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Identité nationale : la peur de l'altérité

par Abdellatif Bousenane

Deux événements vont marquer fatalement l'espace politico-médiatique algérien ces jours-ci. Le premier concerne « Constantine capitale de la culture arabe » et le second c'est l'anniversaire du printemps berbère. Dès lors le débat sur la question délicate de notre identité nationale va être obligatoirement houleux !

Le ton est déjà donné par deux grands chanteurs algériens qui refusent effectivement la participation dans les festivités de « Constantine capitale de la culture arabe » ou ils font au moins entendre leur mécontentement quant à l'organisation de ce genre de manifestations, il s'agit bien de Idir et Ait-Mengellet. Ils avancent en fait des arguments qui sont lourds de sens à savoir que Constantine « n'a jamais été arabe » ! Puis, ils évoquent la dimension berbère de notre identité qui a été délaissée, marginalisée et maltraitée par les pouvoirs politiques successifs depuis notre indépendance. De ce fait, le temps est-il arrivé enfin pour discuter et débattre paisiblement et profondément cette problématique assez sensible de la manière la plus objective et la plus juste possible ?

Complexité de l'histoire :

Deux grandes tendances alimentent la réflexion conflictuelle sur cette question très sensible en Algérie. Les berbéristes sont catégoriques, « tous les habitants de l'Algérie sont berbères, il n'y a aucun doute » ! Ils refusent en effet toute supposition d'une éventuelle diversité de la population algérienne. Ils considèrent l'arabité de l'Algérie comme imposture et « colonisation », le mot est très fort mais il est en passe d'être banalisé dans l'espace médiatique algérien et même occidental!

 Les« arabistes » à leur tour ne vont pas par quatre chemins ! Ils affirment ainsi que tous les peuples du Moyen Orient jusqu'à l'Afrique duNord ont lamême origine qui est le sud de la péninsule arabique ou le Yémen actuel avant même l'avènement de l'islam. Ils s'appuient effectivement sur des thèses d'historiens orientaux comme occidentaux !

Mais une question s'impose dans cette perspective : peut-on s'entendre sûr des faits historiques qui se sont produits il y a plus de deux milles ans pour les uns ou plus de quatorze siècles pour les autres ! Pourdésigner qui est le vrai du faut ! Le pur-Sang du Sang-mêlé ! Alorsmême qu'on n'arrivepas à s'entendre sur des évènements et des faits qui se sont déroulés il y a juste 20 ans ? Pendant la grande Fitna des années 90 ou même les faits réels qui ont marqué notre glorieuse révolution de 1954 dont on entend les uns traitent les autres de traitrise ?etc.

Certes, les hypothèses sur ce sujet sont multiples et variés mais entre ces deux proclamations absolutistes très contradictoires, ilexiste, à mon sens, une thèse beaucoup plus raisonnable et sensée qui est plus proche de la réalité solide. C'est celle qui stipule, que cette région du Moyen Orient et Afrique du Nord dont se trouve l'Algérie, a connu pendant des millénaires des chamboulements, une dynamique culturelle et un brassage ethnique formidable car plusieurs civilisations l'ont dominée pendant plusieurs siècles, ce qui a influencé incontestablement l'anthropologie et la sociologie de ces populations. Après l'arrivée de l'islam, l'appartenance à cette « nouvelle » religion monothéiste a primé sur l'affiliation à l'ethnie et à la tribu, car seulela fraternité dans l'islam compte. Et « il n'y a guère de différence entre le noir, le blanc, l'arabe et le non-arabe » selon le hadit. Ainsi toute cette grande partie du monde devient la terre d'islamdont un large territoire est devenu arabe. Par conséquent, l'arabité n'estnullementune ethnie, un gène ou du Sang mais c'est une culture, une histoire, une langue, un espace, bref un monde !

Arrêtonsavec la génétique !

