Pour les Saoudiens, l'accord entre Washington et Téhéran est le signe indubitable que l'influence de l'Iran sur la région va augmenter, pouvant éventuellement menacer les transports maritimes de pétrole dans le Golfe persique ou le Golfe d'Aden et la Mer Rouge et plus généralement affaiblir politiquement les pays du Golfe. L'opposition entre chiites et sunnites recouvre évidemment d'autres formes, avec notamment la situation en Irak.

L'offensive entamée l'été dernier par Daesh ou Etat islamique en Irak, offensive qui s'est poursuivie en Syrie, inquiète au plus haut point les Occidentaux comme les Russes. Daesh est devenu l'ennemi principal. Et l'on peut parler aujourd'hui d'une coopération dans les faits entre les forces armées occidentales, surtout américaines qui interviennent principalement par bombardements et les offensives des milices chiites irakiennes, des forces kurdes, des troupes de l'armée irakienne et des forces iraniennes intervenant en Irak. Coopération discrète mais réussie puisque le groupe Etat islamique a perdu, selon le Pentagone, de 25 à 30% du terrain qu'il avait conquis en Irak. En revanche, Daesh maintient son influence territoriale en Syrie.

NORMALISATION IRANO-AMERICAINE ?

C'est toutes ces raisons qui ont permis de trouver les compromis de l'accord sur le nucléaire iranien. Ce dernier à une portée géopolitique plus large. Le projet de Barack Obama ? Trouver un accord sur le nucléaire pour pouvoir réintégrer l'Iran dans le jeu diplomatique. « Pour le président américain, l'Iran peut jouer un rôle constructif en vue de sortir des crises au Yémen, en Irak et en Syrie. L'Iran chiite n'est pas un grand supporter du président syrien, Bachar Al-Assad, mais le pays redoute davantage les groupes jihadistes anti-chiites de l'Etat islamique qui sévissent dans ces pays. II est donc dans son intérêt de rétablir la stabilité en Syrie. De même, l'Iran a tout intérêt à apparaître comme un acteur incontournable au Moyen-Orient », note Thierry Coville.

Aux Etats-Unis même, l'accord a néanmoins subi l'opposition du Congrès (Sénat et Chambre des représentants) dominé par les Républicains et plutôt opposé à un compromis avec Téhéran.

Barack Obama a paradoxalement bénéficié de sa fin de mandature : il ne cherche plus nécessairement le compromis et retrouve pour un temps réduit des marges de manœuvre plus importantes, notamment en matière de politique extérieure, domaine où l'autorité de l'exécutif est traditionnellement plus forte. Toutefois, la Commission des Affaires étrangères du Sénat américain a approuvé mardi 14 avril, à l'unanimité une proposition de loi qui donnerait un droit de regard au Congrès en cas d'accord final sur le nucléaire iranien. La loi, dite Corker-Menendez, ne se prononce pas sur le fond de l'accord-cadre nucléaire conclu le 2 avril en Suisse entre Téhéran et le groupe des « 5+1 » (Chine, Etats-Unis, France, Royaume-Uni, Russie et Allemagne). Mais elle mettrait en place un mécanisme pour que le Congrès, en cas d'accord final fin juin, ait son mot à dire sur son contenu. Les prochains mois risquent de voir aux Etats-Unis, se multiplier les obstacles parlementaires à la bonne application de cet accord, notamment dans la levée des sanctions. D'autant que la classe politique est d'ores et déjà polarisée par la prochaine échéance électorale, les présidentielles américaines se déroulant en novembre 2016.

Côté démocrates, Hilary Clinton, ancienne secrétaire d'Etat des Etats-Unis tient la rampe en confirmant le 12 avril, sa candidature officielle aux élections présidentielles. Connue comme la femme du 42ème président des Etats-Unis, Bill Clinton, elle est également vivement engagée dans la vie politique américaine. Hilary Clinton s'était présentée lors des élections de 2008, sans succès, face à Barack Obama. La voici alors de retour pour la course au gouvernement, seule candidate, pour l'instant dans le camp démocrate.