A l'ère d'internet, du cosmopolitisme, du métissage et de la mondialisation, il est très stupéfiant,en fait,d'entendreparler aujourd'hui de la « génétique » pour appréhender cette problématique de l'identité ! Qu'est ce qu'on veut prouver exactement par la génétique ? Que nous sommes tous de la pur-souche ? Qu'on vient tous de la même « race » ? On veut prouver qu'on est tous les mêmes ?Un peuple homogène ? C'est à dire on veutfaireprécisément ce qui a fait le parti unique, la penséeuniqueaprès l'indépendance du pays, à savoir faire comprendre qu'on est tous les mêmes, on vient tous de la même origine, on doit tous vivre de la même manière, avec la même idéologie et les mêmes rêves ! Cependant, il suffit juste de se balader dans n'importe quelle ville ou villagealgériens pour constater qu'il y a une multitude de cloueurs de peau, une multitude de cultures, de mentalités, d'ethnies. Une chose est sûr, il n'existe pas unseul pays au monde aujourd'hui dans le cadre de l'Etat-Nation qui soit homogène. Il n'ya aucun doute. Justement, après plus de 50 ans de l'indépendance, on saitmaintenant que les pouvoirs publiques post-indépendance se sont trompés dans leur vision de la dimensionberbère de notre identité nationale ce qui a provoqué beaucoup de haines et de malentendu.Cette faute politique historique ne doit pas en revanche nous enfoncer dans une autre erreur abominable qui est la « génétique ».Parce qu'être algérien ce n'est pas des gènes ! C'est une appartenance, une adhésion, unenationalité, unidéal. Etre algérien peut signifieraussi d'être asiatique d'origine, il ne faut oublier qu'il y a un bon nombre de ressortissants chinois qui ont décidé d'y rester après leur séjour de travail et de faire leurs vies ici et ils ont des enfantsalgériens comme nous tous. Des Africains subsahariens aussi, il yaura, peut être,demain des espagnoles, des européenspar l'effet de la crise qui touche leur pays et leurs enfants seront aussi algériens que nos petits.

Seulement en Algérie ?

Ce qui est singulier en effet, c'est cette densité et profondeur du problème qui touche particulièrement l'Algérieplus que les autres pays arabes. Même nos voisinsmaghrébins ne semblent pas souffrir autant de cette crise identitaire. Idem pour le Moyen Orient, malgré la grande diversité de cet espace, à part la question Kurde, les difficultés sont d'ordre confessionnel comme le conflit entre chiites, sunnites. Or, avant l'avènement de l'islam la plupart de ces pays de la Palestine, Irak, Syrie, Liban, jusqu'au Soudan?etc. ne parlait pas la langue arabe. La langue assyrienne en Syrie,à titre d'exemple,était une très belle langue parlée et écrite, l'Egypte des coptes aussi.Dans les temps modernes tous les pays développés, ceux de la civilisation dominante sont composés des populations diverses. La France, le pays qu'on connait le mieux, a une identité plurielle et sur plusieurs registres. D'abord le registre régional, le pays est constitué de plusieurs régions qui ont leurs propres langues maternelles. En Bretagne, les Bretons parlent toujours leurs patois, au pays Basque aussi, en Bierné au Sud Ouest, les Ch'tis dans le nord? etc. mais le français est la langue fédératrice de ces différentes régions. Un autre registre, c'est celui de l'immigration. Aujourd'hui cette réalité sociologique, n'est un mystère que pour ceux qui vivent dans les fantasmes et rêves du passé. En fait, les français d'origines arabe, berbère, turque, noire, asiatiques, européens notamment, Italiens, portugais, espagnoles, musulmans, juifs, bouddhiste? etc. font partie de cette France métissée. On peut donner la même image sur la GrandeBretagne, les Etats-Unis d'Amérique et d'autres.

Pourquoi donc on veut nier le caractère « hybride » de notre tissu social et culturelle, pourquoi donc vouloir opposer arabe et berbère, puisque arabo-berbère ou berbéro-arabe n'est pas contradictoire. Pourquoi cette recherche de l'absolu dans notre identité, cette phobie de l'altérité alors qu'on est différents dans la même famille biologique là où on n'a pas les mêmes orientations de la vie même entre frères et sœurs et on trouve des déférences fondamentales entre le père et son propre fils !

En résumé, nous sommes un peuple comme tous les autres peuples, nous vivons ensemble depuis des siècles, une grande majorité se définit de confessionmusulmane sunnite malékite, avec quelques minorités religieuses musulmanes comme les ibadites, il ya des chrétiens et des juifs aussi sans oublier le droit de ne pas croire aux gens qui le souhaite. Notre identité culturelle est composée essentiellement de deux dimensions : l'arabité et l'amazighité (berbérité) quoi qu'il y a d'autres revendications comme une minorité turque et demain on aura des minorités asiatiques, africaines subsahariennes... etc. Ainsi donc, nous sommes un peuple de diversités dont la tolérance est le maître mot depuis des siècles sur cette terre. Mieux vaux vivre donc les paradoxes del'altérité que la tentation d'une homogénéité impossible.