Côté Républicain, en revanche, les candidatures se multiplient : Marco Rubio, d'origine cubaine, Ted Cruz, de la tendance très à droite du Tea Party, Rand Paul, « libertarien » et militant pour réduire au plus le rôle de l'Etat fédéral, se sont déjà portés candidats. Mais on en annonce d'autres dont la candidature de Jeb Bush, fils de Bush senior, frère de Bush Junior et favori dans les sondages. Ce qui prouve que dans cette grande démocratie que sont les Etats-Unis, mieux vaut pour être élu président ou présidente, être l'épouse, le fils ou le frère d'un président que d'être un vulgaire citoyen de base.

LE PARTI REPUBLICAIN ENTRE PRAGMATISME CONSERVATEUR ET NATIONALISME ULTRA

Quel que soit le résultat des « primaires » qui désigneront le candidat de chaque camp, la possibilité d'une victoire républicaine n'est évidemment pas à écarter. Doit-on s'attendre dans cette hypothèse à une inflexion importante de la politique étrangère américaine ? Il est difficile de répondre à cette question tant le camp républicain est traversé de courants divers dans ce domaine.

Dans les mandats présidentiels précédents, de Dwight Eisenhower, Nixon, Reagan ou Bush père, « l'establishment » du parti semblait tendre vers une conception traditionnelle, dénué de prises de position trop idéologiques, marqué par le pragmatisme ou le réalisme, même cynique. Henry Kissinger, Colin Powel ou Condoleeza Rice en étaient des acteurs éminents.

Dans l'hypothèse d'une victoire républicaine, « la prochaine présidence républicaine montrera si le dialogue avec l'extérieur et la recherche de compromis l'emportent ou s'il faut de nouveau attendre qu'un retournement idéologique se produise au sein de l'administration », note Laurence Nardon. Spécialiste des Etats-Unis, l'universitaire note un durcissement nationaliste du Parti Républicain en matière de politique étrangère : « les nationalistes se reconnaissent dans le slogan de Reagan « Peace through strenght » (« La paix par la force »). Affirmer la force des États-Unis de manière unilatérale semble en effet aux néo-conservateurs le moyen le plus efficace pour assurer la paix et la prospérité dans le monde, et par conséquence aux Etats-Unis ». L'ancien vice-président, Dick Cheney, ou le secrétaire à la défense, Donald Rumsfeld, néo-conservateurs, ont incarné cette orientation sous Bush junior.

Plus radicaux encore, un courant du Parti Républicain, les « Jacksoniens », en référence à l'ancien président Andrew Jackson, considèrent la scène internationale comme anarchique et violente, accordent une grande importance à l'usage de la force militaire (le budget de défense US représente déjà la moitié des dépenses mondiales de défense) et à l'inverse des néo-conservateurs, « les Jacksoniens n'ont pourtant aucune envie d'améliorer le sort du monde extérieur, ou plutôt pensent qu'il est impossible d'y arriver », pointe Laurence Nardon.

En cas de victoire des Républicains, loin aujourd'hui d'être acquise, il faut cependant parier sur un pragmatisme forcé, un peu éloigné des proclamations très idéologiques. Tout d'abord parce que l'électorat américain garde un mauvais souvenir des interventions militaires en Afghanistan et en Irak, qui ont créé beaucoup plus de problèmes qu'elles n'en ont résolu. Ensuite parce que, si les Etats-Unis étaient « l'omnipuissance mondiale » à la chute de l'URSS, ce pays doit aujourd'hui partager les équilibres de pouvoir mondiaux avec au moins la Chine, puissance montante.

En Amérique latine, longtemps considérée par les Etats-Unis comme leur arrière-cour, la plupart des pays ont progressivement pris leur distance vis-à-vis de Washington. « C'est la Chine qui a le plus bénéficié de cet éloignement, mais l'Inde, la Corée, le Japon, la Turquie sont également présents sur le continent », explique Jean-Jacques Kourliandsky qui voit dans le retour de Cuba au 7ème Sommet des Amériques et dans le serrement de mains -rapprochement symbolique entre Obama et Raoul Castro qui met fin à 60 ans de conflit, une nouvelle preuve du pragmatisme de l'actuel président américain.

Le Parti républicain, majoritairement opposé à tout dégel avec Cuba, a protesté. Mais, même s'il est de nouveau aux commandes, reviendra-t-il en arrière ?